2.1.3. La théorie de l’énonciation, une approche phénoménologique du temps dans et du temps du langage

La théorie de l’énonciation de Benveniste (1974), qui reprend la réflexion classique de Saussure sur la distinction « parole » vs. « langue », propose que la langue ne peut qu’être discours, acte d’énonciation. Et comme tout acte, il est de nature temporelle. De ce point de vue, c’est par la langue que se manifeste l’expérience humaine du temps : le temps linguistique n’est pas le calque d’un temps défini hors de la langue. En linguistique (Benveniste, 1966) on distingue traditionnellement discours et récit par l’utilisation différentielle des temps verbaux et des déictiques : alors que le passé simple et l’imparfait, d’une part, et l’utilisation de pronoms de troisième personne, de l’autre, caractérisent le récit, le passé composé et l’imparfait, d’une part, et l’utilisation de pronoms de première et deuxième personne et de déictiques de l’autre, caractérisent le discours. Le discours est ainsi ancré dans le présent d’élocution et incarné dans le locuteur. Et le temps linguistique est qualitatif, non mesurable. Dans la perspective de l’énonciation il s’agit non pas du présent formel de la conjugaison mais d’un « présent continu, coextensif à notre présence propre » (Benveniste, 1974 : 83).

Le temps linguistique est organiquement lié à l’exercice de la parole car il se définit et s’ordonne comme fonction du discours (ibid.. : 73). Le temps présent est défini comme le moment où le locuteur prend la parole : le présent se renouvelle ou se réinvente chaque fois qu’un individu fait acte d’énonciation et s’approprie les formes de la langue en vue de communiquer90. Le présentlinguistique est ainsi le fondement de toutes les oppositions temporelles : le passé constitue l’antériorité du moment d’énonciation, et le futur sa postériorité. Une observation majeure est en lien avec la linguistique interactionnelle qui étudie le déploiement des tours de parole dans le temps.

Notes
90.

« (…) la langue ordonn[e] le temps à partir d’un axe, et celui-ci est toujours et seulement l’instance de discours » (Benveniste, 1974 : 74)