1.2.2.2 Les données secondaires (transcriptions)

Depuis l’article fondateur de E. Ochs en 1979, les linguistes interactionnistes, conversationnalistes, etc. ont prêté une attention grandissante aux implications théoriques et méthodologiques des activités et des choix de transcription en tant qu’éléments constitutifs de leurs matériaux de travail (les données), et, plus largement du réel décrit et analysé. Suivant l’idée de Sacks de l’order at all points (Sacks, 1984 : 22), G. Jefferson a contribué à faire évoluer les pratiques de transcription des données (audio, puis vidéo) proposant des techniques sophistiquées et opératoires de transcription (Jefferson, 2004)30 pour de très nombreux phénomènes de la conversation ordinaire.

Bien qu’on ait longtemps privilégié la transcription du comportement verbal, les représentations de comportements non-verbaux sont de plus en plus satisfaisantes, notamment à travers l’intégration, à des points précis de la transcription, d’images fixes (captures d’écran) extraites du corpus vidéo (Goodwin, 1996).

Pour transcrire il faut tenir compte de trois relations fondamentales : la relation de précision vis-à-vis de la donnée primaire, de sa dynamique, rythme et détails ; la relation de cohérence vis-à-vis de la convention de transcription choisie ; et la relation de granularité (qui détermine le niveau de détail transcrit) et de pertinence (qui définit le type de détail que l’on souhaite transcrire). Nous reviendrons sur les questions d’échelle et de granularité dans la section 2.4. La transcription étant une translittération des activités observées/enregistrées, elle constitue une tentative de représentation écrite et graphique d’évènements qui se déploient dans le temps. Il existe plusieurs modes de scription, donc de spatialisation ; dans notre travail de recherche nous utilisons la convention de transcription jeffersonienne dont Mondada a proposé une version multi-modale depuis les années 200031. Il s’agit d’une transcription « ligne par ligne » : pour chaque participant il existe une ligne dédiée à la parole et une dédiée aux comportements non verbaux (gestuels et corporels), aux déplacements, etc. Dans notre travail, une ligne peut être attribuée à un artefact technologique particulier (au même titre qu’un participant) dont, par exemple, l’émission de contenu déployée dans le temps, se relèverait configurante pour le déroulement de l’action.

Certes, on observe d’abord, pour ensuite transcrire de la façon la plus détaillée possible, mais dans la pratique (surtout face à des corpus volumineux, comme c’est notre cas) cette relation est moins linéaire. Parfois l’identification d’un procédé particulièrement intéressant guide ensuite le retour sur des données visionnées ainsi que la recherche de la récurrence du procédé en question sur des données non encore visionnées. Une autre façon de faire consiste à « dérusher » (c’est-à-dire à transcrire sommairement mais intégralement le corpus afin d’obtenir un aperçu global des activités observées). Ensuite on peut reprendre le visionnage des données audio-vidéo en indexant, complétant, commentant, etc. le texte du dérushage. Dans notre travail nous avons commencé par réaliser un dérushage (170 heures sur les 400 heures du corpus global)32, et, dans un second temps, une fois un certain nombre de phénomènes identifiés, nous en avons cherché la récurrence, constituant des collections ou des single cases 33.

Dans la section suivante nous présentons l’entrée dans le terrain, les diverses étapes de la production des données, les caractéristiques méthodologiques, contractuelles et techniques du travail de terrain ainsi que les adaptations aux contingences de celui-ci.

Notes
30.

Jefferson a pointé l’importance des détails de la prononciation (Jefferson, 1983), du rire (Jefferson, 1985) ou encore de la durée des silences (Jefferson, 1989).

31.

Cf. notamment Mondada (2008).

32.

Ces heures correspondent aux deux foyers observés et analysés en détail – foyers PR et RAF – qui totalisent autour de 200 heures (100 hs. chacun).

33.

Des collections de phénomènes formellement comparables au niveau de la séquence, par opposions à des analyses de cas uniques qui s’intéressent au déploiement d’une activité.