1.3.4.3 La relation de réflexivité entre parole-en-interaction et segmentation de l’espace : l’exemple du couloir

Sur la base de ce qu’on dégagé les données de ce foyer, au-delà de la multiplication et de la complémentarité des prises de vue dans un même espace, il est s’est révélé juste de sortir de la logique de la distribution des activités « par pièce », et d’épouser une logique de la continuité spatiale des activités et des interactions (ainsi que celle de la polyfonctionnalité d’une même pièce, aux fins de différentes activités). Ci-dessus, nous illustrerons rapidement, en deux séries de captures, la pertinence d’avoir installé une caméra dans le couloir en montrant un exemple de prise en compte analytique du couloir comme espace de transition et d’action51 :

1)

2)

Christine est appelée par Thomas alors qu’elle est probablement dans son champ de vision, mais en sort à peine une seconde plus tard : la disponibilité vers la sollicitation du garçon n’est pas synonyme de pleine orientation vers celui-ci. Dans ce contexte, le déictique ça fonctionne comme un « prospective indexical » (Goodwin, 1996) : l’indexical ou déictique sans référent (ou cataphore)52, permet à Thomas deux actions connectées : traverser la distance du couloir tout en maintenant le topic projeté par la sollicitation, ou, plus exactement, en le maintenant en suspens. Ce suspens (une sorte de mise en intrigue) ne manque pas de produire une séquence de réparation de la part de Christine, qui cherche à savoir de quoi il s’agit et se ré-engage ainsi davantage dans l’échange :

Comme le propose Raymond (2000 : 196), dans ce type de pré-séquence les acteurs projettent de la parole à venir (more talk), avec des éléments syntaxiques, prosodiques ou lexicaux, afin de créer l’espace pour l’action pré-ouverte. Dans la séquence que nous venons de voir cet espace est non seulement interactionnel mais aussi matériel et spatial : après avoir initié la séquence de sollicitation, Thomas manie le déictique prospectif pour temporiser le rapprochement physique vers Christine et organiser un espace de perception commun, autour de l’objet dont il s’agira quelques instants plus tard, dès qu’il sera près de sa co-participante. Le couloir chez les RAF fait office d’entrée (porte d’entrée visible à gauche, dans l’image 41), et de zone de circulation mais il « dispatche » aussi plusieurs espaces (chambre de Thomas, au bout du couloir, non visible ; cuisine ; salon-salle à manger ; couloir vers chambres des parents et de Maguelone, dont on ne voit que l’entrée). Le téléphone fixe (filaire) s’y trouve (attache murale derrière une des ailes de la porte de la cuisine). De ce point de vue, et au regard d’un certain nombre de pratiques que nous détaillerons dans les chapitres analytiques, il occupe une place importante dans l’écologie de ce foyer et dans la configuration de déplacements et de certaines interactions.

Comme nous le montre l’exemple ci-dessus, la contrainte du couloir est intégrée à l’interaction de manière à en faire une espace-temps particulier où peuvent se dérouler des échanges particuliers. Parole-en-interaction et segmentation de l’espace sont réflexivement articulées (Relieu, 1999a).

Nous aborderons à présent la phase successive, c’est à dire le déroulement des enregistrements de données vidéo.

Notes
51.

NB : pour lire la transcription suivre de gauche à droite et deux par deux les vignettes du haut (a = couloir) et du bas (b = salon/salle à manger). Pour un souci de lisibilité, la transcription est sectionnée en trois parties (1/3, 2/3, 3/3). Nous reprendrons cet extrait en entier et en détail au chapitre 10.

52.

Une cataphore est un pronom dont la référence utilisé n’a pas encore été mentionné dans le discours. Son utilisation incite le destinataire à chercher, mentalement et/interactionnellement, le référent ou à faire en sorte que le locuteur le fournisse.