2.3.1. La conscience du temps chez Husserl et Heidegger

Husserl (1973) a montré que l’unité temporelle du flux de la conscience repose sur l’interpénétration continue de ce qui est donné maintenant avec ce qui était donné pour « maintenant » un instant avant, et avec ce qui n’est pas encore un « maintenant » mais qui le deviendra dans l’instant. Ainsi, une caractéristique générale de la vie de la conscience est que dans chaque phase actuelle, la phase immédiatement précédente est retenue automatiquement (rétentions), tout comme la phase impressive suivante (ou approchante) est automatiquement anticipée (protentions).

Ces fusions des phases aboutissent à des synthèses continuelles, automatiques (Husserl, 1973). Rétension, impression et protention sont fondues dans un flux continu de phases impressives, sans que les vécus ne puissent être divisés clairement comme tels. Aussi, le flux de la conscience est loin d’être constant : il peut être déformé par le déplacement de l’attention, susceptible de le ralentir ou de l’accélérer, ou par des changements s’imposant de l’extérieur. Pour la phénoménologie les rythmes de la durée intérieure constituent le fondement omniprésent sur lequel reposent toutes les structures temporelles de la vie humaine. Ces autres structures temporelles, nous rappelle Luckmann, ne se constituent pourtant pas dans le temps intérieur du moi « solitaire » mais bien plus dans l’agir social. (Luckmann, 1997 : 23)108

On a vu que l’idée de départ de la phénoménologie repose sur la notion de durée liée à la conscience de soi, qui fait de la temporalité la base de l’ « être-au-monde », le Dasein de Heidegger. Dans sa théorie philosophique du temps et de l’être (Heidegger, 1962 ; 1971), il met l’accent sur la finitude du Dasein 109, sur le cheminement de notre vie vers la mort, comme source de l’existence dans le temps. De notre conscience de la finitude de l’existence émerge le sens, l’importance et l’urgence de l’être mais aussi le temps comme frontière de la vie. La « période » allant de la naissance jusqu’à la mort ne doit pas être traitée comme simple variable mais appréciée comme un élément qui imprègne chaque moment de notre existence projective et inclue de manière cruciale le devenir et le changement. Dasein est à la fois horizon et présence : ainsi, le cadre temporel est continuellement reconstitué dans le présent.

La biographie de chacun (la trajectoire de vie) est constitutive de la temporalité des phénomènes sociaux : passé et avenir sont des constituants actifs, indissociables et inextricables, dans la création du présent. Temps et activité s’entrelacent dans la mesure où les acteurs anticipent et projettent leur action dans le futur sur la base de leurs expériences passées.

Notes
108.

Le temps qui prévaut dans la vie quotidienne, écrit Luckmann, ne peut être ce temps singulier dans lequel est pris l’individu isolé car le monde de la quotidienneté est le domaine des interactions sociales qui se répètent.

109.

Construite à partir des mots allemands Da – là, et Sein – être, cette notion désigne un être toujours et déjà absorbé, engagé et emmêlé dans-le-monde.