2.5. Les nouvelles temporalités de la famille

Pour de nombreux champs des sciences humaines, notamment pour la psychologie et la pédopsychiatrie mais aussi l’anthropologie et la sociologie, les routines familiales sont des cadres porteurs des relations parent-enfant, des occasions régulières de se retrouver autour d’un objectif commun et de développer des patterns d’interactions plus ou moins ajustés, et susceptibles d’encourager, le développement (Bossard et Boll, 1950 ; Boyce et al., 1983 ; Duncan et Fiske, 1977 ; Kendon, 1982 ; Reiss, 1981 ; Schaffer, 1984). Mais les habitudes familiales (et leurs différences interindividuelles) sont rarement étudiées du point de vue ethnographique et/ou de leur déroulement dynamique, et sont généralement étudiées à partir de données statistiques, de questionnaires et d’entretiens. Aussi, plus globalement, la faillite du mode de régulation temporelle du modèle industriel (Bessin, 2005) aurait produit de fortes mutations sociales depuis les années 1970, mutations que l’on peut lire dans la montée d’une flexibilité temporelle marquée par l’incertitude, l’individualisation et la compression des temps138. Dans ce contexte, le questionnement sur l’espace domestique et les activités familiales à l’intérieur et à l’extérieur du foyer, mais aussi dans les interstices (spatio-temporels) entre les deux, etc. se décloisonne et la transversalité disciplinaire est souvent choisie139.

Comme le monde du travail, la sphère de la famille se voit profondément affectée par des restructurations contemporaines (propres au mouvement naturel du capitalisme, selon Bessin, 2005), qui viseraient un affranchissement maximum des contraintes et des rigidités, notamment spatio-temporelles. La vie « en flux tendu » se traduirait, en ce qui concerne les familles, par une menace du temps familial. Avec lui, seraient aussi menacées des pratiques et des rituels comme le repas partagé, par exemple. Cette idée n’est pourtant pas nouvelle : on la retrouve aussi dans les années 1920 et 1940, et plus généralement a constitué un sujet de préoccupation sociétale et d’enquête scientifique dès que les sociétés industrialisées ont commencé à attacher de l’importance au temps de la famille en tant que tel (Gillis, 1996 : 5)140. Nous allons rappeler les principales questions posées ces dernières décennies par le temps à la socio-anthropologie de la famille.

Notes
138.

Cette compression est un des éléments caractéristiques des actuelles exigences d’adaptabilité en temps réel, qui, selon Bessin (2005), se contredisent avec les principes de prévision et de programmation propres à la temporalité industrielle.

139.

Au-delà des sciences humaines stricto sensu, rappelons que des architectes travaillent désormais sur des thématiques telles que la relation entre expérience des familles habitantes et dispositifs architecturaux, par exemple (Desprès & Piché, 1992 ; Léger & Decup-Pannier, 2005, Amphoux 1988a, 1988b, Amphoux & Mondada, 1989)). Aussi, avec une perspective éminemment pluridisciplinaire, de plus en plus de géographes s’intéressent aux « pratiques habitantes » (Lévy & Lussault, 2003), en particulier à celles de l’espace domestique, notamment à partir des travaux de Pezeu-Massabuau (1983 ; 2003), puis de Staszak (2001) et de Collignon et Staszak (2003). Nous reviendrons plus en détail sur ces différentes approches.

140.

Dans son analyse historique du temps familial Gillis (1996) montre que l’âge d’or où les familles vivaient un idéal de partage, d’intimité et de solidarité relève de la fiction.