2.2.2. Sociologies du temps et dimension technologique

2.2.2.1 Pénurie temporelle et urgence

L’impression de manquer de temps domine aujourd’hui ainsi que celle qui voit le temps s’accélérer et nous échapper. Malgré la diminution statistique des heures travaillées et la prolifération d’artefacts censés faire gagner du temps, la pénurie temporelle révèle une inadéquation entre le temps dont on dispose et l’ensemble des actions que l’on désire réaliser. Ce décalage déficitaire - sous la forme d’une contrainte extérieure - met la société « en état d’urgence » (Virilio, 1989)99. D’autres auteurs abordent les impératifs de l’urgence en s’intéressant à certains TICs, dans la mesure où ils permettent des « dédoublements » temporels100. D’autres encore pointent des phénomènes de dérégulation individuelle et sociale causés par les dédoublements et par l’urgence, phénomènes qui peuvent entraîner des pathologies plus ou moins graves101.

Les phénomènes de la pénurie temporelle et de l’urgence doivent être mis en relation avec celui de la flexibilité spatio-temporelle, propre à la modernité. L’orientation vers le temps comme bien rare fait de la vitesse le trait caractéristique des temps modernes. Or, aujourd’hui, la vision rentabiliste du temps concernerait moins l’intensification ou l’accélération que la flexibilité et l’omni-disponibilité. Les hypothèses sur la flexibilité s’alimentent du fait que la technique contemporaine ne se limite plus à une réalisation rapide et immédiate mais qu’elle a élargi ses impératifs à celui de la disponibilité à tout moment. La question temporelle occupe une place importante en sociologie des sciences et des techniques102. Nous en aborderons certains aspects dans la section suivante.

Notes
99.

La raréfaction du temps est rendue par des expressions telles que time dissonance ou time debt, par exemple dans les termes de Hochschild (1997) se référant plus particulièrement aux expériences temporelles des familles.

100.

Jauréguiberry (1998) souligne aussi la difficulté croissante à accepter de rater des opportunités. Par ailleurs, les réseaux sociaux et le zapping seraient pour lui les pratiques-symbole du dédoublement (et la motivation la tentative de combler l’ennui creusé par la réalité en regard des attentes (ibid..).

101.

Confronté à la nécessité d’agir de plus en plus vite et réactivement, l’individu contemporain serait confronté à de nouvelles formes de pathologies : des tensions, pratiques compulsives, implosion dépressive et explosion de comportements d’addiction, apparaissent, dans la sphère professionnelle et privée (Jauréguiberry, 1998). Cette question des « chronopathologies » (Reinberg, 1979), a été signalée dès les années 1970. Sur la base de mesures biologiques et physiologiques, des dérégulations importantes avaient été diagnostiquées en effet, que l’on associait volontiers aux contraintes de la vie moderne.

102.

Comme nous le verrons infra (chapitre 4)il ne s’agit plus seulement d’économiser mais aussi (et peut-être, surtout) de gérer le temps et l’action.