c) - Prise de conscience des handicaps

Pour se mettre en œuvre, le processus de genèse de Lion et d'Olivier nécessite une errance – plus ou moins longue – faisant suite à la découverte de la vérité sur leur condition d'enfants adoptés. L’errance entreprise alors n’a rien de gratuit ; elle est nécessaire dans le sens où elle permet de prendre conscience des handicaps et de comprendre quels sont les modèles auxquels il faudra désormais s’identifier pour parvenir à la réalisation de leur idéal. Elle est indispensable dans l'optique de la recherche des origines. Si l'on peut déceler dans Lion de Bourges les traces d'une influence romanesque – ne serait‑ce, par exemple, que l'évolution en elle‑même du personnage héroïque au cours du poème783 – la thématique de l'errance, longuement exploitée dans le roman arthurien, ne l'est pas ici aux mêmes fins. Lorsque Lion et Olivier quittent la maison où ils ont été élevés, ils ont un but précis. On peut rapprocher les propos que Lion tient à Bauduyn de Monclin de ceux tenus par Olivier au vacher Élie :

‘« Sire, s'ai dit Lion, tout aultrement yrait,
Car per celui Signour qui le monde estora
Jamaix tant come je vive mez corpz ne finera
Jusques a ycelle houre, ne vous en faurait ja,
Que vous arait randut, ja maille n'an faura,
Ceu qu'avés fait pour my pués que on me trouva
Deden le boix ramaige; ne sai qui m'i laissa.
Or comprandés : l'avoir on le vous randera
Tout denier a denier au plus pres c'on porait ;
Et quant sou arait fait, li mien corpz s'an yrait
Tant per terre et per mer que trouvee serait
La graicieuse dame que nuef moix me pourtait,
Et li perre aussi qui mon corpz engenrait. » (v. 3754‑766)
« Sire, dit Ollivier, or me lait Dieu aller
En pays ou je puisse teillement prouffiter,
Ou je puisse, biaulz sire, telle honnour conquester
De quoy je vous en puisse aidier et confforter,
(...)
Tant avés fait pour my, moult vous en doie louer. » (v. 24780‑786)’

C'est le même désir qui s'exprime : rendre au centuple les bienfaits reçus, parce que cela doit se faire par l'épreuve prouvant la valeur héroïque, par la conquête de l'honneur, et entreprendre la quête des origines. Ces déclarations présentent de fortes similitudes avec celle de Galien, lorsqu'il apprend qu'il est le fils d'Olivier784. En revanche, ces scènes présentent peu de points communs avec le départ de Perceval, qui ne s'intéresse pas à ce que lui dit sa mère au sujet de son père et de ses frères, qui ne cherche pas à comprendre. Il ne part pas pour venger un honneur ; il veut simplement aller voir le « roi qui fait les chevaliers » et s'intéresse plutôt à la nourriture :

‘Li vaslez antant mout petit
a ce que sa mere li dit.
« A mangier, fet il, me donez.
Ne sai de coi m'areisonez,
mes mout iroie volantiers
au roi qui fet les chevaliers,
et g'irai, cui qu'il an poist. » (Le Conte du Graal, v. 487‑493)785

Peu de points communs aussi avec l'errance symbolique du chevalier arthurien, telle que la décrit Calogrenant dans les premiers vers du Chevalier au Lion 786, où « l'exercice du libre arbitre », selon Micheline de Combarieu787, préside à la destinée. Pourtant, l'errance de Lion et celle d'Olivier seront très longues ; elles les conduiront jusqu'au Moyen-Orient où elles peuvent alors revêtir des aspects plus typiques de la littérature romanesque, avec la rencontre de créatures monstrueuses détenant prisonnières, dans des tours imprenables, des jeunes filles. Mais la succession d'épisodes de combats contre des géants ou des nains, pendant laquelle s'installe l'impression d'inutilité, voire de piétinement, n'est que provisoire ; elle survient sur la route des héros, alors que ceux‑ci sont à la recherche de leur père. Si Lion se rend à Chypre, c'est uniquement parce que le roi de cette île détenait Herpin de Bourges dans ses geôles. Et l'on sait que ce sera peine perdue, puisque, entretemps, Herpin a été envoyé en cadeau à l'émir de Tolède... Ce détail appelle une dernière comparaison au sein même de l'œuvre. Le poète relate différentes errances : celles de la duchesse Alis, du duc Herpin de Bourges ou bien encore de Joïeuse. Dans ces trois cas, nous avons noté que le personnage n'était plus maître de sa destinée. Il subissait le poids de jalousies ou de guerres contre lesquelles il ne pouvait agir. Hatem Akkari a remarqué que si l'errance des chevaliers, dans les romans médiévaux, est volontaire, celle des femmes, en revanche, est souvent imposée par l'exil788. Ce thème que l'on rencontre dans les œuvres traitant de la famille dispersée est ici largement utilisé sur des personnages masculins aussi bien que féminins, avec des épreuves dégradantes, un camouflage de l'identité pour se préserver et, au final, une dépossession du statut aristocratique. L'exemple de Lion et d'Olivier nous invite à suivre un procédé inverse, car ils vont devoir acquérir ce statut.

Dès le début de son errance, lors de ses premières confrontations avec le monde extérieur, le héros prend conscience du fait qu’il est porteur de handicaps significatifs, dont certains tels que l’absence d’origines et de terres, la pauvreté, le manque d’éducation et l’ignorance du maniement des armes (en ce qui concerne Olivier), ou bien encore la bâtardise – pour évoquer Girart –, sont de nature à lui interdire l’accès au statut qu’il rêve d’acquérir. Or, celui‑ci se définit par des critères strictement codifiés : l'appartenance à une famille noble doit pouvoir se justifier par des attaches certifiées à des ancêtres illustres et se construit sur des racines anciennes ; la notion de noblesse implique une idée de classe fermée. C'est à cette dernière qu'appartiennent les valeurs représentatives de la chevalerie : « la supériorité et l'excellence »789. Tout ce qui fait défaut aux jeunes protagonistes de Lion de Bourges va prendre corps sous leurs yeux dès leur départ de Monclin, de la ferme d'Élie ou de Monrochier. Ce sont des modèles, auxquels il leur faudra s'identifier, qu'ils vont découvrir. À Monlusant, Lion observe chez les autres participants leurs titres de noblesse, la richesse de leur équipement, leur suite nombreuse de chevaliers et de musiciens, etc. La description hyperbolique du défilé des concurrents précédant le tournoi ne déroge pas à la règle en ce sens et le poète va utiliser pleinement un jeu d’oppositions entre les caractéristiques des participants et l’absence de celles-ci chez Lion. Par exemple, cela est souligné par de petites mises en scène bien précises dont le récit est très riche ; ainsi, on verra défiler quatre fils de roi (suivis de quarante ou de cinquante chevaliers), quatre ducs, douze comtes… et « Lion et son verlet qui ne furent que doy »790. Au-delà de l’effet presque comique produit par le contraste, on lit dans ces passages une réalité instructive, celle de l’exacte situation du héros dans Lion de Bourges. Cette solitude n’est pas réservée à Lion ; à son départ de la ferme d’Élie, Olivier traverse la même épreuve :

‘Ensi s’acheminait Ollivier que je vous dis.
Vers la terre d’Espaingne chevalche li maistis,
Dollant et corroussiéz et forment asouplis.
Il ne sceit ou aller ne y estre vertis.
Li anffe ne cognoit ne parrans ne amis,
Homme que li atiengne, dont il est abaubis. (v.24810-815)’

Personnages isolés, donc, les héros du poème ne peuvent se prévaloir d’aucun entourage susceptible de leur apporter quelque assistance ou conseils, à la différence des héros épiques des premières épopées qui « apparaissent en général solidement insérés dans le double réseau des relations familiales et des relations vassaliques », comme le constate Alain Labbé791. Pas de couple épique non plus, qui pourrait rappeler les couples épiques célèbres tels que celui de Roland et Olivier, ou ceux traversant les chansons du Cycle de Guillaume, où oncles et neveux sont unis par une solidarité infaillible. Cette carence ne sera comblée qu’avec l’apparition du Blanc Chevalier et celle, progressive, de la réunification de la famille dispersée. L'abandon du procédé de construction plurielle du héros, qui apparaît progressivement dans les poèmes au cours du XIIIe siècle, favorise l'émergence de la figure centrale telle qu'elle se trouve représentée dans notre poème. Figure centrale non pas unique mais multiple : les carences qui affectent Lion ne sont pas celles qui toucheront Olivier, et Girart connaîtra un autre handicap. Pourtant, sous ses multiples facettes, le personnage du chevalier en devenir dans Lion de Bourges résume à lui seul toutes les interrogations, les remises en question qui touchent la classe chevaleresque dans le second âge féodal.

Avant d’entreprendre le long cheminement au terme duquel il obtiendra la confirmation de ce que, encore enfant, il pressentait, le héros doit connaître une étape de déstabilisation au cours de laquelle il ne possède aucun repère qui lui permette de se construire. Dans cette phase, la problématique dominante est l'absence d'une image paternelle à laquelle s'identifier ou bien, de façon apparemment contradictoire, une image trop forte, inaccessible, comme cela est le cas pour Girart. Si on peut retenir, pour Lion et son fils Olivier, l'ignorance des origines comme facteur déterminant de leur volonté, on pourra constater, dans le cas de Girart, que la découverte de liens du sang à justifier constitue aussi une mise à l'épreuve valorisante.

L'ignorance des origines constitue la clé de voûte de la problématique, car l'absence de nom prive le héros d'identité dans le présent, mais elle le prive aussi de son « propre passé généalogique »792. La découverte de la vérité, à la suite des révélations d'Élie et de Bauduyn, a déjà donné à comprendre à Olivier et Lion qu’ils sont dépourvus d’identité ; ainsi, celui‑ci se lamente :

‘« Ay, vray Dieu, dist il, qu’i me doit annoier
Quant je ne me saroie en ceu monde acointier
A homme qui m’atiengne pour moy a adressier ;
Si ne sai qu’est mes pere, vecy grant encombrier,
Ne ma mere aussiment que Jhesu vuelle aidier.
Ung povre trovés sus (…) » (v. 3812-817)793

Lorsque Bauduyn de Monclin avait révélé à Lion qu’il était un enfant trouvé dans les bois794, ce dernier avait immédiatement pris conscience qu’il pourrait ne pas être issu de sang noble, puisqu'il ne peut se rattacher à aucun lignage, – ce qui constitue un handicap majeur :

‘« Ung povre trovés sus et si vuelz chevalchier
Et en arme courir, jouster et tornoier.
Ceu n’est point mes estet, il lou me fault laissier,
Et permy le pays aller comme trottier ». (v. 3817-820)795

La situation initiale du héros, dans Lion de Bourges, fait toujours apparaître combien sont importants les liens du sang dans une classe qui se définit par rapport à ce critère. Howard Bloch donne cette définition du statut noble : « On naît aristocrate, et le statut noble est, par définition, hérité ; en principe, il ne peut ni se mériter ni s'acquérir. " Être noble ", encore une fois, " c'est se référer à une généalogie " (…) »796. Si précieux soit-il, le lien affectif créé par l’adoption ne saurait donc compenser la nécessité de connaître ses origines. La privation de l’image paternelle est ressentie comme une faiblesse et place le jeune chevalier en situation de solitude. Isolé et coupé de ses racines, il se définit par rapport à un manque :

‘« Je ne sai dont je sus ne de confait rengner,
Ne saip qui fuit mes perre ne de queil hyretés ». (v. 4112-113)’

Il apparaît alors que, quel que soit le niveau où se situe cette prise de conscience, il ressent comme un handicap le fait de ne pas connaître son identité, – ce qui doit être envisagé sous deux aspects : l'aspect intérieur, c'est‑à‑dire la blessure profonde, ce qui lui manque pour trouver son identité, se situer dans un lignage ; l'aspect extérieur, c'est le jugement des autres, par exemple les réactions des demoiselles de compagnie de la princesse ou bien celles des autres chevaliers, tout ce qui est mis en évidence pour constituer un empêchement au mariage avec l'héritière de la couronne et, par conséquent, l'accession à un nouveau statut. Cet état de contradiction prend toute sa dimension lorsque le jeune chevalier se trouve confronté au monde du tournoi et aux questions de la princesse dont la main est l’enjeu du tournoi, parce qu’il y a, a priori, incompatibilité entre conquête de la couronne et absence d’identité :

‘« Au tornoy suis venus comme hons avantureux,
Car ne sai dont je sus, trouvés fuit avec leux ;
Oncque ne vy mon perre, dont je sus moult honteux,
Ne ma mere aussiment au gens corpz savoureux ; » (v. 6095-098)’

Ce genre de situation n'est pas nouveau dans la littérature épique. La chanson de Parise la Duchesse en donne un exemple : lorsque le roi de Hongrie exprime le souhait de donner sa fille en mariage à Huguet, les réactions de certains membres de l'entourage royal sont éloquentes797.

La principale crainte engendrée par l’absence d’origines est celle d’être appelé « trouvé ». Ce mot revient constamment dans les plaintes de Lion798, mais il le refuse :

‘« Mais qui m’appelleroit « Le chevalier trouvés »,
Je croy per mon droit nom m’averoit appellés
Mais ne vuelt pas tel nom, per ma crestienteit ! » (v. 4158-160)’

Ce type de comportement ne se retrouve pas systématiquement dans les chansons mettant en scène des enfants nobles trouvés et éduqués par des parents adoptifs. Ainsi, en des circonstances relativement similaires, Doon affiche sa condition d'orphelin lors du tournoi de Valvenise, en choisissant comme devise : « A ce povre trouvé qui n'a nul compaignon »799.

Cette condition d'enfant trouvé entraîne chez Lion une véritable obsession : il redoute de ne pas appartenir à la noblesse. Au départ de Monclin, ses doutes le conduisent à se déprécier, et, à ce moment de sa genèse, il est tenté par la substitution d’une image négative de son père à celle qu’il souhaiterait positive800. Ainsi, la recherche des origines se définit comme le point névralgique de l’insertion du héros en devenir dans une société structurée et le manque d’ancrage dans un groupe défini constitue donc le premier handicap à la réalisation de son idéal chevaleresque.

À ce sentiment, s’ajoute la hantise de ne pas savoir à quelles attaches géographiques se relier801. Plus qu’une possession matérielle ou un héritage, la notion de terre est alors ressentie comme un élément constitutif de l’identité, car la terra paterna est par nature la terre des ancêtres, celle qui donne le nom, l'identité. La conception médiévale opère une fusion étroite entre possession du fief et continuité du lignage. L'évolution que le poète donne à la quête entreprise par Lion est représentative de cette conception. En effet, dès son départ de Monclin, les premiers indices qu’il recueille auprès de l’écuyer Ganor lui apportent la quasi certitude d’être le fils du duc Herpin de Bourges802, banni par Charlemagne et dépossédé de son fief. Ce faible indice joue en réalité un rôle très important dans le cheminement du héros car cela sous‑tend une nouvelle relation complexe entre : désir de retrouver ses parents, vengeance du duc Herpin et reconquête du fief de Bourges803, – preuve supplémentaire de l'ancrage épique du poème par l'utilisation du motif de la vengeance du père. Pourtant, la chanson de Lion de Bourges n'est pas une épopée de vengeance, à la différence de ce qu’on perçoit, par exemple, dans Raoul de Cambrai. Lion commence ainsi à prendre progressivement conscience d’une nouvelle notion, celle de l’ancrage dans une lignée, de l’appartenance à une terre sur laquelle il considère qu’il a des droits : « s’an sus desherritéz » affirme-t-il à Ganor804. Désormais, la recherche de son identité inclura celle de la terre d’origine. Établissant le lien entre paternité et propriété, Howard Bloch affirme que « l'histoire de la famille noble est, en son fond, celle de sa terre » et que « la dévolution de la terra propria reste indissociable du lignage »805. À partir de ce moment dans le parcours du héros, on remarque que l’idée directrice – la recherche des origines – se modifie en ce sens et qu’elle prend une nouvelle amplitude. Cela se vérifie dans les propos que Lion tient à Florantine lors de leur première rencontre :

‘« Mais je sus filz au duc qui fuit comme dollereux
Chaissiéz de son pays si que n’antrent doulx neux ;
Mais se je vous avoie, tant seroie soingneux
Que lou reconquierroie contre lez traytour
Qui mon perre enchaisserent qui estoit vertueux,
Car per yaulz ait perdut ma terre et mez honnour
Et mon perre et ma mere, dont je sus angoixeus. » (v. 6102-108)’

Cela ne se reproduit pas de la même façon chez Olivier, qui ne possède aucun indice de cet ordre. Son adoption par le vacher Élie avait fait de lui un « fils de vilain », et les révélations du Blanc Chevalier, sur le champ de bataille dans l’armée d’Anseïs de Carthage ou celles de la voix céleste entendue pendant la nuit, ne concernent que la recherche de ses parents, Lion et Florantine806. À cette étape de sa genèse, Olivier ignore les reconquêtes qu’il faudra entreprendre en faveur du lignage.

Bien que la perception des manques évoqués ci‑dessus ne concerne a priori que la conscience intime du héros, il reste cependant difficile d'établir une stricte délimitation entre ceux‑ci et les handicaps qui peuvent être perçus de façon plus tangible par l'entourage, tels que l'absence d'armoiries ou bien encore la pauvreté. Chaque élément se trouve étroitement lié aux autres, dans le sens où chacun concourt à la constitution de la personnalité héroïque. Ils sont indissociables.

L’ambiguïté de la situation des héros dans Lion de Bourges réside dans le fait que les épreuves qualifiantes – le tournoi ou la bataille – doivent être accomplies alors qu’ils ne possèdent aucune des clés leur permettant de s’intégrer dans la société féodale, initiatrice et juge de ladite épreuve. Il y a une sorte d’incohérence dans l’ordre établi, ce qui suscite chez les chevaliers participant au tournoi de Monlusant des réactions de ce style :

‘(…) « Vecy grant derverie
C’uns simple chevalier et de baisse lignie
Emporte du tornoy la haulte signorie.
C’il li demoure ansi, se serait villonnie. » (v.7091-094)’

Mis à part le sénéchal de Florence807 qui a pu reconnaître les armes de Monclin, portées par Lion (bien que le texte ne soit pas explicite à ce sujet808), l’absence de nom et de titres, placée en opposition à la prestance du jeune homme sur la lice, donne ainsi lieu à des questions et des réponses, où la périphrase remplace le nom :

‘« Vées cy chevalier qui tant par est herdis,
Que dessus son hialme ait ung chaipelz assis ?
– Ne savons, font li prince, de queil lieu est noris,
Mais tant est proulz az arme et ou tornoy herdis
Que pour avoir proesse s’en est li plux eslis.
– Per foid, s’ai dit li roy, c’est bien a mon avis ;
Combien qu’i ne soit roy ne conte poestis
Ne li doit eslongier ne li dont ne li pris ;
Se je l’angrieve ja, de Dieu soie maldis ! » (v. 6780-788)809

Or, tous les autres participants portent un nom, un titre et sont reconnaissables à leurs armoiries. Ce détail n'est pas totalement anodin, car il vient s'ajouter aux jalons déjà posés sur le chemin de la quête de l'identité. Dans une société qui cherche à se définir par des critères distinctifs, la pratique de l'héraldique témoigne, au même titre que le patronyme, de la même idéologie810. Véritables « cartes d'identité » d'un lignage811, les armes parlent de sa vaillance, de son présent et de son passé. Lion, élevé au château de Monclin, connaît cette pratique et reconnaît le sénéchal de Florence à son écu « d’aisur ou d’or une crois ait »812. Ce sont tous ces manques qui définissent le héros en devenir dans le poème. Il est également intéressant de noter que les seuls moyens qui puissent momentanément être utilisés pour l’identifier proviennent de son entourage : ce sont quelques références au duc Raymond de Vauvenisse813, ou la présence d'un chevalier blanc inconnu, souvent associée à la couronne de roses offerte par Florentine et portée sur le heaume814. En même temps qu'un statut, la conquête de l'épouse contribue ainsi à conférer un début d’identification.

Le premier handicap réside donc dans le fait de ne pas posséder une identité opposable aux autres, ni de titres et de terres qui puissent justifier d'emblée la reconnaissance sociale, malgré ses exploits accomplis. Ce sont des éléments indissociables d'un autre handicap qui caractérise le jeune chevalier – sa pauvreté – dont il prend également conscience dès ses premières confrontations avec le monde du tournoi ; il y a, tout d'abord, les railleries de l'aubergiste Thiery815, puis celles des autres chevaliers :

‘Chescun qui voit Lion le mocquoit et gaboit ;
Dient : « Vecy cely qui ferait muedre esploit !
Il arait Florantine que prandre li lairoit
Son haubergon est boin pour faire bien une roit !
Li chevalx ou il ciet bien ahannée saroit !
Bien seroit heureux qu’a harnés le tanroit. »
Ensi mocque li ung, li aultre le tiroit. (v. 6605-611)’

Or, c'est précisément ce que Lion redoutait avant son départ de Monclin816, car il savait déjà que la pauvreté n'est pas compatible avec l'état de chevalier, en raison même des dépenses entraînées par la participation aux tournois. Le couple Bauduyn – Lion illustre d'une manière très forte le malaise ressenti dans la classe aristocratique dès le XIIIe siècle. Ainsi que l'analysait J. Le Goff, « l'aristocratie semble enfin, au XIIIe siècle, défavorisée par un abaissement de sa puissance économique. En effet, les progrès de l'économie monétaire, la nécessité, pour soutenir son train de vie, d'acheter un nombre croissant de produits très chers sur le marché (épices, étoffes), le coût de plus en plus élevé des armements et de la vie chevaleresque (fêtes, tournois), les dépenses pour la construction de châteaux et de " maisons fortes " en pierre, les mises de fonds exceptionnelles pour les expéditions de croisade, appauvrissent la noblesse, ruinent la chevalerie »817 . L'endettement de la classe aristocratique pour subvenir aux dépenses occasionnées par les tournois est d'ailleurs attesté dès le début du XIIe siècle, lorsque cette pratique tend à se généraliser dans les différentes régions du nord de la France818. Bien qu'à ce stade de sa genèse, Lion ne possède pas de certitude absolue sur ses liens du sang avec le duc de Bourges, son éducation au château de Monclin a fait de lui un enfant de la classe aristocratique et il se comporte comme tel ; il a participé à de nombreux petits tournois et a connu un très grand train de vie819. Cette pauvreté est donc, chez lui, un état nouveau, qu'il va vivre à la fois comme un handicap et, de façon contradictoire, comme une source de force, car le héros est, par sa nature, appelé à se démarquer des autres.

La pauvreté peut constituer un obstacle supplémentaire à la reconnaissance de la valeur héroïque, comme en témoignent les propos échangés entre les chevaliers, au soir du tournoi de Monlusant, – supplémentaire, parce que cela vient s'ajouter aux manques déjà observés par l'entourage, mais non primordial (Guillaume le Maréchal avait lui aussi connu la pauvreté). Les arguments utilisés tendent à souligner l'incompatibilité entre l'accès à un statut nouveau – supérieur à celui actuellement connu – et l'absence de titres, liée à la pauvreté. Cela est exprimé en de nombreuses occurrences, aussi bien par la princesse Florantine820 que par l'ensemble des participants. En effet, si chacun s'accorde à reconnaître la valeur guerrière du jeune chevalier, nombreux sont ceux qui hésitent à voir en lui le futur époux de la princesse : « Dapmaige est qu'aissez n'ait terre et chaistialz »821. Les hésitations des demoiselles de compagnie de Florantine, au moment de déclarer le vainqueur du tournoi, sont explicites à ce sujet :

‘« Vollez vous que ma damme ait a mariement
Ung povre chevalier d'estrainge tenement
C'on ne sceit qui il est ne de confaite gens ?
Ceu seroit grant oultraige, per Dieu omnipotant,
S'omme avoit a mary de tel angenrement. » (v. 7500-504)’

L'attribution du prix donne lieu à l'établissement de points de comparaison toujours défavorables à Lion. Ainsi, à sa pauvreté, s'oppose la richesse du duc de Calabre fermement défendu par sa cousine Genoivre, bien qu'il n'ait réalisé aucun exploit, tandis qu'une autre demoiselle, Gracienne, défend le prince de Tarante822. L'éviction du duc de Calabre, dont Genoivre se charge aussitôt d'informer ce dernier, signe le début de ce très long conflit. Au-delà de l'intérêt que représente la formation de cette coalition823 pour le déroulement de l'intrigue, ce détail souligne bien que les manques du héros, constatés par son entourage, l’empêchent réellement d’accéder à un statut qu'il n'est pas encore en mesure de justifier.

Autre facteur aggravant : pour cacher l'ignorance de ses origines, Lion ne dément pas être le fils de Bauduyn de Monclin. Or, la ruine de ce dernier n'est ignorée de personne à Monlusant : « Son perre n'ait vaillant une pomme pellee », conclut le duc de Calabre824. Facteur encore plus aggravant qui concourt à déprécier fortement l'image du héros : le sénéchal de Florence se charge de faire savoir dans Monlusant que ce jeune chevalier a pillé son château :

‘Et dist li senechault : « On l’appelle Lion.
C’est li filz Bauduyn de Monclin le baron
Qui ciet delez Florance, la citeit de renom.
Je lou getait l’autrier per deden ma prison,
Mais tantost s’an issit per mon tourier lairon
Et prirent tout l’avoir de ma maistre maison,
Et avuec ceu me volt mettre a destrucion. » (v.7023-029)825

On constate donc que ce sont toujours les mêmes arguments qui sont avancés pour souligner l'incohérence de la situation : pauvre et, de surcroît, voleur, le vainqueur du tournoi ne mérite pas la main de la princesse, malgré sa valeur826. La coalition qui se forme alors entre le duc de Calabre, le sénéchal de Florence et le prince de Tarente n'est pas anodine. Non seulement, elle sera par la suite la cause de toutes les destructions et atteintes dont le lignage de Bourges sera victime, mais elle a pour fonction, dans un premier temps, de resserrer les liens entre les rivaux de Lion et de créer ainsi un bloc d'opposition, contribuant à accroître sa solitude.

Le fait d'être pauvre est également un facteur d'isolement à l’intérieur même d’un groupe de solidarités. Ainsi, Lion se voit-il contraint dans un premier temps de refuser l'alliance que lui propose le duc Raymond de Vauvenisse, afin de ne pas risquer d'engager celui-ci dans des pertes éventuelles827. Cela peut même conduire le héros jusqu'à une certaine dépréciation de lui-même :

‘« Sire, s'ai dit Lion, laissiez la mocquerie !
On verrait bien demain flour de chevaillerie ;
Ne lou dit pais pour moy, a ceu ne panse mie.
Mais comment que je soie de bien povre lignie
Avantureir y vuelz ung destrier de Honguerie;
S'a ceu tornoy le per, je vous acertifie,
Tout a piet m'en rirait per deden Lombardie,
Se je ne trueve ung prince qui me faice aye. » (v. 5649-656)’

La pauvreté rend impossible l’intégration du jeune chevalier dans le groupe, parce que cet état fait de lui un personnage qui ne possède pas les caractéristiques propres à une classe sociale déterminée par un code de valeurs. C'est un facteur de faiblesse, mais elle lui apporte, de façon contradictoire, une certaine force dans le sens où son isolement fait de lui un personnage destiné à être remarqué par le reste du groupe. Donnant une petite leçon au passage, le poète a pris plaisir à émailler les séquences consacrées à Monlusant de quelques sentences savoureuses – par exemple : « Chescun n'est mie riche pour avoir pallefroy » – laissant à l'appréciation de l'entourage la sagesse du jeune homme : « Per ma foid, il dist voir ! » concluent les chevaliers828.

Avec l'exemple de Lion, le poète montre que ce type de « manque » constitue un handicap important, qui devra être gommé pour que s'ouvrent les portes de l'accession au statut ambitionné. Démonstration faite, le poète ne duplique pas les mêmes arguments, pour Olivier, qui est également touché par la pauvreté ; il les inverse, faisant de son personnage un être plus habile que son père à compenser les effets de ce handicap, – ce qui lui permettra de s'intégrer dans le monde du premier tournoi, puis à la cour du roi Anseïs de Carthage, sans avouer son état réel. S'aperçoit‑il que sa cotte de toile est celle d'un pauvre ? Il gagne « vingt solz » et le voilà paré d'une « cotte jollie, (…), de chauce, de chaipperon et aussi de sollelz »829. Reste à résoudre le problème le plus délicat : celui de l'armement et du destrier. Les cent florins seront fournis par la vente du troupeau d'Élie, et la transaction avec l'écuyer est conclue, devant un pichet de bon vin, dans une taverne :

‘Ensement Ollivier adont merchandait.
Cent florin d'or tout sec a l'escuier bailla,
Et but avuec ly (…) (v.  24260-262)’

Il y a dans ce personnage tout le condensé des interrogations, des mutations qui traversent la société médiévale au courant du XIIIe siècle : la puissance de l'argent est là, bien réelle. Alors que dans Hervis de Mes, le héros éponyme ne pouvait se résoudre à pratiquer le commerce830, Olivier n'est pas rebuté par toutes formes de négoce ; il vend, il achète (chausse, sollez, braie et biaulz drap831). Il ne craint pas non plus de pratiquer le troc (pour que l'écuyer qui lui a vendu l'armure et le destrier ne le reconnaisse pas, il échange ses armes et son cheval832). Il n'est pas insensible à l'annonce du prix du tournoi :

‘« Une coronne d'or on li presenterait ;
Ou pris de doulx cent mars la coronne serrait. »
Quant Ollivier l'oyt, li cuer li soullevait ;
De la joie qu'il ot Jhesu Crist en louait
Et dit tout quoiement que nulz n'escoutait
Qu'il yrait au behourt et qu'il y jousterait. (v. 24271-276)’

Et que penser du jeune écuyer richement armé qui accepte de vendre son équipement et son destrier à Olivier, alors qu'il accompagne un groupe de chevaliers ? Il donne également un bel exemple de l'imprégnation de la classe aristocratique par la puissance de l'argent. En qualité d'écuyer, il appartient à une « maisonnée de la noblesse »833. Sans doute est-il le fils d'un vassal placé en apprentissage, « aspirant à la chevalerie »834, censé en apprendre les codes.

Qu'il s'agisse de l'exemple de Lion, de celui d'Olivier ou bien encore de l'écuyer, le propos de l'auteur revient à souligner les dangers qui menacent la chevalerie et qui conduiront progressivement celle-ci à resserrer ses liens. Cette évolution, perceptible dès la fin du XIIe siècle, est largement présente dans Lion de Bourges. À chaque étape de leur genèse, les héros du poème vont se trouver confrontés aux barrières leur interdisant l'accès à une classe à laquelle, une fois intégrés, ils ne cesseront de revendiquer leur appartenance. G. Duby dépeint celle-ci comme une « chevalerie qui plastronne, engoncée dans ses armes, ses armures, ses armoiries, inquiète, menacée par la montée des parvenus (...) »835. Au fil du poème, lorsque le personnage d'Olivier prendra toute sa dimension héroïque, cet aspect va complètement s'effacer, mais il était intéressant de noter que, sous le couvert d'anecdotes plaisantes – on peut retenir pour exemple l'image d'Olivier pourchassant les vaches et forçant l'allure pour arriver au marché : « pour Dieu, or vous haistés ! / J'an pranderait argens »836 – la construction de la personnalité héroïque passait aussi par des étapes peu glorieuses.

Au-delà de cette problématique, une réflexion d'une autre dimension est abordée : fondamentale – celle du statut, celle des interdits qui pèsent sur la transgression d'un ordre établi. Car Olivier est fils de vilain, et cette condition est de nature à lui interdire l'accès à la classe chevaleresque, ce qui est exprimé en de nombreuses occurrences :

‘« Helais, je ne sus mie de chevalier venus,
Et comment m'oserait icy estre enbaitut ? » (v. 24454-455)
« Maix qui verroit mon perre, comment il est chennus,
Dez chevalier seroie souvant boutéz a l'uis. » (v. 24470-472)’

En effet, Olivier sait qu'il commet une transgression en voulant modifier son statut et que ce ne sont pas l'armure ni le destrier de Hongrie, achetés grâce au vol du troupeau d'Élie, qui lui assureraient quelque reconnaissance que ce soit. On va donc voir se développer une véritable hantise, qui va le poursuivre pendant le premier tournoi auquel il participe – à un point tel qu’il préférerait mourir plutôt « c’on l’appelle bergier »837 . Il éprouve constamment le besoin de se justifier : « Vous n'avés pais estés abaitut d'un vaicquier ! »838 et craint par-dessus tout que son origine paysanne soit découverte :

‘« Helais, dit li anffe, qu’i me doit annoier
Quant je sus ainsi filz d’un si waiste bergier,
Et maintenir me vuelz a loy de chevalier ! » (v. 24365-367)’

Sa condition paysanne lui interdit absolument le port des armes. « Troisième pilier de l'état », selon l'expression de G. Duby, les vilains « ne devraient ni prier ni combattre », malgré l'évolution qui s'amorce dès la fin du XIIe siècle839. Et, bien que son enfance à la ferme d'Élie ne lui ait pas permis d'acquérir quelque connaissance que ce soit des codes chevaleresques, Olivier n'ignore rien de cette interdiction et pressent d'ores et déjà les manques qu'il devra combler. Alors que Lion a pu obtenir de Bauduyn de Monclin son adoubement, puisque l'appartenance de ce dernier à la classe chevaleresque le permettait, Olivier – fils de vilain – ne peut rien espérer. Il lui faudra donc attendre la reconnaissance de sa valeur guerrière par un membre de cette classe. On peut se souvenir de l'exemple de Hervis de Mes : le prévôt Thierry, père du jeune héros, ne peut adouber ce dernier ; il lui demande de patienter jusqu'au retour de son grand-père maternel, le duc Pierre de Lorraine840. Le caractère rituel de l'adoubement, élevé au rang d'un sacrement sous l'influence de l'idéologie chrétienne, édifie autour de ce geste une barrière infranchissable dès l'an mil, selon G. Duby. L'auteur, qui analyse l'évolution de la signification de l'adoubement au cours des XIe et XIIe siècles, y voit le symbole très fort de l'appartenance à une classe841. Cela est d'autant plus sensible que l'enrichissement de la bourgeoisie citadine exerce une pression accrue sur la noblesse poussant celle-ci à un repli sur elle-même, à l'extérieur des villes. D. Barthélemy observe que « la bourgeoisie urbaine, notamment, frappant des coups de boutoir contre la " chevalerie " (entendue comme classe), entre avec force dans l'histoire, elle obtient des chartes de communes, elle marque des points auprès du roi, (…) ». L'auteur rappelle également que les « bons et loyaux services » des marchands peuvent se traduire par un anoblissement842. Ce sont autant de menaces qui contribuent à renforcer l'esprit de caste de la chevalerie.

Dans le contexte imaginaire du poème, le risque pris par un homme issu de la classe paysanne n'est pas atténué :

‘(…) « Vray Perre de laissus,
Envoiez moy telz grace que ne soie vaincus,
Et c’on ne puist pais dire que je soie cornus.
Trop seroie en mon cuer et dollans et confus
Se j’estoie pour folz enneut endroit tenus !
Helais, je ne sus mie de chevalier venus,
Et comment m'oserait icy estre enbaitut ? » (v. 24449-455)’

Olivier se trouve ainsi dans une situation provisoire de contradiction, entre les valeurs guerrières pour lesquelles, à son insu, il se sent appelé – le sang qui coule dans ses veines détermine déjà ses choix – et sa condition actuelle. C'est reprendre le long débat qui traverse le Moyen Âge, entre hérédité et éducation, entre nature et norreture, que les poèmes contemporains de Lion de Bourges ont largement illustré843. Cela implique des défaillances qui peuvent se révéler cruciales dans les moments où le jeune adulte cherche à s'intégrer dans la classe chevaleresque, par essence aristocratique. Le poète a concentré sur ce second personnage tous les enseignements qui pourraient être tirés de l'absence d'éducation. En effet, par opposition aux héros dépeints dans la poésie épique, Olivier n’a reçu aucune éducation qui lui permette de connaître le maniement des armes et les lois de la chevalerie. Il souffre de cette ignorance, qu'il va devoir combler. Mais – point tout aussi sensible – il ne sait pas lire, il ignore tout des raffinements, des distractions de la noblesse, telles que la danse ou le jeu des échecs. En un mot, si l'on compare les deux principaux personnages de Lion de Bourges, on constate que le poète a choisi d'illustrer deux situations diamétralement opposées. Tandis que Lion a reçu l'éducation complète d'un jeune aristocrate844, son fils est dans une situation d'ignorance totale, – tout du moins en ce qui concerne la chevalerie, puisque son père adoptif Élie lui a transmis l'éducation d'un vacher. Ce sont donc ses relations sociales qui risquent de se trouver affectées par ces carences. D'autre part, il est intéressant de noter que les deux séries d'épreuves auxquelles Olivier est successivement soumis, se complètent : la première est celle du tournoi, donc celle du maniement des armes et de l'art guerrier ; la seconde comporte aussi une épreuve guerrière mais il s'y s'ajoute une difficulté d'un autre ordre, faisant appel à l'éducation aristocratique : la conquête de l'épouse, de condition noble. Tout faux pas en la matière pourrait avoir de lourdes conséquences, et cela peut se révéler lors des premiers essais dans le monde du tournoi, aussi bien que dans les premiers instants des rencontres féminines, ce qui n'aura rien de commun avec la remarquable facilité avec laquelle, jeune vacher, il séduisait les jeunes pastourelles845. C'est encore l'effet de miroir qui se produit ici, pour illustrer un idéal chevaleresque réunissant aussi bien les qualités inhérentes à sa vocation guerrière initiale, que celles que le second âge des chansons de geste se complaît à mettre en valeur, sous l'influence du roman courtois.

Notre futur chevalier a donc beaucoup à apprendre pour parvenir à une insertion sociale complète. Pour autant, il ne va pas se comporter comme un nice et on ne retrouvera jamais chez Olivier les erreurs d'un Perceval ou d'un Tristan. Ainsi, Olivier n'a pas appris à danser la carole et la ronde : il se contentera de regarder les autres, – ce qui n'engendre aucun risque846. Mais, face à la princesse Galienne, fille du roi Anseïs de Carthage, l'épreuve s'avère plus délicate, et lors de la partie d’échecs que celle-ci lui propose, c'est une grande frayeur qui s'empare d'Olivier :

‘« Sire, dit la pucelle qui tant ot le corpz gens,
Vuelliez a moy juer s'i vous vient a tallant ! »
Et quant Ollivier l'ot, trop grant honte l'enprant,
Car ne sceit que c'estoit ; ne rien ne s'i antant.
Si dit a soy meysme : « Perre omnipotant,
Or sus je deceus, je lou voy clerement,
Car cest vuel savoir mon estet purement :
Se je sus gentil hons estrait de haulte gens.
Je ne me pués excuser n'ansi ne aultrement ! » (v. 25164‑172)’

L'ignorance du jeu trahirait immédiatement son manque d'éducation – donc des origines non nobles847 – et pourrait aboutir à une destitution du titre de maréchal que le roi Anseïs vient de lui accorder. Dans le sens où le motif de la partie d'échecs est ici employé, il s'agit réellement d'une épreuve, car la princesse (amoureuse) ignore tout de ce chevalier providentiel arrivé pour repousser les Sarrasins et qui, de plus, reçoit l'aide d'un « ange » sur le champ de bataille848. Alors que souvent dans l'épopée, la partie d'échecs est assortie d'un enjeu – moral, social ou politique849 –, dans le cas présent, si enjeu il y a, il est tacite et ne concerne à la limite que Galienne, cherchant sans doute dans la réaction de son partenaire une réponse à la question qu'elle se pose : peut‑elle épouser ce chevalier inconnu ? En tout état de cause, si la dérobade d'Olivier ne lui apporte pas de réponse précise, cela ne diminue pas l'amour qu'elle lui porte850. Et l'on peut dire que le jeu, ou plus précisément son absence, ne remplit aucune fonction spécifique dans l'action dramatique ; il ne modifie rien. C'est un emploi plutôt rare de la part des trouvères. Dans l'article qu'il consacre à la partie d'échecs, P. Jonin cite notamment comme exemple, la chanson de Galiens li Restorés, où la partie d'échecs a pour vocation de faire progresser l'action dramatique, car c'est au terme de cette partie mouvementée que Galien va apprendre qui est son père851.

Dès lors, comment s'intégrer dans un monde clos comme celui d'une cour royale ? Comment se faire reconnaître, comment prouver que l'on porte en soi les valeurs dont se réclame la classe aristocratique ?

Certains manques peuvent être masqués, certains handicaps peuvent être habilement contournés ; ils trouveront leur réparation, soit avec l'aide de l'entourage du héros, soit grâce aux actions qu'il va lui-même entreprendre. Cela concerne principalement l'image qu'il souhaite donner de lui-même afin de permettre son intégration : on peut citer à ce titre l'équipement, le train de vie, la connaissance du maniement des armes et des codes sociaux, etc. Toutefois, le point le plus délicat est – et reste – celui de la recherche de l'image paternelle, de la reconnaissance par le père. Le processus mis en œuvre est celui d'une identification et d'une réintégration dans le lignage. Lion et Olivier sont à la recherche de leurs origines, avec, pour chacun, une certaine quantité de renseignements qui vont progressivement les guider vers celui qui est, pendant de longues années, inconnu. Ce n'est pas le cas de Girart, le fils de Clarisse et de Lion, qui va devoir affronter un handicap d'une autre nature, celui de la bâtardise.

La bâtardise : quelle résonance a ce thème dans Lion de Bourges ? Comment celui‑ci s'intègre-t-il dans la problématique centrale de la genèse du héros ? En fait, il touche de près les thèmes déjà abordés par les exemples de Lion et d'Olivier, à savoir : les attaches lignagères – la valeur du sang –, les attaches par la terre – le fief – ainsi que les prétentions à l'héritage. En d'autres termes, ce sont les questions essentielles de l'œuvre qui se retrouvent formulées sous un autre biais, mais la problématique n'est pas si lointaine de celle de l'enfant trouvé qui va devoir entreprendre sa réintégration dans le lignage – car il s'agit d'une réelle réintégration qui nécessitera une étape de reconnaissance par le père. Les bases sur lesquelles le poète s'est appuyé pour adapter cette thématique à sa chanson reflètent la mentalité qui s'est développée progressivement, à partir du XIe siècle, en raison de l'influence croissante de l'Église sur le mariage852 et de la tendance généralisée dans la classe aristocratique à resserrer les liens de la famille, afin d'éviter la dispersion des terres. Convergence d'intérêts, donc, qui a pour effet de conduire à l'exclusion du bâtard, fruit du péché, conçu hors mariage. Dans les pages qu'il consacre à la « biopolitique du lignage », Howard Bloch constate que le bâtard est en règle générale exclu de l'héritage, parce que la terre appartient tout d'abord au lignage et qu'à ce titre, elle est « synonyme de lignée d'ancêtres ». Ainsi, – pour reprendre avec l'auteur les règles des Etablissements de Saint Louis – « bastard n'a point de lignage »853.

La perception de cet état de fait, mêlant fragilité et ambiguïté, va se trouver transposée de façon tout à fait particulière dans la chanson de Lion de Bourges. Cela se traduit tout d'abord par une mise en avant de la réaction individuelle, car la problématique au cœur de la réflexion est bien celle de la construction de la personnalité héroïque. Puis, le poète lui donnera un certain élargissement lors de l'étape de la reconnaissance par le père, jusqu'à parvenir à mettre en place une situation inverse. Ainsi, chez Girart, on observe, en première réaction, que le fait d'apprendre sa bâtardise induit une dépréciation de son image et la crainte de son rejet par Lion :

‘(…) se je l'atandoie, dire poroit briefment :
« Regardez du bastart, jai ne vaulrait niant !
Quant il sot mez besoing et mon abairement,
A my n'osait venir pour mon avancement.
Oncque ne l'angenrait ainsi ne aultrement ;
Car se fuit mez filz, per le mien serrement,
Il fuit piessait venus moy aidier loialment.
Or voit ensus de moy tost et appertement,
Car ne je lou tanrait a filz ne a parant ! » (v. 23988‑996)’

Le risque d'exclusion, en raison de la « conscience lignagère » – selon les termes de G. Duby – est réel. L'impact des pressions exercées sur les familles aboutit à un resserrement, à une conscience approfondie des structures lignagères, dont certains poèmes se font l'écho. Dans les œuvres mettant en scène des bâtards, il est fréquent que ce terme résonne comme une insulte lorsqu'il est lancé à l'intention de l'intéressé. À double reprise, Galien est qualifié de bâtard par son oncle maternel, Rochart : « Bastart ! (…) fils a putain prouvee ! »854.. G. Duby développe son raisonnement en constatant que « la chevalerie devient ainsi une société d'héritiers, et d'autant plus solide et close que, pour maintenir leur état et fortune, les lignages s'efforcent de limiter la prolifération des naissances, notamment en pratiquant une stricte limitation des mariages »855. À cette problématique, le poète va apporter plusieurs réponses tant au niveau de la reconnaissance de la paternité impliquant la réintégration dans le lignage, qu'au niveau de l'accession du bâtard à la totalité des prérogatives qui en découlent : attribution d'une terre et d'une épouse. Pour l'heure, il nous présente le portrait d'un héros qui devra mettre en œuvre des moyens spécifiques pour annuler le handicap particulier de la bâtardise.

Étouffé par le poids d'une image trop parfaite, trop forte, il est en outre confronté à la réalité de la guerre, par la lutte entre le lignage de Bourges et celui de Calabre. D'emblée, Girart connaît la renommée de son père, et le désir d'identification se met instantanément en place, mais il prend simultanément conscience du handicap qu'il devra annuler pour parvenir à la réalisation de son idéal. Lorsque Clarisse lui avoue les relations qui l'ont unie à Lion, ce sont des propos vibrants d'amour et d'admiration que le jeune homme entend856. À son insu, alors qu'elle lui demande de prendre le parti du duc Garnier de Calabre, son oncle maternel, elle guide déjà son fils vers la figure paternelle :

‘« Vous perre est tant fier et tant desmesurés,
Encontre lui ne dure chaistialz ne fermetés,
Chevalier tant soit fort ne a chevalz montér.
Vous oncle ait mestier qu'il ait gens assés ;
Tant n'an sarait avoir que Lion l'ait tuér.
Si que pour Dieu vous prie que loialment servés
Garnier qui est vous oncle et mez frere charnez ! » (v. 23943‑949)’

La suite des aveux de Clarisse est dans la même tonalité. La beauté et la prestance de Lion sont toujours exaltées857. C'est situer bien haut la barre... Le désir d'identification qui s'amorce alors coule presque de source. En effet, comment ne pas ressentir comme un handicap le fait d'être le fils non reconnu d'un tel chevalier ? La première préoccupation de Girart sera donc de prouver à son père qu'il est digne du sang de ses ancêtres. Comme Lion et Olivier, il se donne une image négative de lui‑même, qu'il va devoir effacer pour parvenir à la réalisation de son idéal.

Au terme de cet inventaire – peu flatteur, certes – quel constat peut-on dresser ? Le poète nous offre le portrait de trois futurs héros qui, en l'état actuel, sont porteurs de valeurs négatives qu'il faudra effacer pour leur substituer des valeurs positives... quand ils ne se trouvent pas totalement privés de celles qui seraient essentielles à la construction de leur personnalité héroïque. La prise de conscience de ces manques déclenche une volonté spécifique. C’est une étape nécessaire pour pouvoir construire son identité, dans laquelle le regard des autres joue un rôle fondamental, car c’est l’entourage qui apportera la reconnaissance d’un nouvel état. Ce que le jeune chevalier entreprend alors est une action pour lui, mais elle ne prend de valeur que si elle est jugée par l’entourage, parce que c’est lui qui va lui confirmer qu’il est un héros.

Notes
783.

Cf. à ce sujet les observations de F. Suard dans « L’Épopée française tardive (XIVe ‑ XVe s.) », Études de Philologie Romane et d’Histoire Littéraire offertes à J. Horrent, éd. par J.‑M. d’Heur et N. Cherubini, Liège, 1980, p. 449-460, repris dans Chanson de geste et tradition épique en France au Moyen Âge, Caen, Paradigme, 1994, p. 243-254.

784.

Le Galien de Cheltenham, éd. cit., v. 507‑515.

785.

Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, éd. F. Lecoy, Paris, Champion, 1984‑1990.

786.

Chrétien de Troyes, Le Chevalier au Lion (Yvain), éd. M. Roques, Paris, Champion, 1982, v. 173-191 :

« Il m'avint plus a de set anz

que je, seus come païsanz,

aloie querant aventures,

armez de totes armeüres

si come chevaliers doit estre ;

et tornai mon chemin a destre

par mi une forest espesse. (...) ».

Cf. également v. 358‑366 (« Je sui... uns chevaliers / qui quier ce que trover ne puis... »).

787.

Cf., par exemple, l'article de M. de Combarieu : « Le nom du monde est forêt. (Sur l'imaginaire de la forêt dans le Lancelot en prose) », Cahiers de Recherches Médiévales, n° 3, Paris, Champion, 1997, p.79‑90.

788.

Hatem Akkari, « "Mère, tu souffriras et tu erreras" : La souffrance et l'errance de la mère dans La Belle Hélène de Constantinople et dans Florent et Octavien », Bien dire et bien aprandre, n° 16 (La Mère au Moyen Âge), Lille, Centre d'Études Médiévales et Dialectales de Lille 3, 1998, p. 7‑18. (cf. p. 9).

789.

Cf. G. Duby, Hommes et structures du Moyen Âge I : La Société chevaleresque, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 1979, repris dans Qu'est-ce que la société féodale ?, Paris, Flammarion, 2002, p. 1071.

790.

Vers 6513. Cf., pour l’ensemble, v. 6503-517. La même énumération apparaît en plusieurs occurrences dans le poème (cf. notamment v. 5395 sq).

791.

Cf. A. Labbé, « L’enfant, le lignage et la guerre dans Girart de Roussillon », Les relations de parenté dans le monde médiéval, Aix-en-Provence, CUER MA, 1989, p. 47-68 : « Les héros épiques apparaissent en général solidement insérés dans le double réseau des relations familiales et des relations vassaliques, dont les mailles se recouvrent et s’entrecroisent étroitement. Cette double structure, où la trame de parenté au sens le plus étendu, incluant les plus lointains cousinages, se superpose à celle des liens féodaux, est toujours nettement valorisée par les poètes (…) ». (p. 49).

792.

Cf. H. Bloch, Étymologie et généalogie, Une anthropologie littéraire du Moyen Âge français, Paris, Seuil, 1989, p. 126 : « l'appropriation par la famille d'un emblème héraldique, d'un nom patronymique et d'un discours historique lui permettant d'organiser son propre passé généalogique soutint la tendance à l'organisation lignagère ».

793.

Ces quelques vers sont issus de l’un des longs monologues de Lion précédant son départ du château de Monclin.

794.

Cf. v. 3692-3708.

795.

Les monologues de Lion présentent de nombreuses similitudes avec ceux de Doon de Nanteuil, lors de son départ de la ferme du garde forestier Antheaume ; cf. Tristan de Nanteuil, éd. K.V. Sinclair, Assen, Van Gorcum, 1971, v. 5080‑5105, et notamment vers 5099 : « je suis povres trouvés, ne sçay de quel royon (... ».

796.

H. Bloch, op. cit., p. 116. Cf. également G. Duby, « Structures de parenté et noblesse dans la France du Nord, XIe‑XIIe siècles », et « Remarques sur la littérature généalogique en France aux XIe et XIIe  siècles », Hommes et structures du Moyen Âge I, La Société Chevaleresque, op. cit., p. 1159‑1175 et p. 1176‑1185.

797.

Parise la Duchesse, éd. M. Plouzeau, Aix‑en‑Provence, CUER MA, 1986, v. 994‑1000 :

« Sire, ce dit Gontagles, .i. petit m'antandez :

Vos dites grant mervoille et si antreprenez.

Donc n'a an vostre cort dus et contes asez,

Qui sont fil de mollier et de aut paranté,

O vos pöez vou fille a grant onor doner ?

Ne savez que il est, li pautroniers trovez,

Ne cunuissiez celui de cui fu angendrez. »

798.

Cf. par exemple, v. 3834 sq. : « Tost m’aroit appeléz « Trouvés » (…) ».

799.

Tristan de Nanteuil, éd.cit., v. 5276.

800.

Cf., pour mémoire, v. 4114-115 (« C’il fuit hons labourans…. »).

801.

Cf. supra v. 4112 et 4113.

802.

Cf. v. 4747-764, notamment : « (…) si ais bien fiance / Que li duc est mez perre (…) / Et la damme est ma mere ».

803.

Cf. notamment v. 4788-795 et v. 4805-816.

804.

Vers 4809.

805.

H. Bloch, op. cit., p. 102.

806.

Avec une nuance, cependant ; la voix céleste (qui intervient après les révélations du Blanc Chevalier) intime l’ordre à Olivier de partir à la recherche de ses parents et de son frère Guillaume (cf. v. 25354-362), tandis que les révélations du Blanc Chevalier contiennent de précieuses assurances sur ses origines ; cf. v. 25098-104 :

« Car saiche que tu viens de haulte estraccion :

Tu as perre herdit et qui est gentilz hons,

Coraigeux et herdit et plain de grant renom ;

C’est li plux preux du monde, son pareille ne trovon.

Tu le ressamblerais. Si n’aie marison,

Car ancor veras ton perre le baron

Et ta mere assiment a la clere fesson. »

807.

Cf. v. 7023-029.

808.

Cf. vers 6959. Tout du moins, on peut expliquer cela par le fait que Lion a emprunté la totalité de son équipement à Bauduyn de Monclin. L'écu constitue bien un signe provisoire de reconnaissance.

809.

Ces questions reviennent fréquemment dans toute la séquence consacrée au tournoi de Monlusant, et ce sont principalement les futurs ennemis de Lion qui les posent ; tout d’abord, le duc de Calabre :

« Qui est si chevalier et comment l’appelle on,

Qui m’ait si abaitut de mon destrier gascon ? » (v. 7021-022)

puis, le prince de Tarante :

(…) « Comment appelloit on

Ceu blan chevalier la et le sien compaingnon ? » (v. 7124-125).

810.

Cf. M. Pastoureau, Traité d’Héraldique, Paris, Picard, 2003,

811.

Cf. G. Duby, « La noblesse dans la France médiévale », Hommes et structures du Moyen Âge I, La Société Chevaleresque, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, repris dans Qu'est-ce-que la société féodale ?, Paris, Flammarion, 2002, p. 1051‑1070. Howard Bloch évoque, quant à lui, une « grammaire » du lignage (cf. Étymologie et Généalogie, op. cit., p. 106).

812.

Vers 6940 : A ung escus d'aisur ou d'or une crois ait.

813.

Principalement : v. 5820 et 6331.

814.

Cf. pour les références au Blanc Chevalier : v. 6733, 7125, 7401 et 7457 ; à la couronne de roses : v. 6739, 6781, 7150 et 7497. Les deux références sont parfois cumulées.

815.

Cf. v. 5052-080.

816.

Cf. vers 3962 : « "Li povre chevalier" me porait on clamer ».

817.

J. Le Goff, L'Apogée de la Chrétienté, Paris, Bordas, 1982, p. 32.

818.

Cf. D. Barthélemy, La Chevalerie, Paris, Fayard, 2007, p. 289 sq.

819.

Cf. v. 908-1035, et notamment :

Joste, tornois et feste que font cilz de frant lin

Volt adés poursuyr en demenant grant brin.

Ne contoit ung bouton d'aloweir ung florin

Ne d'ossire a la joste palleffroy ne ronsin.

(…)

A la guise d'un conte demenoit son hustin ; (v. 919-925)

Cf. également v. 1011 sq. : Lion avait fait clamer un tournoi à Monclin avec « plux de cent chevalier », mais la ruine de Bauduyn de Monclin l’avait contraint à l'annuler, ce qu'il considérait comme un manquement à sa parole : « J'ay mon honnour perdue sans avoir recovrier, / Se par moy faute la feste que j'ai faite noncier; » (v. 1055‑056).

820.

Cf. v. 5496-508 (« quel dapmaige qu'i n'est de haulte gens / Et qu'i ne tient grant terre et noble chaissement ! (…). Bien samble povre hons a son aornement. ») et v. 6626-632.

821.

Vers 7323. Cf. également v. 7575-582.

822.

Cf. v. 7556-623.

823.

Humiliation et désir de vengeance poussent le duc de Calabre à jurer sa fidélité au sénéchal de Florence ; cf. v. 7244-253 et 7277-282.

824.

Vers 7262.

825.

Le sénéchal de Florence avait pris le soin de faire tendre une embuscade à Lion, afin d'empêcher celui-ci de se rendre au tournoi ; libéré par son geôlier Thiery, Lion s'échappe du château non sans avoir vidé les coffres de leur précieux contenu, trésor qui sera dérobé quatre jours plus tard par des voleurs. Cf. pour l'ensemble de l'épisode, v. 4164-554. 

826.

On peut se reporter à l'intégralité des échanges entre le duc de Calabre et le sénéchal de Florence, ennemis mortels de Lion, pour cerner l'image négative dont le héros est alors porteur : « lombair, filz de povre esposee », etc. ; cf. v. 7254-276.

827.

Cf. v. 5624-5640

828.

Cf. notamment les vers 6612-619.

829.

Cf. v. 24155-177. Ce détail du souci vestimentaire rappelle un détail figurant dans Tristan de Nanteuil : Doon, élevé par le forestier Antheaume, « vouloit estre jolis, et adés achetta / Parement et beaulx draps de quoy il se para ; » (cf. Tristan de Nanteuil, éd.K.V. Sinclair, Assen, Van Gorcum, 1971, v. 4845-846).

830.

Hervis de Mes, éd. J.-C. Herbin, Genève, Droz, 1992, v. 292-297 :

« Peire, dist il, ce qu'est que tu ais dit ?

Ne me connois në en vair në en gris,

Në en chier dras se je ne l'ai vesti.

Mués me conois en un faucon genti,

Et en brechés et en destriers de pris ;

Mais chevalier me faites, jel vos pri ! »

831.

Cf. v. 24280-282. On peut se souvenir également de l'exemple de Florent qui échange deux bœufs contre un épervier : cf. Florent et Octavien, éd. N. Ladorderie, Paris, Champion, 1991, v. 1315‑329.

832.

Cf. v. 24356-364

833.

Le terme est de G. Duby, Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978, p. 354. L'auteur explique que le terme écuyer désigne « les hommes qui, par leur naissance, devraient être dits chevaliers, mais que l'on ne peut nommer ainsi : ils n'ont pas été introduits officiellement, par les rites prescrits, dans la chevalerie ; ils sont comme en réserve, attendant leur tour ; on forge donc un autre titre pour eux (…) afin qu'ils ne soient pas confondus avec les gens du commun ».

834.

Cf. R. Fossier, article « Écuyer », Dictionnaire du Moyen Âge, dir. C. Gauvard, A. de Libera et M. Zink, Paris, PUF, 2002, p. 463-464 : « au XIVe siècle, l'écuyer est donc un aristocrate qui, même âgé et méritant, n'a pu devenir chevalier ; alors que ce dernier est désormais assimilé aux nobles, l'écuyer reste aux limites de la roture » (p. 464).

835.

G. Duby, op. cit., p. 389.

836.

Cf., pour l'ensemble de la scène, v. 24225-229.

837.

Cf. v. 24553.

838.

Cf. v. 24569

839.

Cf. G. Duby, op. cit., p. 388.

840.

Hervis de Mes, éd. J.-C. Herbin, Genève, Droz, 1992, v. 258-270.

841.

Cf. G. Duby, op. cit., p. 356‑363 ; cf. également J. Le Goff, L'Apogée de la Chrétienté, Paris, Bordas, 1982, p. 34.

842.

D. Barthélemy, La Chevalerie, Paris, Fayard, 2007, p. 292‑298.

843.

Cf., par exemple, Tristan de Nanteuil, ou bien Florent et Octavien, v. 1264 sq. : Florent apprend le métier de boucher qui ne correspond pas à ses aspirations, mais il doit travailler pour aider son père adoptif ; cf. également A. Georges, « Tristan de Nanteuil », Écriture et imaginaire épiques au XIVe siècle, Paris, Champion, 2006, p. 470 sq.

844.

Cf. v. 908‑913 :

Ansi li filz Herpin fuit per deden Monclin

Noris et alevéz a loy de pallasin.

A l'escolle fuit mis pour apprandre laitin ;

Dez tablez et dez delz, de l'eschecquier d'or fin

Ait aprins le stille : il fuit de boin destin.

Ains qu'il eust douze ans savoit poindre ung roncin.

Ce type de description est fréquent dans les poèmes. Pour reprendre les quelques comparaisons déjà établies avec Hervis de Mes, on peut rappeler que le jeune Hervis reçoit exactement le même type d'éducation (cf. v. 246‑256), mais son père, le prévôt Thierry, le destine au négoce et l'envoie à la foire de Provins. On peut également se souvenir de Gui de Nanteuil (éd. J. R. Mc Cormack, Genève, Droz, 1970), v. 114‑116.

845.

Cf. v. 24153-154 :

Bergiere l'entr'amoient et en font lour amant,

Car en tout le monde n'avoit plux belz anffan.

846.

Cf. v. 24383‑385.

847.

Cf. J.‑M. Mehl, article « Jeux » Dictionnaire du Moyen Âge, dir. C. Gauvard, A. de Libera et M. Zink, Paris, P.U.F., 2002, p. 777‑778 : « Longtemps apanage de la seule aristocratie, le jeu d'échecs gagne les bourgeoisies urbaines dès le XIVe siècle. Produit importé qui pénètre en Europe aux alentours de l'An Mil, à la fois par l'Espagne et l'Italie et par le monde nordique, ce jeu fait pendant longtemps partie intégrante de l'éducation du jeune chevalier » (p.777).

848.

Le récit de la bataille fait par Anseïs à sa fille a tout pour attiser la curiosité de celle‑ci :

« La baitaille ait vancue, se saichiez san douter.

Saichiez que je lou vy du chevalz desmonter,

Maix ung benoit ange le vint reconforter

Et li rendit chevalz pour nous a recovrer.

Cil ange que je vy en nous baitaille entrer,

Tantost qu'ill i antrait, plus ne porent durer

Paien ne Sairaisin, li Turc ne li Escler,

Ains furent desconfis et lez covint torner. » (v. 25134‑141)

849.

Cf. P. Jonin, « La partie d'échecs dans l'épopée médiévale », Mélanges offerts à J. Frappier, Genève, Droz, 1970, p. 483-497 (p. 492).

850.

D'autant plus, qu'Olivier prétend être trop aveuglé par l'amour pour pouvoir jouer ! (Cf. v. 25175‑184).

851.

P. Jonin, « La partie d'échecs dans l'épopée médiévale », art. cit., p. 487‑489.

852.

Cf. Histoire des Pères et de la Paternité, dir. J. Delumeau et D. Roche, Paris, Larousse, 2000, p. 54‑57 : « la tendance qui se manifeste alors (fin du XIe siècle) à exclure les bâtards de la famille et du lignage correspond très évidemment à l'enseignement de l'Église ».

853.

Cf. H. Bloch, Étymologie et généalogie, Une anthropologie littéraire du Moyen Âge français, Paris, Seuil, 1989, p. 101. Cf. Les Établissements de Saint Louis, éd. P. Viollet, Paris, Renouard, 1881, t. II, p. 173.

854.

Le « Galien » de Cheltenham, éd. D.M. Dougherty et E.B. Barnes, Amsterdam, 1981, v. 644, v. 647.

855.

G. Duby, Hommes et structures du Moyen Âge I, La Société Chevaleresque, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 1979, repris dans Qu'est-ce que la société féodale ?, Paris, Flammarion, 2002, p. 1195.

856.

Cf. notamment les vers 23881‑885 :

« Ensois avés a perre le millour poingneour

Qui oncque portaist arme ne maintenist estour,

Et si n'ait plus bel prince jusqu'an Ynde la maiour ;

E[s]t le plux biaulz dou monde et l'appelle on millour

En tornoy et en joste qui soit en nulz contour ! »

857.

Cf. v. 23896 sq.