c/ - La perte de l’identité

L’œuvre montre cependant qu’il est parfois extrêmement délicat de tracer une frontière précise entre la perte du statut social et celle de l’identité, en raison même de leur étroite corrélation avec la thématique centrale de la dispersion familiale 584. Dans cette marge, il est cependant possible de définir les contours d’un état intermédiaire correspondant à une nécessité de masquer son identité. L’insertion dans le poème du thème de la persécution féminine permet de cerner cet état. Cette thématique est illustrée dans l’œuvre par les motifs du désir incestueux, de l’automutilation, de la jalousie de la belle-mère, et de l’errance, qui font appel à des sources d’inspiration différente. La dispersion des cellules familiales, du fait de ces différentes atteintes du mal, rejoint la thématique de la famille et, par extension, une notion plus nouvelle, celle de l’émergence de l’individu. Lorsque l’on se penche sur les deux personnages féminins de Joïeuse et Alis, on constate rapidement que la perte de leur statut585 s’accompagne d’une errance et d’une nécessité de modifier leur identité : Joïeuse prend le nom de Tristouse, Alis revêt les habits d’un homme et devient Ballian d’Aragonne. Cette modification – ou plus précisément cette dissimulation – répond à un besoin de se protéger. Ce parcours, que partagent Alis et Joïeuse, diffère par la suite, selon la signification qui sera donnée à l’évolution de chaque personnage. Tandis que les épreuves traversées font de Joïeuse une victime relativement passive, elles suscitent chez Alis un fort désir d’engagement. Or, si la présence de Dieu est permanente, on constate que ses interventions peuvent se démarquer de l’une à l’autre. En ce sens, si le but commun aux deux héroïnes est de parvenir à la réunification de la famille, la question se posera alors de comprendre pourquoi la duchesse Alis est appelée par Dieu à dépasser les limites d’une destinée terrestre, alors que le personnage de Joïeuse trouvera son accomplissement dans la reconstitution de la cellule familiale.

Pour premier élément de réponse à cette distinction, on peut retenir que celle-ci s’appuie sur le fait que chacune de ces héroïnes symbolise dans l’œuvre une perception particulière de la femme : est-elle le point faible du lignage, représente‑t‑elle un danger ? C’est certainement la réponse qu’apportent la fragilité de Joïeuse, et, dans un certain sens, le travestissement d’Alis, qui perd ainsi son identité de femme « faible ». Néanmoins, l’évolution conférée à ce personnage, qui laisse deviner l’influence de récits hagiographiques, ouvre de plus amples perspectives d’interprétation, notamment en ce qui concerne la tentative d’élévation vers la sainteté.

Il n’est pas exclu de voir dans la perception de la femme comme point faible de la cellule familiale un héritage de la doctrine ecclésiastique, nourrie de l’enseignement biblique : considérée comme aide de l’homme, façonnée de sa chair586, la femme occupe dans la hiérarchie une position inférieure587. En outre, elle est l’initiatrice au péché ; son état, si l’on s’en tient aux commentaires des théologiens du XIIIesiècle, est celui de pécheresse. En ce sens, la suspicion entourant Joïeuse à Caffaut témoigne de ces réminiscences, tant par la notion d’une éventuelle faute – dont la mutilation serait la sanction – que par sa prétendue incapacité à assurer un lignage digne du roi d’Espagne, – conséquence même de la mutilation. Image complexe, donc, de la femme « qui fait peur, elle fait peur aux clercs et, à vrai dire, elle fait peur aux hommes, qu’ils soient clercs ou laïcs »588. La hantise de la femme se traduit dans le poème par une surenchère de scénarios axés sur une même thématique de la fécondité : le motif de l’inceste, la jalousie de la belle-mère, les naissances gémellaires participent de cette même thématique589.

Le choix du modèle de « la femme persécutée » n’est pas particulier à la chanson de Lion de Bourges. Fille du roi Henry de Chypre, Joïeuse est l’image, dans le poème, de l’héroïne persécutée au sens que lui donne la tradition folklorique. Le canevas du récit qui lui est consacré est fourni par le conte T 706, La Fille aux mains coupées 590, qui jouit d’une grande popularité au Moyen Âge591, et dont on retrouve dans Lion de Bourges les quatre épisodes caractéristiques592.

La présence de cette thématique dans de nombreux récits témoigne du goût particulier du Moyen Âge pour ce type d’histoires. Selon le dénombrement établi par Hermann Suchier puis par Heinrich Daumling, dix-huit versions du conte T 706, échelonnées entre le XIIIe et le XIVe siècles, ont été répertoriées593. À partir du XIIIe siècle, cet engouement se retrouve dans un certain nombre d’œuvres, telles que La Manekine, Florence de Rome, Parise la Duchesse, La Belle Hélène de Constantinople, ou bien encore le Roman du comte d’Anjou. D. Laurent, qui s’est penché sur les raisons de ce succès, évoque la possibilité d’un rapprochement qui a pu se faire, dans le public médiéval, entre la légende d’Anastaise et les différentes formes orales et écrites sous lesquelles circulait le conte T.706 : « Pour un homme du XIIIsiècle, tout imprégné de merveilleux chrétien, ce personnage de la fille aux mains coupées ne pouvait manquer d’évoquer la silhouette familière d’Anastaise, la gente pucelle « qui n’avait de mains fors moignons » et qui accepta avec tant de spontanéité d’aider la Vierge à mettre au monde l’Enfant Jésus (…). Ce récit (…) est l’un de ceux qu’affectionnent les auteurs religieux et profanes tout au long du Moyen Âge »594. Reprenant ces diverses observations, C. Roussel confirme l’hypothèse d’une probable contamination entre « la légende chrétienne [d’Anastaise] et les versions médiévales du conte T.706 [qui expliquerait] le succès littéraire de l’histoire de la fille aux mains coupées que l’on enregistre à partir du milieu du XIIIe siècle »595. Il souligne également que ce conte s’intègre dans un vaste ensemble de récits populaires relatant les malheurs de femmes persécutées596.

La présence de cette thématique dans le poème de Lion de Bourges lui apporte un enrichissement considérable et éclaire d’une façon significative les étapes de la dégradation de l’identité en rapport avec la persécution féminine.

Les répercussions du désir incestueux

L’auteur reprend le thème antique du désir incestueux en le mettant en corrélation avec l’importante thématique du lignage et de la figure du père. Comme dans les romans et contes médiévaux utilisant la même matière légendaire de l’inceste, la persécution du personnage féminin se trouve associée à ce thème. Le projet incestueux du roi de Chypre répond à un souci de perpétuer le lignage et de protéger le patrimoine, exprimé par son entourage597, comme dans le roman de La Manekine, alors que La Belle Hélène de Constantinople et Le Roman du Comte d’Anjou ne font pas état d’une préoccupation lignagère (seul, le désir, tenu secret par le roi, est commun à ces œuvres ; d’ailleurs, lorsque le projet est suscité exclusivement par le désir sexuel, l’entourage royal y est en général opposé598). Seule, une union avec Joïeuse permettrait au roi Herpin de Chypre de tenir la promesse faite à sa femme mourante et d’assurer la protection du royaume par la naissance d’un héritier, dont on ne doute pas qu’il serait un mâle :

‘« (…) ung hoir si souffisant
Qu’i maintiengne la terre ver la gens mescreant
Si c’on n’i perrde ja ung denier vallissant. » (v. 27952-954)’

Or, ce projet produit des effets contraires, matérialisés par l’automutilation de l’héroïne et son exil, ainsi que la dispersion de la cellule familiale père/fille. Pour échapper à l’inceste, elle se mutile ; elle détruit ainsi toute ressemblance avec le modèle, sa mère599. L’automutilation revêt toutes les apparences de la sanction morale d’une faute dont elle semble vouloir porter seule la responsabilité. L’assentiment du pape au projet d’union du roi de Chypre avec sa fille et l’absence de repentir de ce dernier au moment de l’exil de Joïeuse600 concourent à placer l’héroïne dans une situation paradoxale, puisqu’elle s’élève contre l’autorité royale et celle de l’Église, contre les intérêts même du royaume et ceux du lignage. Cependant, ces différentes représentations de l’autorité ne sont pas celles du pouvoir suprême, et la notion de faute est inhérente à la connaissance de la volonté divine. Se sentant coupable d’avoir attiré un désir condamné par Dieu, elle s’inflige une autopunition.

L’automutilation fait de Joïeuse un personnage différent dans son corps, et cela aura des répercussions immédiates, dont les circonstances de son arrivée à Caffaut témoignent. La beauté exceptionnelle de l’inconnue qui n’a qu’une seule main, la blancheur de sa peau, son anonymat et son arrivée par la mer créent autour d’elle une atmosphère trouble, qui se prête à une lecture complémentaire, à la lumière des contes mélusiniens. L’élément aquatique, bien que moins fréquent que la forêt dans les contes populaires, sert de cadre à la première rencontre : Olivier quitte le château et entre dans la nef, franchissant ainsi une frontière invisible entre deux mondes, le sien aux limites structurées et celui incertain de l’inconnue, la fée601. Les attributs de la beauté exceptionnelle de la jeune fille appartiennent au même registre : Olivier admire « la pucelle (…) qui estoit aussi blanche qu’est dessus l’abre la flour »602. Toute description d’une fée dans Lion de Bourges obéit à cette règle (lorsque Clariande invite Lion au Royaume de Féerie, elle évoque la blancheur de Clarisse603). « La blancheur [est la] couleur de la féerie », note L. Harf‑Lancner604. La soudaineté de la passion éprouvée pour la belle inconnue est également une caractéristique des contes mélusiniens. Elle est évoquée par la métaphore de la flèche qui atteint le cœur du héros605. Cette fascination s’exerce sur le chambellan, sur Olivier, et, à son insu, sur Béatris, dont la réaction est une preuve. L. Harf‑Lancner l’analyse ainsi : « derrière l’interprétation médiévale du schéma universel des contes mélusiniens transparaît le regard qu’ont porté les hommes du Moyen Âge sur ces images du désir »606. L’auteur établit un rapprochement entre différentes versions littéraires du conte de la fille aux mains coupées et la tradition mélusinienne, au terme duquel elle conclut que l’héroïne « prend les traits de la fée »607. D’autre part, le fait que Joïeuse maintient Olivier dans une totale ignorance de ses origines réelles et invente une fable pour expliquer son arrivée hasardeuse à Caffaut rappelle les ruses habituellement prêtées aux fées pour dissimuler leur nature. Mais, c’est aussi le signe d’un perpétuel mouvement de repli sur soi caractéristique de l’héroïne persécutée. Un climat de méfiance et de suspicion entoure l’étrangère. En protégeant ainsi son anonymat, Joïeuse impose sur son personnage une zone d’ombre – une sorte d’interdit – et préserve le secret de son altérité608, ce qui dans le prolongement de ses aventures va devenir essentiel. Cela suscite immédiatement une réaction de rejet chez Béatris, car Joïeuse est perçue comme un personnage hors normes609.

On peut également se demander si l’emprise excessive de la mère sur le fils et le rejet de la belle-fille ne revêt pas une signification dans la thématique de l’inceste. En éloignant, puis en éliminant une rivale, la mère trop possessive réaffirme son amour maternel. C. Roussel reconnaît l’existence d’une « certaine analogie entre le père incestueux et la méchante belle-mère, coupables l’un et l’autre de vouer à leur enfant une affection par trop exclusive »610, mais il rappelle que, dans la plupart des œuvres utilisant cette thématique, leurs actes ne reposent pas sur les mêmes motivations. Le projet du roi Herpin de Chypre correspond à un souci de perpétuer le lignage, tandis que les manœuvres de la belle-mère visent l’extinction de celui‑ci, puisque les enfants doivent être brûlés en même temps que leur mère.

Le mariage (qui aurait pu apporter une amorce de restauration) est donc, dès les premiers instants, entaché des suspicions que fait naître la mutilation :

‘Quant Bietrix oyt l’avanture conter
Que Ollivier se volloit ensement marieir
A une povre femme qui vint permey la mer,
Adont li commansait tout li sang a muer.
Quant Bietris oyt et dire et retraitier
Que lou roy prenoit une teille mollier,
Adont li commansait forment a annoyer,
Et dit tout bellement : « A quoy panse Ollivier
Que a une teille femme il se vuelt aloyer,
Ne qui ne saroit mie de quoy son pain tranchier ? » (v. 29887-896)’

La main tranchée est une marque diffamatoire ; elle est perçue, dans l’entourage de la reine, comme un châtiment, trahissant une mauvaise conduite et les accusations proférées par le traître Garnier d’Origon (acheté par Béatris) résument assez bien la signification de la mutilation dans la mentalité médiévale. Véritable double de Béatris611, parfaite figure du mal, il ira même jusqu’à accuser Joïeuse de prostitution :

‘« Signour, frans chevalier, ceste putain m’ardez,
Car nous sire y est maisement mariér !
Pour niant ne li fuit ici pung copér ;
Elle ait estéz ribaude il ait sis ans passéz ;
Bien sai que en ait fait son volloir estoffés. » (v. 31504-508)’

Cette notion de punition pour un acte caché aboutit dans le poème à transformer l'image de l’héroïne, faisant d’elle un personnage méprisable. C’est ce que Béatris ne manquera pas de soutenir pour expliquer le contenu de la lettre (falsifiée) du roi : « Il ne lou puet amer, car sa main le deffant »612. Cela ne surprend guère dans cette occurrence, mais mérite d’être souligné lorsque cela se retrouve évoqué par le bon châtelain Gérard :

‘« Belle estoit de viaire, maix elle avoit moignon :
Une main li trancherent je ne sai quelz garson. » (v. 33629-630)613

Les arguments avancés restent sensiblement les mêmes et inscrivent la persécution de l’héroïne dans la thématique du lignage et de la famille. Ils mettent en évidence qu’une femme mutilée ne saurait engendrer une belle descendance, digne d’un roi, et qu’il serait donc normal qu’Olivier ait cherché, dans une autre contrée, une nouvelle épouse convenant à son rang et de même sang.

Ce rejet traduit également la répulsion constante qu’inspirent dans la mentalité médiévale les êtres hors norme porteurs d’une infirmité. « Les infirmes sont souvent considérés avec une grande méfiance dans la société médiévale », note C. Roussel614, qui a analysé les variantes du motif dans un large corpus littéraire entretenant des relations avec le conte-type 706 (La fille aux mains coupées).

Les ennemis de Joïeuse vont donc s’employer à rompre le lien créé par le mariage, en accomplissant leurs plus noirs desseins. Béatris met au point un savant montage : en lui faisant miroiter ses richesses, elle corrompt un clerc, Thiéry, attiré par l’argent, en fait son amant et lui fait croire que leurs relations ont été découvertes par la reine, déclenchant ainsi chez lui l’envie de se venger615. Pris au piège, le clerc obéit à Béatris et écrit la lettre que celle-ci lui dicte. Cette lettre sera revêtue du sceau falsifié du roi Olivier et délivrée au châtelain de Caffaut, grâce à une nouvelle ruse de Béatris, qui prie le messager Henry de s’arrêter à sa demeure, à son retour de Bourges : on facilite le sommeil du messager par quelques coupes de vin fort et il ne reste plus qu’à échanger, dans la sacoche du dormeur, les deux missives616. Seul le texte de la dernière lettre est inséré intégralement dans le récit, tandis que les deux premières (celle de Joïeuse informant Olivier de la naissance et la réponse de ce dernier précisant ses souhaits pour l’attribution des prénoms des enfants) ne sont que rapidement évoquées. Dans Lion de Bourges, il n’y a qu’une seule lettre falsifiée, alors que certaines œuvres faisant appel au même motif font état de deux lettres, comme cela est le cas dans La Belle Hélène de Constantinople 617. Dans ces deux poèmes, le texte des lettres falsifiées est intégralement reproduit. Comme le remarque J.‑C. Vallecalle, « aux yeux d’un trouvère, le document écrit ne mérite d’être mis en lumière et ses termes d’être précisément reproduits que s’il s’inscrit dans la perspective d’un complot ourdi par des félons »618. Il pense également que la précision du trouvère peut répondre à la « recherche du trait dramatique », apportant ainsi une surenchère de tension dans le texte. Répondant à sa vocation, le texte de la lettre falsifiée du roi est inséré dans le poème avant même que celui-ci n’ait appris la naissance des enfants.

La malveillance de Béatris s’étend à la progéniture et fait planer une réelle menace de destruction sur le lignage du roi. Il y a, dans ce type d’atteinte à la cellule familiale, deux lectures qui se superposent. En premier, celle de la transposition logique de la méfiance à l’égard du sang de l’héroïne, puisque celle-ci ne peut se prévaloir d’origines nobles. La suspicion qui entoure la mère concerne donc également les enfants. La méchante belle-mère introduit donc une rupture dans le processus de continuité du sang. L’influence du modèle mélusinien que nous avons relevée sur la conception du personnage de Joïeuse autorise une seconde lecture : dans les contes s’inspirant de cette thématique, la naissance gémellaire est fréquemment liée au thème de l’union avec un être d’origine surnaturelle619. En outre, dans la mentalité médiévale, ces naissances, entachées de superstitions, sont perçues comme des anomalies… ou des preuves de l’infidélité de l’épouse, car on n’imagine pas qu’une femme puisse avoir deux enfants d’un même homme ; la persistance de cet ensemble de croyances expliquerait que le motif de la condamnation à mort de la mère et des enfants soit très présent dans la tradition du conte et des œuvres s’inspirant de ce substrat620. Il apparaît donc que l’expression de la haine dans cette occurrence fait appel à une large thématique.

Victime du désir incestueux et de la jalousie de la belle-mère, Joïeuse manque, par deux fois, de périr dans les flammes d’un bûcher. À double reprise, elle traverse la mer pour une autre aventure. Elle apparaît ainsi comme un personnage sur le fil du rasoir, en perpétuel balancement entre le feu et l’eau, entre le monde du diable et celui de la Féerie. Cependant, dans cette lutte, ni l’un ni l’autre ne gagnent, car un troisième élément veille sur elle : le vent, le souffle de Dieu.

L’errance de l’héroïne

Chez les deux héroïnes, la perte du statut social correspond sensiblement au début d’une longue errance et s’accompagne, pour Alis, d’une véritable transformation du personnage. Elle subit, au même titre que le duc Herpin, les conséquences du bannissement prononcé par Charlemagne, parce qu’elle fait partie de la société carolingienne, par ses attaches lignagères et matrimoniales. Le fait qu’elle soit la nièce de Naimes de Bavière et issue du plus haut lignage de France revêt dans le développement de ses aventures une valeur significative, notamment dans l’analyse de la dégradation de son statut. Son enlèvement, en forêt de Lombardie, aussitôt après la naissance de Lion621, provoque la première dispersion familiale du poème. Séparée de force de son époux et de son fils, elle n’aura de cesse de parvenir à la réunification de sa famille, et toutes les actions qu’elle va engager, par la suite, iront en ce sens. Dans les œuvres partageant cette même thématique, le motif de l’enlèvement de la mère revêt un caractère moins fréquent que celui de l’enfant. Il apparaît dans Tristan de Nanteuil 622 , ainsi que dans le roman Guillaume d’Angleterre 623 . Errance et fuite de l’héroïne succèdent généralement à cette première atteinte : « Lors [Alis] se mist a la voie per estrainge pays… »624. Vêtue d’habits masculins, elle se dirige vers un port et déclare avoir une faute à racheter en Terre Sainte pour embarquer sur une nef à destination de Jérusalem625 : elle prétend avoir commis un meurtre et devoir faire un pèlerinage d’une année pour retrouver la paix. Unique navigation, qui n’a de l’errance typique des héros de romans que l’apparence, car Alis se souvient avoir entendu Herpin exprimer le vœu de se rendre en Terre Sainte. Déjà, la duchesse poursuit son but…, mais le Tout-Puissant la guide vers Tolède, après une tempête en mer où tous les navires sont perdus sauf celui sur lequel se trouve la duchesse.

Bien que se nourrissant d’une autre inspiration, l’exemple de Joïeuse reprend à double reprise la thématique de l’errance, avec une aggravation des épreuves à chaque occurrence. À l’opposé de la duchesse Alis, Joïeuse est passive. La première errance626 est une conséquence directe de l’automutilation, car la sentence de condamnation au bûcher prononcée par son père, le roi Herpin de Chypre, est commuée en exil définitif627. Par la rupture qu’il impose, l’exil isole le personnage de la collectivité à laquelle il appartenait et qui lui conférait son statut628. Joïeuse est déshéritée, chassée à tout jamais du royaume de Chypre, mais elle n’est pas pour autant démunie : on prend la peine de charger un roncin d’or et d’argent, et on assure à l’écuyer Thierry, qui accompagne Joïeuse, la possibilité de revenir en chercher autant si besoin629. Mais, hélas, la Lombardie est toujours le pays des voleurs, et tout le trésor est rapidement dérobé. Comme Hélène dans la Belle Hélène de Constantinople 630, Joïeuse vit de petits travaux et de mendicité. Ce premier groupe d’épreuves traversées par l’héroïne engendre donc des modifications dans sa position sociale (de princesse, elle devient couturière, puis mendiante) et dans les rapports qu’elle entretient avec la collectivité.

Il y a, dans l’arrivée de Joïeuse à Caffaut, une certaine part de hasard. C’est une navigation sans destination réelle, « per avanture »631, puisque l’héroïne, condamnée à l’exil, n’a pas de but précis : elle vient à nouveau de quitter Chypre après avoir fait charger son navire de richesses, ainsi que cela lui avait été promis632. Si quelque arrangement de la vérité se révélait nécessaire à Joïeuse pour masquer ses origines et ne pas permettre de nouer un lien entre le roi Herpin de Chypre et elle-même, on ne peut s’empêcher d’être perplexe quant à la cohésion du récit : un bateau chargé de richesses et un écuyer à son service pour une pauvre fille de pêcheur, dépouillée en mer ? Comme lors du premier départ de Chypre, Joïeuse est munie d’un trésor, mais le motif des voleurs n’est pas reproduit, puisque, dans cet épisode, il s’avère inutile. C. Roussel signale que « la mention jeune fille venue de nulle part sur un navire chargé de richesses figure dans plusieurs avatars du conte [T.706] » ; il pense que l’auteur de Lion de Bourges a déplacé en l’anticipant l’épisode du vol, pour mettre en scène, à un moment donné dans son récit, « la misère dans laquelle se trouve plongée l’héroïne », alors que « certains récits, telle La Belle Hélène [ne] développent [ce motif qu’]après le second exil »633. Au terme de cette première errance, l’héroïne ne peut retrouver son identité, mais son mariage avec Olivier lui confère à nouveau un statut.

La seconde navigation de Joïeuse se démarque de la première par le fait qu’elle est seule avec ses enfants sur la nef634 – on a interdit à l’écuyer Thiéry de l’accompagner et celui‑ci, voulant rejoindre le bateau qui s’éloigne, se noie sous les yeux de Joïeuse635, – car cette traversée doit s’accomplir « au grez de Dieu ». Désormais, c’est Lui qui la conduit, et le « vent »636 que le poète évoque a toutes les apparences du « souffle de l’Esprit qui (…) mène [les héros] où Dieu le veut »637 dans le roman arthurien. H. Akkari a fait remarquer un parallélisme entre les chevaliers errants et les femmes errantes : « Si chez les premiers, l’errance est volontaire, chez les secondes, elle est imposée par l’exil. Cette errance implique un cheminement, et le récit une progression dans l’espace ». Il note également que l’espace parcouru par ce type d’héroïne est « hétérogène, formé d’univers contradictoires »638. C’est d’ailleurs un trait commun aux épopées tardives dans lesquelles l’extension du temps et de l’espace tend à devenir une règle, en fonction même de la vocation de ce type de récit. Parmi les œuvres les plus proches de Lion de Bourges, on pourra retenir l’exemple des déplacements des héroïnes dans La Belle Hélène de Constantinople ou dans Tristan de Nanteuil.

Comme cela est fréquemment représenté dans la littérature épique tardive, l’errance des femmes ne comporte aucune mise à l’épreuve spécifique et n’apporte généralement aucun élément gratifiant. C’est ce qui la différencie de l’errance du chevalier, selon H. Akkari : « Mais cet espace que parcourt le chevalier errant est jalonné de combats, alors que pour la mère le combat est tout intérieur, c’est sa souffrance. Souffrance de l’exil, de la séparation et de la déchéance sociale »639. La raison de cette apparente vacuité est que cette errance a une autre finalité. Elle est voulue par Dieu, non pas en tant qu’épreuve, mais en tant que réponse à la confiance témoignée. L’absence de but qui caractérise les navigations de Joïeuse est profondément liée à la nature de son itinéraire douloureux et à celle de la relation spécifique qu’elle entretient avec Dieu, nourrie d’une confiance passive. En revanche, la traversée d’Alis est définie par un objectif préalable, celui de regagner la Terre Sainte, mais ce projet n’aboutit pas, car Dieu a d’autres visées. Si Dieu veille sur Alis aussi bien que sur Joïeuse, sa sollicitude ne s’exerce donc pas dans la même direction. Il intervient dans un climat de violence pour apaiser les éléments et protéger Alis dans son errance, et le voyage sur la mer n’est qu’une transition avant son arrivée à Tolède qui marque le début d’une longue période de souffrances et la conduira du palais de l’émir aux rues de la cité. Cette dégradation suit sensiblement la même évolution que celle que l’on peut observer chez Joïeuse. Qu’elle soit imposée ou choisie, l’errance n’est cependant pas l’ultime dégradation imposée au personnage de la femme persécutée, car les deux héroïnes de Lion de Bourges sont amenées, à un moment de leur parcours, à masquer leur identité, à s’inventer un autre passé. Cela répond à la nécessité de se protéger contre les attaques d’un mal extérieur et, pour une certaine part, à la volonté de protéger leur intériorité.

Le déguisement et le mensonge

Ces deux motifs sont étroitement imbriqués dans le récit, car ils sont complémentaires et la présence de l’un entraîne celle de l’autre. Au-delà de l’intérêt qu’ils peuvent apporter dans l’écriture de la destinée des héroïnes, ils viennent s’ajouter à l’errance pour déposséder le personnage de son identité initiale. Le déguisement en habit d’homme constitue la première protection pour la femme qui doit changer d’apparence pour fuir un danger. Contrairement au motif du déguisement du héros en pèlerin qui appartient au genre épique640, le travestissement de la femme en homme trouve ses origines dans certaines traditions populaires attachées au carnaval641 et dans l’hagiographie. Dans cette dernière, il revêt une signification précise : la sainte recourt au travestissement par volonté de préserver sa pureté et par désir de s’intégrer à un ordre monastique. Au XIIIe siècle, certaines vies de saintes réservent une place importante à ce motif. Rapportée par Jacques de Voragine dans la Légende Dorée, la vie de sainte Marine donne un exemple édifiant : la jeune fille, déguisée en homme, suit son père dans un monastère et refuse toute sa vie de dévoiler sa féminité642. On ne découvre qu’après sa mort que c’était une femme. La vie de sainte Pélagie rapporte que celle‑ci se retire dans une petite cellule, au mont des Oliviers, sous des habits d’ermite. Comme sainte Marine, jusqu’à sa mort, elle garde cachée sa condition féminine. Quant à sainte Marguerite, elle se réfugie dans un monastère, sous des habits d’homme, pour échapper au mariage et préserver sa virginité643. Toutes les trois doivent changer de prénom : Marine (initialement Marie) devient Marin, Pélagie et Marguerite sont nommées Pélage. Marine et Marguerite sont condamnées à tort, supportent l’avilissement et meurent en martyres.

Transposé dans la fiction littéraire, le motif du déguisement de la femme en homme apparaît couplé avec d’autres motifs, notamment celui du désir incestueux. Dans les œuvres s’inspirant du conte de La fille aux mains coupées, il traduit un même désir de fuite. Exploité dans le roman dès le XIIe siècle, il tend à se répandre dans les chansons dès le XIIIe siècle. Dans la Chanson d’Yde et Olive, Yde fuit la cour paternelle sous des vêtements masculins pour échapper au projet incestueux du roi. Le trouvère de Lion de Bourges reprend certains éléments du conte folklorique T.706 (qui contient notamment l’épisode de la mutilation) et du conte T.510 B, où l’héroïne se déguise pour fuir, tout en les aménageant aux fins de son poème. Ainsi, le motif du déguisement n’apparaît pas dans le premier épisode des aventures de Joïeuse, puisque celle-ci quitte la cour du roi de Chypre sur les ordres de ce dernier. Aucun changement d’apparence ne se justifie alors ; il ne s’agit d’ailleurs pas d’une fuite. En revanche, ce motif se trouve utilisé lorsque Joïeuse quitte Caffaut avec ses enfants. Toutefois, il faut émettre une réserve, puisque, à ce moment, Joïeuse bénéficie de la protection des barons ; or, ce sont ces derniers qui ont pris un risque majeur : celui de transgresser les ordres du roi. Ils n’ont pas appliqué la sentence exigée dans la (fausse) lettre644. Reste pour justifier le déguisement de Joïeuse, la nécessité de lui faire quitter Caffaut à l’insu de Béatris et de la population qui pense avoir entendu les cris de la reine dans les flammes, alors qu’il s’agissait de ceux du traître Garnier d’Origon645. C. Roussel a vu dans ce « dernier détail, curieux car apparemment gratuit » plutôt une réminiscence de textes littéraires qui « signalent que c’est habillée en homme que la jeune fille quitte la cour paternelle pour fuir l’inceste (…) ressurgissant à un moment inattendu », puisqu’il se trouve déplacé dans la suite des aventures de l’héroïne.

Le travestissement peut également s’avérer nécessaire pour se fondre dans un univers étranger. L’utilisation du motif tend alors à se rapprocher de celle que les trouvères ont eu coutume de faire. C’est le cas de la duchesse Alis, dont le personnage est marqué d’une certaine ambiguïté : pendant les dix-huit années qu’elle passe à Tolède, elle doit tout d’abord occulter toute la vérité à son sujet, puis, en fonction du déroulement de sa destinée, elle lève progressivement le voile sur son identité, ses origines et sa religion. C’est un déguisement rendu nécessaire par les circonstances entourant cette héroïne, car il lui permet de se maintenir dans la ville où elle parviendra à la réunification de la famille. Selon J.‑P. Martin, dans les chansons de geste, « le déguisement permet au héros (…) de s’introduire dans un milieu qui lui est hostile pour y accomplir sa mission ou réaliser ses projets »646. Il faut reprendre, pour un moment, le fil des aventures vécues par la duchesse Alis. À la faveur d’une dispute entre les larrons qui l’ont enlevée dans la forêt de Lombardie, elle s’empare des vêtements de l’un d’eux :

‘Oiez dont s’avisait la duchesse de pris :
A ung dez laron vint qui la estoit fenis,
Ces drap li devestit dont il estoit polis ;
La damme s’an parait et si lez ait vestis.
En droit habit d’un homme est adont cez cors mis,
L’espee a son costez dont li brans est forbis. (v. 666-671)647

Intervient alors la navigation que nous avons évoquée ci‑dessus, puis, toujours vêtue en homme, sous le nom de Ballian d’Aragonne, Alis devient aide-cuisinier chez l’émir de Tolède, apprend la langue arabe et fait semblant de ne croire ni en Dieu ni en sainte Marie648. Un tel déguisement efface toute trace de l’identité réelle du personnage, qui se fond littéralement dans le monde sarrasin, et rappelle à bien des égards celui que Aye adopte dans Tristan de Nanteuil 649 . À la différence de l’héroïne de Florence de Rome 650, il ne reste à la duchesse Alis aucune trace de son précédent statut social : « Malz sambloit que venist de si halte lignie » (v. 793).

Les effets du déguisement sont multiples, sans aboutir cependant à une métamorphose complète. Dans les Vies de saintes, le déguisement en habit d’homme correspond idéologiquement à une perte de la féminité, c’est-à-dire du « statut de pécheresse »651. C’est une conception qui n’est pas totalement étrangère à l’auteur de Lion de Bourges ; il le suggère, parce que cela aura un intérêt dans le développement qu’il va donner par la suite aux aventures d’Alis, dans une perspective hagiographique. Mais cela n’est pas la seule raison. Il va d’abord accentuer le caractère masculin de son héroïne pour lui apporter une certaine valorisation – ce qu’il se garde bien de faire avec un personnage comme Joïeuse652, parce que leurs destinées ne s’inscrivent pas dans la même visée. Sous ses habits masculins, Alis reste une femme, une chrétienne dans le monde païen, mais doit se comporter comme un homme. Le fait qu’une femme puisse participer à un combat ne constitue pas une nouveauté dans la littérature épique. Au XIIe siècle, la chanson de Fierabras donne déjà une image riche de contrastes entre la délicatesse de la princesse sarrasine et celle de la détermination avec laquelle elle élimine le gardien de la prison653. Mais, il s’agit d’une action limitée dans le temps, sans modification durable du comportement ni adoption d’un vêtement masculin. Avec certaines héroïnes des chansons tardives – notamment Aye et Blanchandine dans Tristan de Nanteuil – l’engagement féminin prend une autre dimension – une dimension masculine. La duchesse Alis se trouve successivement confrontée à trois situations qui ne manquent pas de rappeler à certains égards la démesure épique : lutte contre un géant654, puis contre un chevalier persan655 (qui s’attribue la mort du géant) et enfin contre les soldats de Marsile656. La détermination de Ballian convainc les habitants de Tolède de participer à la bataille657, dont l’issue sera la retraite de Marsile et une trêve de deux ans. En duel ou dans un combat aux résonances épiques, la duchesse se comporte « a loy d’omme », mais silencieusement elle se plaint de devoir agir contre sa nature :

‘« Laisse, dit la duchesse, comment la chose va,
Car je n’ait pais apris, ne mez cors ne l’usait,
Le mestier ne l’ouvraige que faire me faurait !
« E, Dieu, dist la duchesse, Perre de parraidis,
A loy d’omme ait rengnér lontant en ce pays ;
Trop me vient au contraire car ne l’avoie apris ; » (v. 2025-030)658

« L’apparence finit[-elle] par se substituer à la réalité »659 ? Dans la chanson de geste d’Yde et Olive, Yde fuit la cour déguisée en homme, et se voit contrainte d’adopter un comportement masculin. Aye d’Avignon, dans Tristan de Nanteuil, a toutes les apparences d’un Sarrasin, à un point tel que Ganor hésite à la reconnaître660. Effets multiples mais aussi pervers : le chevalier s’attire l’admiration de l’entourage, du roi et/ou de la fille de celui-ci. Il se voit offrir la main de la princesse661, héritière du royaume, en récompense de sa vaillance, si ce n’est pas celle-ci qui s’offre spontanément. La femme déguisée en homme exerce une certaine fascination, comme Blanchandine vêtue en homme dans Tristan de Nanteuil. C’est cette beauté étrange de Ballian, faite de fragilité et de jeunesse, qui suscite le désir amoureux chez Florie, fille de l’émir :

‘« Ay, dist elle, amis, vous faice collouree
Et vous biaulteit qui est si doulcement fourmee
Et vous biaulz yeulx riant (…) » (v. 2302-304)
« Vous estes biaulz et jonne, bien m’y pués alever :
Ains n’eust[es] grenon ne bairbe pour raiser ; » (v. 2549-550)’

A. Georges remarque une même ambiguïté dans Tristan de Nanteuil : « il (elle) incarne donc la beauté de l’androgyne de la mythologie, que ce soit avant ou après sa métamorphose »662. Mais là s’arrête le parallèle entre ces héroïnes. Alis ne connaît pas la métamorphose en homme, comme Blanchandine ou Yde. Dieu ne « réajuste pas la réalité à l’apparence », car cela serait totalement contraire à ses desseins. Le poète de Lion de Bourges effleure le mythe de l’androgyne, mais, soucieux de conserver une certaine vraisemblance, ne donne pas de suite à cette référence. L’évocation, seule, suffit à montrer qu’il connaît les racines mythiques de la recherche de la perfection – « la condition de l’humanité parfaite »663, décrite comme étant celle de l’androgyne.

Chez Alis, le déguisement correspond à une véritable stratégie de dissimulation rendue nécessaire par l’entourage de la cour de l’émir : femme, elle serait victime d’abus, chrétienne, elle serait décapitée. D’ailleurs, le retour à la féminité, choisi par Alis comme seule échappatoire possible aux menaces de Florie664, fait naître un nouveau danger, encore plus pressant, celui d’un mariage forcé avec l’émir. C’est cette même beauté qui va exercer une attraction puissante sur l’émir, dès que la duchesse aura abandonné son déguisement : « plus belle de vous oncque maix n’acointait »665. Il ne s’agit d’ailleurs que d’un abandon partiel de la dissimulation : si Alis révèle une partie de la vérité sur ses origines et son passé, elle continue à feindre un reniement de la foi chrétienne666. Certes, cela assure une sécurité relative en terre sarrasine, mais a pour inconvénient de lever tout obstacle au projet matrimonial de l’émir. Par un renversement de situation, l’aide-cuisinier Ballian, devenu chevalier, représente maintenant l’épouse idéale de l’émir. Et, curieusement, cette alliance serait fondée sur deux pôles apparemment contradictoires ; en effet, les habitants de Tolède reconnaissent en Alis des qualités chevaleresques – donc masculines – et des qualités féminines : la beauté, mais aussi l’espoir d’engendrer un héritier mâle doté de la même valeur :

‘Et dient : « Ballian qui ocist le glouton
Serait demain no damme, vecy belle ocquoison
C’unne femme ait ossis ung joians si fellon
Et ung franc chevalier a loy de champion !
C’est une vaillant damme pour maintenir roion ;
En tout lez lieu dou monde bien prisier la doit on.
Qui la nous amenait, de Mahon ait pardon.
Se nous sire anjanroit deden lie anffanson,
Herdis dobveroit estre per droit et per raison.
Mahon l’ait envoiéir pour acroistre son nom. » (v. 2668-677)’

Préoccupation lignagère, donc, qui sera vite contrariée par la fuite de la duchesse Alis667. La fuite, seule issue possible ? Oui, pour deux raisons : cela correspond à la volonté divine ; ce n’est pas un choix fait par l’héroïne, car Dieu soumet la possibilité de réunification de la famille à une obéissance absolue. Alis accepte parce qu’elle est un personnage d’exception, élu de Dieu, dont elle entend la voix. C’est ce qui la différencie de Joïeuse, dont l’errance ne résulte pas de l’exécution d’un ordre divin. La seconde raison provient d’un choix narratif de l’auteur, qui place le personnage de la duchesse Alis dans une situation d’impasse, dans laquelle le mensonge ne sera plus possible. En effet, ses efforts pour dissimuler tout ou partie de ses origines trouvent leur explication dans le fait de sa situation périlleuse en terre païenne et leur justification dans le but qu’elle poursuit. Ses deux mensonges gardent ainsi une certaine cohérence, en raison même de l’identité provisoire que son déguisement lui confère : le premier mensonge est étroitement lié au changement d’apparence668 ; le second mensonge obéit à une même logique. Il a la particularité de reprendre la majeure partie du premier mensonge prenant valeur, en quelque sorte, de nouvelle vérité… Et Alis peut donc s’exclamer : « Damme, n’an mantirait per mon Dieu Appollon » et proclamer son adoration de Mahommet669. On notera au passage l’habileté qui consiste à flatter la princesse Florie. Au même titre que le vêtement, le mensonge assure donc une protection reconnue :

‘« A Dieu, dist la duchesse, vuelliez moy conforter
Per quelz tour me vorait de la damme sevrer ;
C’elle sceit mon estet, ne li porait celler,
Ensement ne porait icy plux demourer.
Et se je fais ceu qu’elle me vuelt rouver,
Ossire me ferait, je n’an pués eschepper.
Si que ansement ne sai per queille vie user :
Ou de dire mon fait ou de lie desevrer ? » (v. 2557-2564)’

Mais, il peut conduire le personnage à une situation délicate, si ce n’est une impasse. C’est ce qui est montré avec les efforts de diplomatie auxquels Alis/Ballian doit se livrer pour ne pas être obligée d’obéir à Florie670. Esquives et dérobades, donc, pour gagner du temps : « Je sus povre hons », « [je] cudoie estre gabés », le langage même doit s’adapter pour entrer en harmonie avec le rôle joué671. L’effet conjugué du déguisement et du mensonge aboutit donc à une métamorphose de l’apparence et du comportement social, en poussant le personnage à une négation de son identité.

La double occurrence du motif du mensonge apporte un éclairage particulier sur la perception du personnage de l’héroïne persécutée. Celui de Joïeuse à l’égard d’Olivier pourrait paraître incongru s’il n’y avait pas l’automutilation. Puisqu’elle ne peut pas révéler son passé, elle se réfugie dans le mensonge sur ses origines. Si on le replace dans la thématique du poème, ce camouflage suscite quelques remarques. Tandis qu’Olivier est parvenu à une étape de son parcours où il peut révéler ses origines, Joïeuse cache les siennes. Implicitement, pour Olivier, cela inclut un principe de stabilité et de force. Ce n’est évidemment pas le cas de l’héroïne. Quoique royales, ses origines doivent être tues, pour ne pas établir un lien avec un passé entaché d’une notion de péché. Le lien du sang, ici, est détruit par la faute du père. C’est la raison pour laquelle il ne peut être rétabli que par lui-même quelques six années plus tard : principalement à Palerme, lieu symbolique de la reconstitution des cellules familiales, par sa confession à Lion672, puis à Rome, lors des retrouvailles finales673. Il se produit donc une inversion entre les deux personnages, Joïeuse reprenant, dans cette occurrence, les faiblesses et les manques du héros au début de son parcours initiatique. Cette alternance entre construction et dégradation des personnages est un procédé régulièrement utilisé par le poète. Cela apparaît sous des angles variés selon la thématique. Ainsi, nous avions déjà pu constater ce type d’opposition entre la dégradation du statut de Herpin dans le monde féodal et la progression de Lion ou d’Olivier. Le poète de Lion de Bourges semble donc avoir joué avec aisance de ce type d’opposition entre deux personnages proches, à un moment donné de leur parcours.

L’infirmité mérite quelque explication pour ne pas être jugée comme la marque infamante d’une faute. C’est ce à quoi va s’employer l’héroïne, dès son arrivée à Caffaut :

‘« Sire, dit la pucelle, jou vous dirait briefment :
Je sus nee de Rode, en ysle droitement
Fus je nee et norie, fille d’un pescheour Climent
Que l’autrier fuit noiéz en mer piteusement ;
Et je fus pres noiéz aussi certennement,
Maix je reclamait Dieu le Perre omnipotant
Et le baron saint Jaicque a qui j’eus couvent,
Et je lou requerroie, si vous dit vraiement…
Que je trouvait en mer meurdrous et malle gens
Qui violler me volrent et faire lour tallant,
Et je me deffandait encontre yaulz fierement ;
Ceste main me trancherent per lour efforcement
Dont j’ai loingtempz estéz mallaide durement ;
S’an sus du tout sanés, dont liez sus durement. » (v. 29722-735)’

Et, pour clore ce discours, Joïeuse prétend s’appeler « Trestouze »674. Nom en harmonie avec la situation675, que l’héroïne s’attribue elle-même, – « probable variation autour du modèle de Tristan » pense C. Roussel676. Si le poète de Lion de Bourges connaissait le roman de La Manekine – ce qui est certain –il n’a cependant pas donné à son héroïne tous les traits de ressemblance avec Joïe, dont le mutisme conduit le roi à lui attribuer lui-même un nom, celui de « Manekine »677. Dans ce roman, comme dans notre poème, l’époux de l’inconnue reste dans le faux, et ce type de situation rappelle celle que crée l’interdit imposé par les fées des contes mélusiniens.

Plus rien de tout cela n’existe dans le second mensonge de Joïeuse, lors de son arrivée à Rome, mais le flot de paroles n’est pas tari : vingt-cinq vers pour expliquer qu’elle est la veuve d’un bourgeois d’Espagne, qu’elle se rendait en Terre Sainte avec son mari et ses enfants – accompagnés de deux nourrices et de trente pèlerins – lorsqu’ils furent attaqués par des pirates ; lesquels pirates tuèrent son mari (ainsi que les nourrices et les trente pèlerins), dérobèrent tout leur avoir et lui coupèrent la main…678. Pourquoi un tel mensonge ? S’il a, lui aussi, le mérite de fournir de bonnes explications à la mutilation, il a également l’avantage de déplacer cet événement dans l’histoire de l’héroïne, puisque cette dernière le situe après son mariage et après la naissance des enfants. La femme épousée et la mère qu’elle devient sont donc « pures ». C’est, déjà, presque une tentative de restauration du personnage, après la dégradation engendrée par la mutilation. En outre, il continue à assurer une parfaite dissimulation de l’identité, et joue ainsi un rôle protecteur.

Le chemin du martyre

Héroïnes persécutées, mais non abandonnées de Dieu : l’enchaînement des atteintes dont elles sont victimes s’ordonne selon un parcours dessiné par le Père céleste, avec, pour vocation, de les hisser à la perfection. Miracles, voix célestes attestent la constante sollicitude de Dieu, qui se manifeste parce que Joïeuse et Alis témoignent dans leurs actes d’une complète confiance et d’une soumission absolue à la volonté divine. La tonalité chrétienne conférée à la vie de ces héroïnes apporte une valeur supplémentaire au texte, et traduit la volonté de l’auteur de donner à son poème une vocation édifiante et de l’élever « au-dessus de son statut d’œuvre profane et divertissante »679. Les éléments appartenant à la tradition du conte populaire, qui servent de canevas au récit consacré à Joïeuse, tendent à être remodelés pour s’adapter à la trame générale de Lion de Bourges. Les aventures prêtées à Alis avouent des héritages de la tradition épique et des répertoires folkloriques. Motifs divers, donc, qui ont cependant un point commun : celui d’amener les héroïnes à connaître une dégradation progressive de leur statut et de la perception de leur identité. Néanmoins, cette puissance négative se trouve contredite dans le poème par la puissance émanant de la volonté divine et par la force d’attraction du lignage – en ce qui concerne Alis. Cette alternance entre dégradation et recherche de la perfection est particulièrement illustrée par l’exemple de la duchesse.

Chez Alis, le chemin du martyre s’inscrit dans une seule dimension : celle de la famille, et chaque étape s’accomplit sous la conduite de Dieu. En ce domaine, une particularité distingue l’héroïne de tous les autres personnages du poème. À son égard, Dieu n’est pas muet, alors que Joïeuse doit se contenter d’interpréter les signes de la volonté divine. Pour Alis, il n’est pas d’épreuve qui ne soit dictée par une voix céleste, et cela dès les premiers instants de son errance680. Ainsi, à Tolède la première épreuve est un duel pour lequel, manifestement, elle n’est pas préparée, puisqu’il s’agit d’affronter le champion de Marsile, un géant de quinze pieds de haut, engendré par le diable, qui prétend en outre pouvoir affronter dix hommes ensemble681. Or, Dieu a choisi Alis pour livrer ce combat et le lui fait savoir par une voix céleste682. Dès cette première épreuve, il apparaît clairement que les possibilités de réunification de la cellule familiale dispersée sont soumises à une obéissance absolue d’Alis aux ordres divins. L’essentiel du message céleste contient cette promesse (Herpin et Lion vivent encore) et, déjà, l’annonce du martyre : [garde-toi] « du pieschief de luxure, car Dieu le te deffant »683. De cet épisode, il faut retenir que la foi en Dieu apporte le courage et la certitude de triompher du mal, et celle‑ci est récompensée, car, pour le personnage chrétien épique, il n’est pas de plus belle preuve que celle de crier à la face d’un géant sarrasin sa foi en Dieu. C’est ce que fait Alis, en plein combat684. Et elle affirme qu’elle recevra l’aide divine : « Jhesu m’aderait cui je tient a amis »685. On pourrait presque évoquer, à son sujet, une notion de « contrat », car elle seule, dans le poème, poursuit inlassablement le même objectif, avec une parfaite abnégation de ses intérêts personnels. Aucun détour686, aucune concession : elle sait qu’elle doit rester à Tolède et affronter les épreuves voulues par Dieu. Elle ne tire aucune gloire de ses victoires, car le prix n’a aucun intérêt pour elle ; seule compte la promesse de retrouver Herpin. Cela est attesté par le fait qu’elle garde un silence complet sur son exploit, après avoir tué le géant Lucien :

‘« – Laisse, dit la duchesse, de ceu je n’ait mestier ;
San Herpin mon signour ne tanrait ja denier,
Car pleust or a Dieu qui tout ait a jugier
Qu’il eust cel avoir qu’on me vuelt enchergier,
Et mez corpz n’an eust vaillant ung esprivier ». (v. 1914-918)’

Le premier groupe d’épreuves auxquelles Dieu soumet la duchesse Alis, fait référence à une certaine notion d’engagement héroïque, en raison même du vêtement masculin. Alis se comporte comme le ferait un héros. Bien que son statut soit profondément modifié, elle reste consciente de celui‑ci, par son ancrage dans la société carolingienne et par ses attaches lignagères et matrimoniales. Elle n’a pas encore totalement quitté son enveloppe de héros/héroïne engagé dans une société, même si cette dernière ne relève pas du modèle chrétien. Ce que l’on peut considérer comme un engagement héroïque d’Alis conduit aux mêmes conclusions que certains comportements des personnages masculins du poème, avec cependant quelques nuances. On a pu constater l’inaboutissement des actions accomplies par ces derniers en faveur des autres, parce que cette forme d’héroïsme ne trouve plus sa place dans la mentalité du Moyen Âge finissant. La situation est presque identique pour Alis – tout du moins dans cette phase de l’évolution de son personnage – à la seule différence que celle‑ci va être invitée par Dieu à dépasser cette condition avec, pour promesse, celle de retrouver Herpin et son fils :

‘« Damme, lai ton panser et ton avision,
Car Jhesu Crist te mande qui souffrit passion :
Issiés de ceste chambre quoiement san tanson,
Car tu ais trop ceans pris bonne norisson.
Dieu vuelt que lou comperre, car bien y ait raison :
On n’acquiert pais la gloire pour avoir tout son bon.
Pertir te fault d’icy quoiement en laron ;
Si va en la citeit prandre habergison
Et si maintient ton corpz en grant chetivison ;
N’ais que faire d’onnour entre la gens Noiron.
Ne guerpis point la ville, se te mande Jheson,
Car en cest citeit que tant ait de renom
Retrouverais ton filz et Herpin ton baron.
A Jhesu te commant, plux ne t’an dirait on ». (v. 2705-718)’

Dans cette occurrence, le messager céleste intervient directement dans la destinée terrestre de la duchesse pour avertir celle‑ci ; c’est une mise en garde contre l’attrait de l’honneur et la reconnaissance de la valeur. Dieu demande à Alis de dépasser sa condition de héros et de femme, car seul un état de dépouillement poussé à son extrême, une dégradation complète de l’identité lui permettra d’accomplir sa destinée terrestre – retrouver Herpin et Lion – et de donner une suite à celle‑ci par l’accession à un état de sainteté. Alis est conviée à une autre forme d’héroïsme, fondé non pas sur l’engagement guerrier, mais sur le dépassement et l’aspiration vers la sainteté :

‘[Alis] dist : « Biaulz sire Dieu, pour le tronne hautain
Vuelz andurer grief payne, et a soir et a main
Je vorait pourchessier ma pourvoiance et mon pain.
En la cusine au roy ait heu trop poc de fain,
Or en vorait souffrir d’or en avant tous plain :
Trop me sus mesaree et de cuer folz et vain ». (v. 2757-762)687

En ce sens, l’exemple des Vies de saintes exerce une influence sur la conception de la destinée de l’héroïne. Dans le cas précis de la duchesse Alis, si le trouvère ne retient pas certains éléments spécifiques, comme celui du péché féminin, il conserve en filigrane une notion de repentance, en l’occurrence celle d’une vie trop facile dans le palais de l’émir. Et plus fondamentales encore sont les notions de confiance en Dieu et de détermination. S’appuyant principalement sur la Vie de Marie l’Egyptienne, H. Legros distingue dans les modèles féminins proposés aux chrétiens du XIIIe siècle une forme d’héroïsme dans lequel « la gloire [s’obtient] dans l’humilité », et arrive à la conclusion suivante : « La sainteté féminine obéit à d’autres critères que l’héroïsme masculin ; aucune femme dans la société féodale ne peut avoir le destin de Roland ou de Vivien. L’exemple des saintes repenties définit un autre idéal de perfection, sans doute plus individuel et plus proche d’une morale christique »688. Ce sacrifice est le chemin du martyre ; à partir de cet instant et pour une durée de seize années, la duchesse vit de mendicité, sur un tas d’ordures dans les rues de Tolède. Sur cette période, le trouvère est peu éloquent689. Seule, compte l’étendue de celle‑ci, qui fournit la mesure du sacrifice. C’est une forme d’errance, pendant laquelle elle « rompt tous les liens avec son origine et n’a plus aucun contact avec son passé, si ce n’est par sa mémoire »690. La transformation en mendiante obéit à l’impératif majeur de respecter l’autorité divine, ce qui inclut la possibilité de réunification de la famille. Cela suppose une totale remise de sa destinée dans la main divine. Couchée sur son tas de fumier, Alis continue à prier :

‘Et dist : « Pués qu’il vous plait, vray Perre Jhesu Cris,
Que soie si menee et li mien corpz laidir,
Bien le doie consantir, je croy c’est mez proffis ». (v. 2871-873)’

Mais, cet état n’est pas définitif ; il aura un terme, donné par l’accomplissement du but précis sur terre et sera récompensé : la duchesse Alis est l’un des rares personnages à qui le poète accorde la canonisation691.

Pour autant, on ne peut évoquer une notion de passivité, comme cela se remarque dans le personnage de Joïeuse, qui ne manifeste, sur le chemin du martyre, aucune volonté, sauf celle de se laisser conduire et d’accepter ses tourments. En effet, on note, chez Alis, une remarquable détermination qui dicte sa ligne de conduite. Son personnage participe à la fois d’une conception d’un héroïsme masculin fragilisé, fixé dans ses limites, et d’une vision d’un héroïsme féminin fondé sur l’idéologie de l’harmonie familiale, – ce qui n’est pas synonyme d’opposition : n’y‑a‑t‑il pas lieu de voir plutôt une complémentarité ? Cela laisse penser que le personnage d’Alis a pour vocation dans Lion de Bourges de refléter, dans ses aspects les plus spécifiques, la difficile partition entre accomplissement de la destinée héroïque terrestre et aspiration au dépassement vers un état de sainteté.

Avec l’exemple de Joïeuse, le thème de la persécution du personnage féminin prend une autre dimension. La mort, ici, devient la sanction d’une faute. Mais, quelle faute ? Si Joïeuse consent à mourir et reconnaît comme juste la sentence de la lettre la condamnant au bûcher, c’est qu’elle porte toujours en elle la culpabilité d’avoir suscité le désir incestueux, culpabilité matérialisée par le handicap de la mutilation. La progression vers un état de complet abandon à la volonté divine suppose donc d’accepter au préalable l’accomplissement de la volonté royale, puisqu’elle résonne comme un jugement de condamnation – à son égard et non en ce qui concerne les enfants :

‘« Signour, dit la royne, bien me voy percevant
Que li roy debonnaire se va de my tennant :
N’ait plux cure de moy, dont j’ai le cuer dollant.
Or me faite morir quant le vait commandant ;
Maix je vous prie que garde n’aient mez doulx anffan,
Ensoy vuelliez chescun chergier a ung truant
Que en grant povreteit lez yront norissant ». (v. 31407-413)’

Et chaque occurrence des lamentations de Joïeuse va dans le même sens. Elle pense que, malgré ses serments, Olivier l’a reniée : « Or estez vous du tout enver moy parjuréz » (v. 31498), « Bien voi vous faulceteit (…) / Quant oncque ensement vous corpz m’engigna ! » (v. 31666-667)692. Dans le contexte du récit, cela revient à placer l’héroïne dans une situation de solitude complète, privée de tout point d’attache avec son entourage, que ce soit la société (Joïeuse perd son rang de reine ; elle est exilée seule avec ses enfants sur un bateau), son lignage (elle a fui son père) ou la cellule conjugale (Olivier la rejette), – c’est‑à‑dire tout ce qui constitue l’enveloppe extérieure du personnage. Or, c’est bien cet extérieur qui confère l’identité. Cela lui est refusé. Elle est obligée de cacher son passé (la double occurrence inciterait même à écrire ses passés), de modifier son nom et de fuir sans cesse. C’est un personnage déstabilisé, victime de la persécution. À l’inverse d’Alis, elle ne poursuit pas un but précis et ne possède aucune ligne de force. Cela explique l’acceptation pure et simple du martyre :

‘Sire, si comme c’est voir que tu me raichetas
De ton precieux sang dont tu renluminas
Longis le nomveant, je te prie a plain tas
Que la clerteit dez cielx ne m’escondise pas,
Car ceu est poc de chose de ceu monde sollas :
Con plux y vit li hons, plus se doit clamer las ! » (v. 31570-575)693

L’acheminement vers le sacrifice devient alors accession à la lumière du Christ. Comme la sainte qui pardonne à son bourreau, Joïeuse accorde le pardon au châtelain qui doit exécuter la sentence : « Laissus en parraidis vous soit gerrandonnéz ! »694. Le pardon accordé à Olivier (pendant la navigation) consacre l’élévation du personnage à une dimension de quasi-sainteté, parce que c’est réellement à ce moment qu’elle confie sa destinée à Dieu695. Là, plus que dans la mise en scène du bûcher, se situe le point sensible de la transformation du personnage de Joïeuse, car elle n’est plus dans les mains d’une prétendue justice humaine : elle appartient à Dieu. Désormais, c’est lui qui la guide, et « le vent [qui] la conduit » – de l’Espagne à Rome, sans incident, est bien la manifestation d’une volonté supérieure présidant à la destinée de l’héroïne. Ainsi s’explique ce que nous avons nommé la « passivité » de Joïeuse :

‘Ensi nagait per mer la royne senee,
Et si rent graice a Dieu qui fist ciel et rosee ;
Et Dieu la gouverne et guiait celle navee,
Car en ung bras de mer est la royne entree
Que ver Romme lez vait condure et menee. (v. 31674-678)’

Lorsque le trouvère écrit : « Dieu la gouverne », il évoque sans aucun doute moins la navigation que l’héroïne en elle‑même. L’issue de la navigation est une marque de la sollicitude divine à l’égard de la femme persécutée, et préfigure le miracle final de la main ressoudée. Comme Hélène dans la Belle Hélène de Constantinople 696, Joïeuse bénéficie d’un miracle, à la seule différence que le bras est ressoudé par le pape et non par un saint. Si la tradition veut que les miracles soient habituellement réservés aux saints, le fait que Joïeuse puisse en bénéficier est donc un signe d’élection. C’est la réponse de Dieu à la confiance absolue dont elle fait preuve dans les multiples épreuves qu’elle traverse.

Si l’on peut constater une certaine similitude dans les effets de la persécution sur les héroïnes féminines de Lion de Bourges, que cela se situe au niveau de la perte de leur statut social ou de l’abandon de leur identité, on peut néanmoins distinguer des différences au niveau de la relation que ces dernières entretiennent avec Dieu. Or, cette relation joue un rôle fondamental dans la réunification de la cellule familiale et dans la réhabilitation du personnage. Ces deux éléments sont intimement liés et leur étude invite à formuler à nouveau une distinction entre Alis et Joïeuse. Nous avons déjà vu que la progression d’Alis vers un état de perfection spirituelle était soumise au renoncement à certaines pratiques et valeurs participant de la destinée terrestre, et que Dieu lui demandait une constante augmentation de ses souffrances, allant même jusqu’à la mise en péril de son existence. Or, Alis doit vivre pour parvenir à la réunification de sa famille, car cela constitue son unique but :

‘« Ay, sire Herpin, gentilz hons signoris,
Se vous saviez comment je me mai[n]tient toutdis,
Moult en seriez dollant, triste et esbaihis.
C’est pour mon corpz garder que je n’aie mespris,
Car j’ameroie muelx que mez cor fuit occis
Qu’a ung aultre qu’a vous se fuit li mien cor mis.
Ja il ne m’avanrait ne an fait ne an dis. » (v. 2032-038)
La duchesse reclame le Roy de maiesteit,
Et dit : « Perre dez cielz, ne m’aiez obliér !
Dieu, vuelliez moy aidier per vous sainte bonteit
Qu’ancor voie mon filz qui tant ait de bialteit,
Et mon marit aussi que tant ait dezirér ; » (v. 2103-107)’

Ce sont des exemples parmi d’autres des nombreuses occurrences où la volonté de la duchesse s’exprime. Mais, il existe, comme dans le cas de Joïeuse, un point ultime, culminant, où le cours de la destinée s’inverse. Il se situe au moment où Herpin ne reconnaît pas son épouse vêtue de haillons : « pais ne la recognut »697. Seize années se sont écoulées depuis qu’Alis a quitté la cour de l’émir ; elle a atteint l’état le plus profond de la dégradation et la perte complète de son identité, par amour de Dieu : « a l’amour de Dieu fuit sa vie tornee » (v. 18322). Elle a accepté de perdre sa condition de femme, ce que résument fort bien les paroles prêtées à Herpin :

‘[Herpin] dit a sa maignie : « Quelz diable esse la ?
Se n’est pais une femme, je ne lou croira ja ! » (v. 18327-328)’

Mis à part l’intérêt diégétique de l’erreur de Herpin, deux notions dans cette réflexion sont à retenir : le « diable » et « se n’est pais une femme ». C’est‑à‑dire que l’héroïne a atteint le point voulu par le Tout-Puissant, un état de perfection spirituelle supposant l’abandon de toute autre forme de perfection terrestre698. Le dépassement de la condition de femme assure le salut en Dieu : « Car elle est sainte, es cielz en escript est trouvee »699 (v. 18310). Le risque de rupture définitive de la cellule conjugale formée par Herpin et Alis, en raison du projet de mariage forcé du duc avec Florie, fille de l’émir, est un élément d’importance majeure  – d’ailleurs, il motive la présence de la duchesse sur le chemin de Herpin – mais, la forte coloration religieuse imprimée à la destinée de la duchesse Alis invite à le considérer plutôt comme un surenchérissement de l’intrigue. Non fortuit, d’ailleurs si l’on tente d’esquisser un parallèle entre les duels que livrent Herpin et Alis, dans la même ville de Tolède, contre un ennemi de même nature, à seize années700 de distance : Alis a tué le géant Lucien, puis Herpin affronte le géant Orible, nouveau champion de Marsile et frère de Lucien tué par Alis. Comme auparavant, la ville est assiégée et l’enjeu est la main de Florie. La marque de la sollicitude divine (qui se traduit par l’intervention d’une armée de saints sur le champ de bataille) ne s’adresse pas, en réalité, exactement à Herpin. C’est en fait la réponse à une prière de la duchesse, qui supplie Dieu de mettre un terme aux souffrances des habitants de Tolède assiégés par les sarrasins et à sa persécution701. La victoire des troupes chrétiennes ne permet pas à Herpin de retrouver sa liberté, mais elle constitue indirectement un élément de réunification de la famille : en effet, en sauvant la ville, Herpin épargne à Florie un mariage forcé avec le géant Orible ; cette dernière, acquise à la foi chrétienne, déclare son amour au duc qui se voit contraint d’accepter un mariage forcé… On retrouve là une duplication des aventures de la duchesse Alis/Balian, confrontée à double reprise à l’épreuve du mariage forcé. Cela s’intègre parfaitement dans la problématique générale de l’œuvre : alliances matrimoniales, perpétuation du lignage, recherche de l’harmonie familiale et de la stabilité sont au cœur de celle-ci. Et les exemples d’Alis et de Joïeuse montrent à quel point la recherche de l’ordre familial est indissociable de l’accomplissement individuel, dans la ligne de conduite dictée par le Tout-Puissant. Ils montrent aussi combien est fragile l’équilibre recherché, puisque le désordre régnant dans la famille restreinte, sous l’effet du mal, étend son emprise à l’individu.

L’aboutissement du chemin du martyre se situe au point de convergence entre les visées du Père céleste et celles des individus composant la cellule familiale, dont la réunification est possible, parce que chacune des héroïnes a accompli la transformation de son identité. Dans la ligne de conduite suivie par Alis, il paraît donc normal que l’initiative de cette réunification lui appartienne : c’est elle qui choisit de dévoiler à Herpin quelle personne se cache sous les haillons de la « sotte »702 (de même que c’est encore elle qui poussera Herpin à questionner le jeune chevalier vainqueur du tournoi, permettant ainsi la reconnaissance de leur fils). L’identité ne lui sera restituée que par sa reconnaissance en qualité d’épouse, c’est-à-dire au moment où elle parvient à reconstituer la cellule établie par les liens du mariage.

Dans l’ensemble de l’épisode consacré à la reconnaissance entre les seigneurs de Bourges, il y a, sous‑jacent, un glissement de valeurs qui se produit entre les deux protagonistes et qui scelle définitivement leurs destinées. Herpin, héros appartenant à la société carolingienne, s’est incliné à double reprise : devant l’émir et devant Florie ; il a rompu le serment fait à Alis (« se m’ait failly mon signour »703) ; d’abord déstabilisé par le jeu auquel se livre Alis dans la salle du palais où se déroule la fête du mariage, il porte désormais sur lui un regard dévalorisant704 :

‘Et dit : « Sainte Marie, royne coronnee,
Comme cest damme c’est travillie et penee
Et pour l’amour de my encontre tous loeee !
Bien doit de my estre prisie et amee :
Regardés en quelz drapz, pour Dieu, l’ait trouvee,
Et comment elle c’est pour mon corpz demenee !
Et c’elle volcist bien elle fuit honnoree,
Or voy bien qu’elle m’ayme de cuer et de pancee,
Doncque, se je li faus, m’ayme soit dampnee ! » (v. 18922-930)’

Les valeurs attachées à la personnalité héroïque se trouvent déplacées sur le personnage d’Alis, dont le comportement a valeur d’exemplarité. En d’autres termes, selon la duchesse :

‘« Il me tient pour poc saige, maix on poroit prouver
C’on poroit en ly main de sans trouver
C’on ne feroit en moy, ceu puet on dire cler,
Car cil n’est mie saige qui sa foid vuelt faulcer. » (v. 18685-688)’

L’évolution conférée aux seigneurs de Bourges reflète une conception de l’héroïsme, dans laquelle Herpin représente une forme d’engagement désormais privée d’aboutissement, tandis que la duchesse Alis témoigne d’une aspiration vers la perfection par la recherche de Dieu. L’intervention directe du Surnaturel dans sa vie transforme celle-ci, et fait de la perte momentanée de l’identité un facteur d’élévation. Cette héroïne entretient avec Dieu une relation dynamique, tandis que Joïeuse interprète a posteriori les signes qu’elle reçoit du Tout‑Puissant. La présence de Dieu dans sa destinée est constante, mais elle ne se manifeste par aucun signe tangible : pas de songe prémonitoire, pas de voix céleste ; simplement, le cours d’une destinée qui semble flotter dans un entourage hostile, à l’image des nefs qui la conduisent de Chypre à Caffaut, puis de Caffaut à Rome. Joïeuse ne désire rien. Quand elle apprend la présence d’Olivier et de son père, le roi Herpin de Chypre, chez son hôtesse à Rome, elle feint d’être souffrante et se cache705. Mais, Dieu veille ; le messager de sa sollicitude, ce n’est plus le vent, mais l’anneau d’or échappé des mains de l’enfant et qui roule aux pieds d’Olivier706. La réparation offerte à Joïeuse se distingue de celle que l’on a pu observer pour Alis, car le récit condense en une seule séquence la réunification de la cellule familiale707 et la réhabilitation du personnage, par la restauration du statut social et de l’intégrité physique : elle regagne pleinement son statut de reine de Burgos, de femme et de mère. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’Olivier retrouve d’abord son fils, puis, dans un second temps, Joïeuse et sa fille. C’est donc au moment où la famille se reforme que l’héroïne retrouve pleinement son identité, ce qui confirme que le récit consacré à Joïeuse participe pleinement de la thématique de la famille. Ce schéma, mettant sur le même plan la mère et l’enfant, reproduit celui qu’on peut lire dans le Roman du Comte d’Anjou : « Mere et enfant ensemble acole »708, à propos duquel C. Rollier‑Paulian conclut que « ce n’est pas seulement un couple qui se reconstitue à la fin du roman, mais surtout une cellule familiale »709. C’est au terme de ce cheminement que Dieu se manifeste de façon éclatante dans la vie de l’héroïne en lui accordant la restitution de son intégrité physique. Le miracle de la main ressoudée intervient en dernier lieu, comme une justification des épreuves endurées710.

Pourtant, malgré les nombreuses marques de sollicitude de Dieu à l’égard de Joïeuse, elle n’est pas canonisée. Pourquoi lui refuser cette distinction suprême ? La réponse se situe dans les derniers vers du poème : la destinée de Joïeuse s’inscrit dans une dimension familiale et lignagère, ce qui inclut le fait de maintenir l’ordre dans le royaume de Burgos, de le transmettre au lignage qui vengera la mort d’Olivier, tué en Inde par le messager Henry. Alors, Joïeuse peut s’éteindre. « De lie ne des anffan plus n’en parlerait on »711.

La perte provisoire de l’identité est donc liée à un cheminement des héroïnes sur un itinéraire douloureux. À l’imitation des saintes, elles sont invitées à dépasser leur condition féminine pour accéder à un état de gloire : dans la sanctification, pour Alis, et dans la pleine réhabilitation au sein du lignage, pour Joïeuse.

Notes
584.

Conte 938 : La famille dispersée (selon la classification Aarne-Thompson). Cf. également la légende d’Eustache,

585.

Alis subit les conséquences du bannissement : pour les trois larrons qui la trouvent, seule avec son enfant dans la forêt, elle devient une marchandise à vendre (cf. v. 392-393). En ce qui concerne Joïeuse, elle est chassée du royaume de Chypre à la suite de sa mutilation. Bannie, déshéritée, elle ne doit plus jamais y revenir. Elle perd donc ainsi son statut de princesse héritière, mais à son départ, sous la garde de l’écuyer Thierry, elle reçoit une importante somme d’or pour lui permettre de vivre en exil (cf. v. 28144-194). Peu de temps après, en Lombardie, des voleurs lui dérobent son trésor ; elle connaît alors la pauvreté.

586.

La Bible, Gen., 2, 18-25, (La Bible de Jérusalem, trad. sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, Paris, Éd. du Cerf, 1998).

587.

Cf. à ce sujet : G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Paris, Hachette, 1981, p. 27-28, et A. Guerreau‑Jalabert, article « Femme », Dictionnaire du Moyen Âge, dir. C. Gauvard, A. de Libera, M. Zink, Paris, P.U.F., 2002 : « Cette infériorité de fait des femmes s’adosse à un arsenal idéologique copieux (…) ».

588.

J. Mulliez, « L’Âge d’or du souverain. La désignation du père », Histoire des pères et de la paternité, dir. J. Delumeau et D. Roche, Paris, Larousse, 1990, rééd. 2000, p. 43‑72 (p. 56).

589.

Cf. C. Roussel, Conter de geste au XIV e siècle. (…), Genève, Droz, 1998, p. 30-31 : « La présence de plusieurs enfants, nés d’une seule portée, s’inscrit assez logiquement dans cette thématique de la fécondité ». Cf. également les conclusions sur « l’inceste, le changement de sexe, l’opulence perdue et restaurée [qui] participent d’une même thématique » (p. 182).

590.

Conte-type n° 706, répertoire d’Aarne et Thompson, The types of the fokltale, Helsinki, 1973, réimpr. 1977, p. 240-241. Cf. également P. Delarue et M.-L. Ténèze, Le conte populaire français, Paris, 1964, p. 647.

591.

Cf. D. Régnier-Bohler, Histoire de la vie privée (2. De l’Europe féodale à la Renaissance), dir. P. Ariès et G. Duby, Paris, Seuil, 1985, rééd. 1999, chapitre 3 « Fictions », p.332 : Les femmes accusées : « Certains scénarios familiaux, très largement représentés dans la tradition du conte, ont fait l’objet d’un tel nombre de récits romanesques au Moyen Âge qu’il est impossible qu’ils n’aient pas, au plan fantasmatique (…) procuré bien autre chose qu’un divertissement ancré dans la reconnaissance d’une tradition : ainsi, le motif des femmes accusées (…) ».

592.

Ces quatre épisodes (mutilation de l’héroïne, mariage avec le roi, l’épouse calomniée, les mains recouvrées) correspondent au schéma établi par A. Aarne et St. Thompson.

593.

M.-A. Polo de Beaulieu, « La Fille du comte de Poitou », Formes médiévales du conte merveilleux. Textes traduits et présentés sous la direction de J. Berlioz, C. Bremond, C. Vélay‑Vallantin, Paris, Stock, 1989, p. 113‑121 (p. 117).

594.

D. Laurent, préface à la traduction de La Manekine de Philippe de Beaumanoir, par C. Marchello-Nizia, Paris, Stock, 1980, 1995, p. 14.

595.

C. Roussel, op. cit., p. 61.

596.

C. Roussel, op.cit., p. 23. Cf. également D. Régnier-Bohler, Histoire de la vie privée (2. De l’Europe féodale à la Renaissance), op. cit., p.331-333.

597.

Cf. v. 27892-900 et 27935-961.

598.

Notamment dans la Chanson d’Yde et Olive ou bien dans Le Roman du Comte d’Anjou, éd. M. Roques, Paris, Champion, 1931, v. 1577-1590 : les barons recommandent au roi de prier Dieu pour obtenir le pardon de son péché.

599.

Cf. v. 28062-068 :

[Joïeuse] dit : « Perre, tenés couvent a vous moullier,

La royne ma mere que juraiste l’autrier

Que damme ne dobvez prandre ne fiancier

Se bien ne la ressambloit. Et je dit san cudier

Que jou ais fait mon corpz en tel guise changier

Que oncque ma doulce mere qui tant fist a prisier

Ne fuit en telz point. »

600.

D’ailleurs, pourra-t-on réellement parler de repentir ? Certes, Herpin de Chypre est « dollant » (v. 33938, v. 33966 et v. 34003) ; il a « au cuer meschief grand » (v. 33932), il pleure et avoue : « Jamaix tant que je vive mez corpz joie n’arait ! » (v. 33969), mais il n’y pas à proprement parler d’expiation d’une faute. Sur la valeur de l’adjectif dollant employé dans les épopées de la seconde génération, cf. J.-C. Payen, Le motif du repentir dans la littérature française médiévale, Genève, Droz, 1968, p. 217 : il note que cet adjectif confère « une tonalité contritionniste » provenant d’une influence romanesque.

601.

Le thème de l’inconnue rencontrée près du rivage appartient au domaine du conte mélusinien et devient un motif courant dans les œuvres du second âge médiéval. On le rencontre notamment dans La Belle Hélène de Constantinople.

602.

Cf. v. 29769-770 et 29771-774 :

Et aussi colloree environ et entour

Comme roze de rosier ; si fuit de bel atour :

Li yeulx furent vairs comme ung faulcon muour,

S’ot la bouche riant et petite de tour.

603.

Cf. v. 30724 : « (…) et Clarisse qui est plus blanche que fee ».

604.

L. Harf-Lancner, Les Fées au Moyen Âge, Morgane et Mélusine, La naissance des fées, Paris, Champion, 1984, p. 90.

605.

Cf. v. 29781-783 :

Car Amour le maistrie et per ung arc atour

Li ait trait ung quarelz enpennéz per vigour

Qui au cuer l’ait point si que per la salvour…

606.

L. Harf‑Lancner, op. cit., p.117.

607.

L. Harf‑Lancner, op. cit., p. 192. L’auteur évoque notamment l’arrivée de l’héroïne « dans le pays dont elle va devenir reine [qui] n’est pas sans rappeler l’apparition des femmes surnaturelles. Portée par les flots jusqu’à son nouveau royaume (…) ».

608.

Cf. F. Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale. L’Autre, l’Ailleurs, l’Autrefois, Paris, Champion, 1991, p. 214.

609.

Cf. L. Harf‑Lancner, op. cit., p. 192.

610.

C. Roussel, op. cit., p. 198-199.

611.

Le personnage de Béatris est cependant moins noir que celui de Marguerite dans La Belle Hélène de Constantinople, ou bien encore que celui de la comtesse de Chartres dans le Roman du comte d’Anjou. En outre, Béatris est moins prudente que Marguerite : elle ne prend pas la peine de transpercer d’un coup de couteau acéré le cœur du clerc, et celui-ci deviendra l’instrument de sa perte lors du dénouement final.

612.

Cf. v. 31343-352.

613.

Cf. pour l’ensemble v. 32625-643. Ce sont les explications que le châtelain donne à Guillaume et Olivier, lors du dénouement, pour justifier son obéissance à la lettre condamnant la reine au bûcher.

614.

C. Roussel, op. cit., p. 208.

615.

La ruse de Béatris est subtile : elle accuse Thiéry de trahison et lui fait croire qu’il sera pendu. (Cf. v. 31043-103).

616.

Cf. v. 31193-247. Pour garantir la bonne exécution de son plan, Béatris a pris le soin de verser vingt florins au messager et de lui recommander de remettre la lettre au châtelain, et non à la reine.

617.

La lettre informant le roi de la naissance des fils jumeaux – et lui demandant d’exprimer ses souhaits pour le choix des prénoms de baptême – est remplacée par une missive annonçant la naissance de « bestes hideuses », cf. La Belle Hélène de Constantinople, éd. cit., v. 2553‑256 et 2656-2667. La seconde lettre falsifiée est la réponse prudente faite par le roi Henry, sur les conseils du pape Clément, conseillant de ne prendre aucune décision au sujet de cette étrange progéniture jusqu’à son retour (cf. v. 2988-3002).

618.

J.‑C. Vallecalle, « La lettre implicite : remarques sur les messages écrits dans l’épopée médiévale », La lettre et les lettres. Entre-deux, Lyon, C.E.D.I.C., Vol. n° 27, Université Lyon 3, 2006, p. 9-23 (p. 18).

619.

Cf. L. Harf-Lancner, Les Fées au Moyen Âge (…), Paris, Champion, 1984, p. 188.

620.

Cf. N. Laborderie, édition de Florent et Octavien, Paris, Champion, 1991, p. cxxxiii.

621.

Cf. v. 388-416. Comme dans les œuvres s’inspirant du conte T 938, c’est dans la forêt que se situe l’enlèvement, parce que ce lieu hostile est dénué de toute vie, et qu’il est le domaine de prédilection des bêtes sauvages.

622.

Tristan de Nanteuil, éd. K.V. Sinclair, Assen, Van Gorcum, 1971, v. 90 sq.

623.

Guillaume d’Angleterre, éd. A.J. Holden, Genève, Droz, 1988, v. 760-836.

624.

Vers 672.

625.

Cf. principalement v. 694-725.

626.

Le trajet de cette première errance est le suivant : Chypre, la Lombardie, à nouveau Chypre pour reprendre quelques richesses, puis Caffaut.

627.

Cf. v. 28163-168 :

Li roy ait fait banir sa fille du pays

Affin que s’on l’i retrueve jamaix per nulz avis,

Il furent d’acord tout li baron du pays

Que le corpz de la damme serrait en feu bruys ;

Desherritee l’ont dez chaistialz et dez cis

Et de tout le roialme la ou croit Jhesu Crist.

628.

Sur les exils des femmes persécutées, voir D. Régnier-Bohler, Histoire de la vie privée (2. De l’Europe féodale à la Renaissance), dir. P. Ariès et G. Duby, Paris, Seuil, 1985, rééd. 1999, chapitre 3 « Fictions », p. 331.

629.

Cf. v. 28171-194.

630.

« Complication gratuite » du récit, estime C. Roussel, mais « il importe (…) d’insister sur le dénuement extrême de la jeune fille », (Conter de geste au XIV e siècle, op. cit., p. 106). Cf. également La Belle Hélène de Constantinople, chanson de geste du XIV e siècle, éd. C. Roussel, Genève, Droz, 1995, v. 6494 sq.

631.

Vers 29689.

632.

Cf. v. 29681-691, notamment :

La damme repairoit de son noble yreteit

Et du pays de Cipre ou li riche barnez

Liement donne dont, avoir et richeteit,

Richesse et joyaulz et denier monnoiéz.

633.

C. Roussel, op. cit., p. 106.

634.

Ce détail est signifié dès le départ, par le châtelain de Caffaut, (v. 31644 : « Et dient que la damme toute soulle s’en yrait »), et lors de l’arrivée du bateau à Rome par l’étonnement de la femme du sénateur, cf. v. 31687-692.

635.

Cf. 31640-657.

636.

Vers 31661 : Et le vent la conduit que forment l’alonga.

637.

Cf. M. de Combarieu, « Le nom du monde est forêt. (Sur l’imaginaire de la forêt dans le Lancelot en prose) », Cahiers de Recherches Médiévales, n° 3 Champion, 1997, p. 79-90 (p. 86).

638.

H. Akkari, « Mère, tu souffriras et tu erreras : La souffrance et l’errance de la mère dans La Belle Hélène de Constantinople et dans Florent et Octavien », Bien dire et bien aprandre n° 16 (La Mère au Moyen Âge), Lille, Centre d’Études Médiévales et Dialectales de Lille 3, 1998, p. 7-18 (cf. p. 9).

639.

H. Akkari, « Mère, tu souffriras et tu erreras (…) », art. cit., p. 12-13.

640.

J.-P. Martin, Les Motifs dans la chanson de geste, Définition et utilisation (Discours de l’Épopée Médiévale, I), Lille, Université de Lille III, Centre d’Études Médiévales et Dialectales, 1992, p. 349 : motif modalisateur 4.d.7.

641.

Cf. A. Georges, Tristan de Nanteuil, Écriture et imaginaire épiques au XIVe siècle, Paris, Champion, 2006, p. 546‑547.

642.

Jacques de Voragine, La Légende dorée, traduction J.-B. M. Roze, Paris, Garnier Flammarion, 2 vol., 1967, t. I, p. 397-398 ; cf. égalementVie et office de sainte Marine, éd. Clugnet, Paris, Picard, 1905.

643.

Jacques de Voragine, La Légende dorée, éd. cit., Vie de sainte Pélagie : t. II, p. 266‑268 ; Vie de sainte Marguerite : t. II, p. 268-270.

644.

Le faux message dicté par Béatris ordonnait que Joïeuse et ses enfants soient brûlés vifs. Il est assorti de menaces violentes à l’égard du châtelain de Caffaut et de son lignage si les ordres ne sont pas respectés, cf. v. 31124-144.

645.

Garnier d’Origon ne doit sa triste fin qu’à son acharnement à vouloir condamner Joïeuse et ses enfants au bûcher ; c’est un espion envoyé par Béatris, payé par elle (v. 31588), qui fait peser une réelle menace sur l’ensemble des barons de Caffaut (v. 31473-478). Or, ceux-ci ont déjà choisi d’épargner la reine et ses enfants.

646.

J.-P. Martin, Les Motifs dans la chanson de geste (…), op. cit., p. 349.

647.

Cf. pour l’ensemble v. 656-694, et notamment :

« Laisse, dit la duchesse, que mez corpz est chetis !

Jai solloit a honnour mez corpz estre servis,

Or sus aussi meschans, changiéz c’est mon aby ! » (v. 678-680)

648.

Cf. v. 760-793 et notamment :

En guise d’omme estoit la duchesse paree :

Bien sambloit jonnes hons, la faice ot colloree. (v. 758-759)

Cudent que fuit ung hons, la maignie privee ; (v. 771)

Car antandre faisoit qu’elle estoit renoye,

Et qu’elle ne creoit Dieu n’en sainte Mairie ; (v. 788-789)

Cf. également v. 1427-483 : Grâce à son déguisement, Alis bénéficie d’un certain confort dans les cuisines de l’émir de Tolède et s’attire la sympathie de son entourage, non sans ambiguïté d’ailleurs :

Moult sambloit biaulz verlet, car clere ot la fesson ;

Forment l’avoient chier paien et Escalvon,

Car moult lointempz avoit estés en la mason. (v. 1438-440)

649.

Tristan de Nanteuil, éd. cit., cf. v. 3049-079, et notamment :

« Je me fis chevalier, Gaudïon fuy clamés,

Et poursuyvy les guerres et les estours mortelz ». (v. 3059-060)

650.

F.-J. Beaussart, « Héroïsme ou sainteté. Les versions religieuses et profanes de l’histoire de Florence de Rome », PRIS‑MA, t. XVI/1, n° 31, Poitiers, Erlima, 2000, p. 3-30 (cf. p. 15).

651.

H. Legros, « La sainte : héroïsme et perfection au féminin », PRIS-MA, t. XVI/2, n° 32, Poitiers, Erlima, 2000, p. 231-248.

652.

Ou même encore avec Florantine et Marie : celles-ci s’enfuient du palais de Reggio de Calabre sous des vêtements d’écuyers (Florantine la belle print esbit d’escuier), mais les troquent dès le lendemain pour des vêtements de bergers (cf. v. 10000-10016). Cette apparence est très vite abandonnée, pour pouvoir pénétrer dans l’abbaye qui leur servira de refuge (cf. v. 10688-707 : « ne somme point home (…) / Ensois somme pucellle (…) »).

653.

Fierabras, chanson de geste du XII e siècle, éd. M. Le Person, Paris, Champion, 2003, v. 2105-2143 (description de Floripas) et v. 2188-2197 (Floripas frappe Brutamont d’un coup de bâton : « Si que les euz li fist de la teste voler »…).

654.

Dans cet ensemble d’épreuves, le premier ennemi est l’assaillant sarrasin, en l’occurrence le roi Marsile représenté par son champion, le géant Lucien. On retrouve là une brève incursion de la dimension épique, avec le rappel de la mort de Roland à Roncevaux (v. 1487) et le projet de guerre contre Charlemagne (v. 1516). Mais, pour l’heure, l’enjeu de la paix est la main de Florie, fille de l’émir.

655.

Pour le duel contre le chevalier persan, cf. v. 2048-2198. L’issue de ce duel revêt la forme traditionnelle du genre et aboutit aux aveux du vaincu :

Au ferir per dessus et au cop c’on li rant

Le despiessait la damme et permy le porfant ;

Pués fiert sur le paien moult randonneement,

L’orelle li detranche et le nez assiment.

656.

Cf. v. 2228-2291. Le récit de cet affrontement est relativement bref ; il comporte les traits hyperboliques caractéristiques du genre épique, opposant deux cent mille Turcs à trois mille vassaux conduits par Alis/Ballian, qui fait voler en éclats la tête d’un roi turc.

657.

Comme pour le héros épique masculin, la vaillance de la duchesse Alis – sous les traits de Ballian d’Aragonne – suscite l’engagement de vingt mille habitants de Tolède, qui choisissent d’abord de rester cachés à l’abri des murs de la cité.

658.

Cf. également : « N’est pas euvre de femme ou me sus atornee ! » (v. 1662)

659.

C. Roussel, Conter de geste au XIV e siècle. (…), Genève, Droz, 1998, p. 180-181.

660.

Tristan de Nanteuil, éd. K.V. Sinclair, Assen, Van Gorcum, 1971, v. 3015-017 :

« – Qui estes, dist Ganor, qui parlés de Jhesum ?

Au parler me semblés dame Aye d’Avignon,

Et quant je vous regarde, ung Sarrasin felon. »

661.

Ibid., v. 1803-1865.

662.

A. Georges, op. cit., p577.

663.

M. Éliade, Traité d’Histoire des Religions, Paris, Payot, 1970, p. 355.

664.

La princesse païenne exige que le chevalier réponde à son amour.

665.

Cf. v. 2646-2658. Dès qu’il voit la duchesse, l’émir décide de l’épouser.

666.

Cf. v. 2615-632.

667.

La nouvelle de la disparition d’Alis provoque une vive colère chez l’émir, persuadé que Florie est responsable :

Vous l’avés fait morir, bien voy comment il vait,

Car vous aviez pauour c’elle eust anffan ja

Que n’eust de vous terre ou desa ou dela ; (cf. v. 2782-789).

668.

Cf. v. 719-725. (Alis, habillée en homme, s’embarque sur une nef à destination de la Terre Sainte, en prétendant avoir une faute à racheter).

669.

Cf. v. 1447-1464.

670.

Cf. v. 2484-2500.

671.

Ainsi, la duchesse Alis joue le rôle d’un chevalier dévoué à sa dame, pour l’amour de laquelle il a tué le géant, et préférant périr sur un bûcher plutôt que de souiller l’honneur de celle-ci. (cf. v. 2434-2461).

672.

Cf. v. 33930-34004. C’est d’ailleurs Herpin de Chypre qui apprendra à Olivier le véritable prénom de l’héroïne.

673.

Cependant, le trouvère ne s’attarde pas sur ce sujet ; un seul vers lui est consacré : « Le roi Herpin court qui la cognut briefment » (v. 34235). Un développement plus long est consacré au miracle de la main ressoudée.

674.

Cf. v. 29737 : « J’ai a nom Trestouze ens ou mien tennement. »

675.

Cette justification est reprise dans la suite du récit, lorsque Herpin de Chypre confronte ses souvenirs à ceux d’Olivier, cf. v. 33939 sq.

676.

C. Roussel, op. cit., p. 103. Cf. également C. Marchello-Nizia, postface à La Manekine, Paris, Stock, 1995, p. 208.

677.

Pour l’explication de ce nom, cf. C. Marchello-Nizia, postface à La Manekine, op. cit., p. 205.

678.

Cf. v. 31714-738. Ce même type de mensonge existe dans La Belle Hélène, lors de l’arrivée de l’héroïne à Rome ; celle-ci refuse de se faire reconnaître par le pape Clément (son oncle) et invente une histoire de larrons qui lui auraient coupé le bras pour la punir de ne pas leur céder (cf. La Belle Hélène de Constantinople, éd. cit., v. 10614-627).

679.

Cf. A. Georges, Tristan de Nanteuil, Écriture et imaginaire épiques au XIVe siècle, Paris, Champion, 2006, p. 613.

680.

On se souvient que, lors de sa fuite après l’attaque des voleurs, toute la flotte des navires se rendant en Terre Sainte est détruite, sauf la nef sur laquelle se trouve la duchesse « per le volloir de Dieu » (cf. v. 727-740). Cela constitue pour Alis une première marque de la volonté divine qui la conduit à Tolède, et non en Terre Sainte où elle pensait retrouver Herpin :

Et dit : « Vierge Marie, royne corounnee,

N’estoit pais vous volloir que je m’an fuisse allee

En la Sainte Citeit que tant est ahoree,

La ou la chair vous filz fuit en la croix penee.

Pués que c’est vous plaisir que si soie arivee,

A tous lez jour du monde yer si ma vie uzee. (…) » (cf. v. 747‑756).

681.

Cf. v. 1492-1517 (Quinze piet ot de long ; ung diable l’anjanrait,…).

682.

Cf. v. 1570‑1599.

683.

V. 1597.

684.

Cf. v. 1723-1729 :

Elle ait dit au joiant : « Petit m’as resoingniér !

Ne sus pais Sairaisin, pais n’ait cuer renoier ;

Ensois sus crestien, car on m’ait baptisiér.

Si te fais assavoir, Dieu m’ait si anvoiér

Pour toy mettre a exil, de toy arait vangiér

Trestouste crestienteit si loing car elle siet,

Que jamaix per ton corpz n’an seront exillliér ».

685.

Cf. pour l’ensemble, v. 1754-1757.

686.

La transformation du personnage d’Alis incite à établir quelques comparaisons avec les héros du poème, ce qui est une occasion de prendre la mesure de la distance qui la sépare des héros en formation, tels que Lion et Olivier ; mais leurs détours sont des étapes indispensables dans leur initiation.

687.

Cf. également v. 2725-730 : La notion d’opposition entre richesse et privation, honneur et humilité est clairement exprimée.

688.

H. Legros, « La sainte : héroïsme et perfection au féminin », PRIS-MA, t. XVI/2, n° 32, Poitiers, Erlima, 2000, p. 231-248 (cf. p. 242).

689.

L’auteur reprend à plusieurs reprises les mêmes descriptions de l’état de mendicité de la duchesse Alis. Elle détruit les riches vêtements donnés par Florie, noircit son visage, revêt des haillons, etc. : cf. v. 2744-756, 2763-766, 2862-870. (On ne doit cependant pas oublier qu’il y a toujours nécessité de se cacher pour ne pas être reconnue et reconduite au palais, cf. v. 2755). La description de l’état de mendicité de l’héroïne reprend celle d’Hélène dans La Belle Hélène de Constantinople, éd cit., v. 10282-286.

690.

H. Akkari, « Mère, tu souffriras et tu erreras : La souffrance et l’errance de la mère dans La Belle Hélène de Constantinople et dans Florent et Octavien », Bien dire et bien aprandre n° 16 (La mère au Moyen Âge), Lille, Centre d’Études Médiévales et Dialectales de Lille 3, 1998, p. 7-18 (cf. p. 12).

691.

Cf. v. 1567-568 et v. 2876-879.

692.

Cf. pour plus de détails : v. 31492-500 et 31663-667. Cf. également v. 31529-531 :

La damme est a genous, moult estoit son corz mat.

Triste et abaudie souvent disoit « Elas ! »

Disant : « Roy Ollivier, moult bien trays m’as ! »

693.

Ce sont les derniers vers de la longue prière – un « credo épique » – que Joïeuse adresse à Dieu, au pied du bûcher où elle doit périr (v. 31533-575). L’emploi de la formule rituelle si comme c’est voir en fin d’oraison, après l’énumération des passages essentiels des écritures saintes, rattache cette prière au modèle décrit par E.R. Labande (« Le credo épique. À propos des prières dans les chansons de geste », Recueil de travaux offerts à M. Clovis Brunel, Paris, 1955, Société de l’École des Chartes, vol. II, p. 62-80). Cf. également M. Rossi, « La prière de demande dans l’épopée », La prière au Moyen Âge, Aix‑en‑Provence, CUER MA, 1981, p. 449-475.

694.

Vers 31524.

695.

Cf. v. 31668-670 :

Pués dit a l’autre mot : « Li Roy qui tout crea

Li vuelle pardonner, aultre chose n’i ait,

Car je me rent a Dieu qui bien me conduira ».

696.

La Belle Hélène de Constantinople, éd. cit., v. 15390-446.

697.

Cf. pour l’ensemble v. 18276-279 :

Pais ne la recognut ; elle estoit achiemee

Tout ainsi c’unne sotte doit estre gouvernee :

Ces draipes li traynoient, si estoit couvetee

Ensi que ung meschans qui de malle houre est [nee].

Cf. également v. 18407-423, et plus particulièrement le vers 18420 : « Ne samble mie fame selon mon ensiant ».

698.

Cela est suggéré par les vers 18313-319, qui font référence à l’état antérieur d’Alis :

Malz pansait que ceu fuit la duchesse alosee

Que per si grant amour ot jaidis espozee

Et qui pour li laissait sa terre et sa contree

Et que geisant laissait es boix en sa ramee.

Jamaix ne lou cudaist, n’y eust avisee,

Car la damme gentil de tres noble lieu nee

Estoit tant povrement la androit atornee…

Le même concept est repris dans les vers 18454-470 : Herpin évoque la noblesse et la beauté de sa femme qu’il croit morte.

699.

V. 18310. Cf. également v. 18280 : « Mais elle en est es cielz haultement coronnee ». Ce dernier vers offre une belle opposition entre l’état de déchéance extrême décrit dans les vers précédents et cette royauté célestielle.

700.

C’est ce que laisse supposer le vers 18569 : « J’ai estéit seize ans a grant chetivison », se plaint la duchesse Alis.

701.

Cf. v. 17637-644 :

La duchesse gentis que Aelis ot a nom

Estoit en la ville per teilt chetivison

Que ne poit mais durer per nulle ocqueson ;

En son cuer prie a Dieu qui souffrit passion

Que de mal la deffande et qu’an courte saison

Puist estre secorrue de sa persecucion.

Dieu oyt la priere ; per Herpin son baron

Fuit la citeit sauvee et li paien felon.

702.

Cf. v. 18479-495.

703.

Comme Joïeuse, Alis pense avoir été abandonnée par Herpin ; de nombreux doutes l’assaillent :

« Elais, dit la damme, et qu’esse de baron ?

Tost oblient lour femme, bien veyr le puet on ». (v. 18567-568)

« Il ne me prise mie la monte d’un bouton ! » (v. 18587)

Mais, ce sentiment est contrebalancé par la bonté et l’indulgence d’Alis, ce qui contribue à renforcer son appartenance au modèle de la sainte martyre (cf. v. 18589-620).

704.

Cf. v. 18682-758. Dans un premier temps, Alis refuse la nourriture que lui fait distribuer Herpin, ce qui suscite chez ce dernier une certaine incompréhension, bientôt remplacée par une vive inquiétude.

705.

Cf. v. 34185-188. Ce comportement se justifie par la crainte. Comme Hélène dans La Belle Hélène de Constantinople (éd. cit., v. 11779-790), Joïeuse ignore tout de la falsification de la lettre et des intentions réelles de son époux et de son père.

706.

Cf. v. 34196-207.

707.

Plus exactement, il faudrait écrire : « des cellules familiales », car Joïeuse retrouve en même temps son père, le roi Herpin de Chypre.

708.

Jehan Maillart, Le Roman du Comte d’Anjou, éd. M. Roques, Paris, Champion, 1931, v. 5946. (Pour l’ensemble, cf. v. 5945-5956).

709.

C. Rollier-Paulian, « L’image de la mère dans le Roman du Comte d’Anjou », Bien dire et bien aprandre, n° 16 (La mère au Moyen Âge), Lille, Centre d’Études Médiévales et Dialectales de Lille 3, 1998, p. 247-260 (p. 257).

710.

Cf. v. 34256‑258.

711.

Vers 34291.