2.4.2. Routine et régularité dans la perspective ethnométhodologique

Nous utilisons la notion de routine non pas comme un certain type d’action, ni comme une action mesurable par sa fréquence ou par son identité dans la répétition, mais en tant que pratique exhibant une procéduralité particulière. Les routines sont des actions sociales caractérisées par leurs traits seen but unnoticed, socialement standardisés et standardisants, et leur déploiement dans l’espace-temps comporte par conséquence des attentes d’arrière-plan utilisées comme schémas d’interprétation pour reconnaître les scènes de la vie de tous les jours en tant que telles. Dans le chapitre 2 des Studies, Garfinkel s’intéresse aux soubassements routiniers des activités quotidiennes (routine grounds of everyday activities) et aux moyens de faire apparaître, à l’analyse, les variables qui contribuent à leur caractère stable. Garfinkel se demande d’abord ce qui peut perturber le caractère familier (life-as-usual) des scènes de la vie ordinaire afin de produire des liens avec leurs structures sociales stables132. Cherchant à produire, au cours d’interactions désorganisées, les effets socialement structurés de l’anxiété, de la honte ou de la culpabilité, de la consternation ou encore de l’indignation, Garfinkel cherche à dire quelque chose de la manière dont les activités de tous les jours sont produites en tant qu’actions en accord avec des common understandings, de manière ordinaire et routinière. Et il met l’accent sur le fait qu’une des principales méthodes utilisées est de ramener les circonstances présentes sous l’égide de règles d’activités préalablement concertées.

De ce point de vue Chapman et Agre (1987) soulignent le fait que les « experts » ne planifient pratiquement pas, qu’ils utilisent des habiletés et des règles d’action qui reposent sur la capacité à distinguer des indices perceptuels. Or, dans les foyers, les adultes semblent être des experts déployant deux types d’habilités dans l’accomplissement des routines : le premier touche à l’accomplissement d’activités individuelles ou inter-adultes (et qui répondent aux caractéristiques indiquées par Chapman et Agre (1987) ; le second relève de l’accomplissement d’activités collectives et du  faire faire.

Dans une perspective praxéologique, les procédés d’organisation temporelle peuvent être abordés comme des interventions actives des membres, permettent de catégoriser des objets et des évènements différents en tant que phénomènes semblables à travers l’accomplissement d’opérations (Garreta, 2002). Dans cette perspective, les routines sont des activités humaines influencées par une activité antérieure, et en ce sens acquises. Elles contiennent en elles-mêmes un certain ordonnancement ou organisation d’éléments subordonnés de l’action, sont qui est projective, qualitativement dynamique et prête à se manifester ouvertement.

C’est justement ce que nous voyons dans les foyers : des interventions actives des adultes sur les cours d’action de l’ensemble des habitants, des opérations systématiques de mise en intelligibilité du contexte d’activité pertinent, en cours et à venir, des publicisations constantes des manières de faire ce qui est habituel. L’habitude émerge donc dans la situation qu’elle contribue à organiser, car elle ne se limite pas à maintenir les allants-de-soi, ou à une simple répétition, mais joue un rôle essentiel dans la présentation locale de la structure ordonnée de la situation. Parler de routine, de régularité, d’ordonnancement de l’action dans le temps signifie donc parler des méthodes par lesquelles les acteurs présentent ce qu’ils font comme étant  « typique »,  « routinier », etc.133.

Notes
132.

Cette méthode heuristique (Lynch, 1993 : 140) est connue sous le nom de breaching experiments.

133.

La question de la routine soulève des interrogations conceptuelles et méthodologiques, notamment concernant l’échelle d’analyse : est-il possible d’étudier les routines quotidiennes en ne débordant pas l’échelle du mouvement séquentiel ou de l’action suivante (next move) propre à l’Analyse Conversationnelle ? Comment rendre compte du déploiement des phases de la journée, ou du passage d’un jour à l’autre, par exemple ? (Lynch, 1991). Il apparait qu’observer les détails relevant de dynamiques plus larges que le tour de parole permet d’analyser d’autres types de régularités que celles décrites par l’analyse de séquences conversationnelles. Ce sont quelques unes des questions que nous avons traité au chapitre théorico-méthodologique.