2.4.4. Temporalité en AC et en linguistique interactionnelle

L’Analyse Conversationnelle d’inspiration ethnométhodologique a documenté la dimension temporelle des interactions, autant sur la récurrence de structures séquentielles organisant les conversations, que sur la manière dont les interlocuteurs font référence au temps et aux évènements dans le temps135, et ce généralement à l’échelle des séquences d’interactions verbales.

Sélectionnées à partir d’un éventail de formulations alternatives possibles, et tel que nous l’avons montré plus haut, les formulations temporelles peuvent relever de ce que Pomerantz appelle des « indications relationnelles » (Pomerantz, 1987). Plus généralement, les formulations temporelles sont des activités proches des formulations de lieux (Schegloff, 1972), et des catégorisations d’appartenance (Sacks, 1972a ; 1972b) utilisées à toutes fins pratiques. Les formulations temporelles constituent donc, des éléments langagiers contribuant à la machinerie interactionnelle (Sacks, Schegloff, Jefferson, 1974). Or, malgré l’importance ontogénique de la dimension temporelle dans la tradition ethnométhodologique, les travaux spécifiques sur les méthodes de (re)composition de la dimension temporelle de l’action restent relativement peu nombreux.

Les qualités dynamiques du discours sont souvent mises en exergue dans des travaux en AC : le discours émerge comme quelque chose de produced over time, incrementally achieved, rather tha born naturally whole out of the speaker’s forehead (Schegloff, 1982 : 73). Aussi, l’AC s’intéresse de plus en plus à la prosodie et aux rythmes (Auer, Couper-Kuhlen et Muller, 1999)136, ainsi qu’à la multi-modalité : Mondada (2006), a en effet abordé la question de la temporalité en étudiant le pointage en tant que pratique de gestion de la temporalité de l’interaction.

Parmi les recherches existantes rappelons l’article de Sorjonen (1996), sur les répétitions, qui montre des orientations des participants vers un lien étroit entre des formulations temporelles et leur pertinence pour l’action et les activités immédiates137. Dans l’ouvrage où paraît ce texte, Interaction and Grammar, la temporalité est abordée dans la distribution de l’action dans le temps qui passe (moment-by-moment ; cf. l’article de Goodwin et dans celui de Ochs, Gonzales et Jacoby), d’une part, et dans la directionnalité de cette action (cf. les articles de Ford et Thompson, Fox, Hayshi et Jasperson ; Lerner ; Schegloff, sur directionnalité et projectabilité ). Le temps des secondes et des minutes, ces unités standardisées, concernent le  « chronos », alors que les participants aux interactions verbales s’engagent dans un temps qui implique du sens le kaïros. Dans leur introduction, Ochs, Schegloff et Thompson soulignent que les interactions ont lieu dans un temps kaïrotique qui converge avec le temps standard via the relevance of the structures of the occasion, including grammar(Ochs, Scheloff et Thompson, 1996 : 20).

Parmi les textes qui se distancient des approches classique de l’AC, et qui s’intéressent aux phénomènes temporels, soulignons l’article de Filliettaz (2007) : basé sur d’analyses multi-modales, ce texte explore les propriétés rythmiques de l’action sociale et les contributions du langagier, de l’in-corporé et de la matérialité dans la régulation/structuration de pratiques professionnelles.

Notes
135.

Ce second aspect a toutefois été moins exploré que le premier.

136.

Auer et ses collègues prônent une « retemporisation du langage », une réintroduction de la temporalité au sein de la description et de l’analyse des interactions verbales. Ils se distancient radicalement des présuppositions métalinguistiques sur la grammaire en tant qu’outil et en tant que fonction représentationnelle stable et a-temporelle et abordent la question du rythme et du tempo en caractérisant les mots énoncés (spoken words) en tant qu’objetstemporels. Sur la base de corpus conversationnels enregistrés et transcrits (en anglais, allemand et italien) les analyses prosodiques, grammaticales, rhétoriques ainsi que les analyses de structures conversationnelles présentées constituent une approche qui prend en compte la production de la langue dans son contexte temporel, en particulier dans sa dimension rythmique.

137.

Les éditeurs de Interaction and Grammar (1996), où paraît l’article de Sorjonen, pointent trois traits caractéristiques du matériel audio enregistré : temporalité, engagement, et incorporation.