2.5.2.2 Un temps genré

Des chercheurs de la mouvance féministe ont focalisé leurs travaux sur la relation spécifique entre genre et temporalité, afin de montrer le caractère genré de l’expérience temporelle (Adam, 1995 ; Jurczyk, 1998 ; Odih, 1999, entre autres)147 et de pointer les problèmes temporels qu’affrontent aujourd’hui les femmes (en particulier les mères) comme autant d’enjeux sociétaux (Méda, 2008 ; Hochschild, 1989, 1997)148.

D. Méda (2008), par exemple, aborde les tensions temporelles et les inégalités professionnelles entre genres afin de mettre l’accent sur le fait que, depuis les années 1970, en France, comme dans bien d’autres pays, le processus d’accès massif des femmes au monde du travail149 n’a pas été accompagné par l’adaptation sociale, institutionnelle et politique (notamment en matière de garde et d’accueil des enfants150), qu’il demandait. Tensions temporelles et inégalités professionnelles prennent de ce point de vue leur origine dans la répartition inégale des tâches domestiques et familiales (ibid.. : III), laissant sur les épaules des seules femmes la soit disant « responsabilité du choix » (travailler ou pas, à plein temps ou pas, etc.), et l’organisation temporelle qui va avec.

Assumant les taches de coordination, les arrangements, les interactions entre vie professionnelle et vie familiale, les femmes vivent une insertion professionnelle et des conditions d’emploi de mauvaise qualité et temporellement morcelées (ibid.). Tout comme Daly et bien d’autres, Méda insiste sur le fait que les tensions, inégalités et conflits dont font l’expérience de très nombreuses familles ne relèvent pas de problèmes individuels, mais essentiellement d’un dilemme systémique qui exigea des solutions publiques.

Alors que les premières études féministes ont cherché à éclairer ce qui était invisible151, l’accent a été mis par la suite sur le rapport au temps qu’engendre l’assignation des femmes à un certain type de rôle, par exemple en relation à la disponibilité, vis-à-vis d’autrui. Nous verrons dans nos analyses que cette question de la disponibilité (et de la sollicitude) mérité d’être étudiée et problématisée empiriquement.

Aujourd’hui, une grande partie des études féministes ou des chercheurs intéressés aux temps sociaux se penchent sur ce qu’on appelle « conciliation » entre vie de famille et travail. L’idée est, de ce point de vue, de mettre à jour les transformations contemporaines de l’activité, de la famille et du travail à partir des difficultés rencontrées par les femmes, et par les familles dans leurs modes de gestion temporelle.

Notes
147.

En particulier en ce qui concerne les diverses représentations du temps que se font les femmes.

148.

Un cas un peu à part est celui de C. Leccardi (2005), qui, dans son travail sur les récits biographiques de jeunes femmes italiennes en passage vers l’âge adulte, étudie la multiplicité des temps concrets de la vie quotidienne : le temps public, le temps de la famille, le temps subjectif, le temps biologique et le temps cosmique. Reprenant la métaphore du réseau, l’auteur montre que ceux-ci non seulement coexistent mais contribuent en tant qu’ensemble, en tant que réseau d’interconnexions mutuelles, à la construction de l’univers symbolique de ces femmes (Leccardi, 2005 : 7). La journée de travail s’anoblit, son caractère éminemment créatif et différentiel apparaît, contrastant fortement avec l’idée que le temps quotidien ne fait que se répéter, cycliquement et à l’identique.

149.

Le pourcentage de femmes actives âgées de 25 à 49 ans est passé de près de 50% en 1970 à 80% en 2000, (81% en 2004). Les mères elles-mêmes sont majoritairement actives (près de deux mères de deux enfants sur trois, et la moitié des mères de trois enfants ou plus).

150.

Méda souligne à plusieurs reprise l’importance non seulement d’un accès des modes de garde collective garanti à tous, mais aussi l’importance de leur qualité et proximité (le modèle scandinave est pris en exemple, avec la prise en charge municipale des crèches et des écoles maternelles financées au niveau national).

151.

C’est à dire le patriarcat comme système autonome d’exploitation, en particulier concernant le travail domestique (Delphy, 1980).