1.2. L’analyse vidéo dans les approches praxéologiques

L’utilisation de la vidéo pour l’observation et l’étude de l’action dans les foyers, bien qu’elle n’atteigne pas encore le degré de développement des travaux sur les activités professionnelles22, se déporte récemment sur l’espace domestique et les activités familiales (Crabtree et Rodden, 2004 ; Relieu & Olszewska, 2004 ; Nomura & al. 2005 ; Taylor & Swan, 2005, ainsi que le projet dirigé par E. Ochs au Center on the Everyday Lives of Families, de l’Université de Californie Los Angeles23, entre autres). Ces auteurs cherchent à se doter des moyens leur permettant d’accéder à la complexité, la dynamique, la corporéité, la matérialité et la multi-modalité des pratiques ordinaires, tant du point de vue de la production que de l’interprétation des actions (verbales ou non verbales). Ochs et al. (2006), par exemple, proposent d’adopter une sensibilité ethnographique qui informe l’utilisation des données vidéo de façon à rendre disponibles, à « révéler » des pratiques, des institutions, des relations sociales, des répertoires symboliques et de significations, des systèmes de connaissance ou des sentiments propres au groupe observé. Comme on le voit, en articulation avec les débats sur l’expérience et la signification de l’action, les récentes innovations technologiques, techniques légères d’enregistrement synchrone de l’image et du son dans les années 1960, puis les techniques d’enregistrement numérique, ont permis une multiplications des recherches praxéologiques sur l’espace domestique et la famille.

En ce qui concerne notre objet, la structuration temporelle de l’action domestique et familiale, la vidéo-ethnographie permet de traiter au moins trois dimensions : a) l’organisation séquentielle des transitions entendues non seulement comme des successions d’étapes, mais surtout comme des accomplissements pratiques exhibant des détails et des phénomènes propres (déroulement et rythme de la succession, accords/désaccords ; projection de la clôture de la phase en cours et ouverture de la phase suivante ; séquences insérées retardant ou suspendant ce passage ; etc.) ; b) l’organisation matérielle, c’est à dire l’évocation, la manipulation, le déplacement d’objets, d’artefacts, etc. qui, dans des positions séquentielles particulières peuvent être exploités comme autant d’éléments structurants de la temporalité de l’action24 ; c) l’organisation de la participation : comme le rappellent plusieurs auteurs, les pratiques de structurations de l’action collective (telles que les transitions) sont des accomplissements collectifs dont l’intelligibilité repose, bien qu’à des niveaux divers selon la situation ou le groupe en question, sur des orientations et des engagements mutuels et/ou conjoints, et des pratiques plus ou moins « collaboratives » (aspect dans lequel le corps et la proxémie occupent une place de premier ordre)25.

Ce type d’approche exige à son tour une meilleure explicitation des procédés et des matériaux utilisés ainsi qu’une réflexion sur les rapports mutuels entre images, phénomènes et acteurs observés, observateurs et équipements d’enquête.

Notes
22.

En ethnométhodologie (Lynch, 1985), dans le champ des WorkPlace Studies (Heath & Hindmarsh, 2002 ; Heath, 1986), en Analyse Conversationnelle (Goodwin, 1994, 2002 ; Relieu, 1999b, Mondada, 2006, entre autres), en linguistique interactionnelle (Ford, Fox & Thompson 1996 ; Zuengler, Ford & Fassnacht, 1999), ainsi que dans les champs des interaction studies (Lomax et Casey, 1998), de l’anthropologie linguistique (Duranti, 1997), de l’anthropologie culturelle (Hutchins, 1995), de l’éthologie humaine (Von Cranach & Harré, 1982).ou encore de l’ergonomie (Theureau, 2006) et de la sociologie de la traduction (Latour et Woolgar, 1979).

23.

Site Web du CELF : http://www.celf.ucla.edu/.

24.

La culture matérielle est donc indissociable des productions verbales et gestuelles des participants : les objets, et la gestualité qui leur donne vie, sont associés à des activités et à des régimes d’attention particuliers.

25.

Comme dans le cas de données documentant des activités professionnelles, au-delà de cette dimension collective, dans les foyers observés il existe une claire distribution ou « spécialisation » du travail organisationnel, en lien étroit avec les dynamiques de constitution, maintien et changement des cadres de participation.