Conclusion du chapitre second

Le parcours héroïque représenté dans Lion de Bourges montre un personnage en évolution qui cherche, au-delà de ses engagements temporels, à atteindre une forme de perfection et à donner un sens à sa destinée finale. Or, cette recherche ne saurait se faire sans une confrontation avec des forces supérieures, appartenant à un monde irrationnel auquel l’auteur a su donner des caractéristiques particulières. En plaçant le héros dans des situations où vont se révéler ses faiblesses et ses craintes, en le confrontant aux nombreuses formes du mal, il souligne l’importance de l’intervention divine qui se manifeste sous les diverses formes des objets magiques, des avertissements surnaturels et des miracles, mais il montre également que certains signes ne sont pas perceptibles sans l’aide d’un intercesseur, qui est le Blanc Chevalier. En raison de sa nature spécifique qui procède de l’ordre humain et surnaturel à la fois, cette créature merveilleuse établit le lien entre l’humanité et le sacré. Jouant un rôle de protecteur et de guide spirituel, il prend progressivement la place du père absent auprès de Lion à la recherche de ses origines, parce que l’attraction constante qu’il exerce pour attirer celui‑ci vers une finalité supérieure lui confère une autorité morale et religieuse.

Cela a un retentissement dans le parcours décrit et l’on voit se réunir, dans un même élan, l’imitation du modèle paternel et la recherche de la perfection, ce qui se traduit par un désir de retraite en ermitage. Le renoncement aux armes signifie que la chevalerie terrestre n’apporte pas l’accomplissement, et Lion cherche à dépasser ce premier idéal pour se mettre à l’écoute de son « silence intérieur ». Progressivement, la recherche du père terrestre se transforme ainsi en quête du Père éternel. La tentative d’élévation vers la sainteté dont il fait preuve se conclut cependant par un échec et un retour à la vie chevaleresque, attestant ainsi que cette recherche ne permet pas elle non plus l’accomplissement total. Lion ne parvient pas à atteindre l’état de béatitude, tandis que le Blanc Chevalier regagne le paradis. Le rôle du saint est donc occupé dans Lion de Bourges par le Blanc Chevalier, et la destinée de Lion le conduit non pas jusqu’à cette sainteté – et au miraculosus – mais seulement jusqu’à un départ dans le monde intermédiaire du mirabilis.

Le personnage du héros est marqué par une aspiration à un dépassement en direction de l’héroïsme, puis en direction de la sainteté. Ces deux éléments n’étaient pas en opposition dans l’ancien idéal épique : ils s’y réunissaient pour conduire le chevalier à l’état de perfection. L’étrange fin de Lion signifie, d’une part, que l’aspiration à un état de quasi-sainteté par l’érémitisme se conclut par un échec et, d’autre part, que l’héroïsme (car Lion vient en réalité d’accomplir sa dernière action héroïque) ne conduit pas systématiquement à la sainteté. Trop éloigné du monde surnaturel, il s’intègre seulement au monde du merveilleux, le mirabilis. Il reste dans une position intermédiaire, ni homme parce qu’il ne connaît pas la mort, ni saint car Dieu n’envoie pas un ange chercher son âme. Ainsi, il remplace le Blanc Chevalier dans son statut merveilleux, sans connaître la fin et le statut épique du martyr ou du saint, et reste aux marches du Royaume, par manquement à sa promesse envers Dieu.

Plus qu’une inversion, il conviendrait d’évoquer une dualité entre le Blanc Chevalier et Lion, tant la chanson de Lion de Bourges se prête à la représentation de deux visages pour un même type de héros épique, partagé entre le Mort Reconnaissant qui réalise l’accomplissement spirituel et Lion qui reste vivant. Ce sont, en quelque sorte, les deux incarnations d’un même idéal.