2.5.2.3 Le paradigme de la conciliation famille/travail

Le point de départ de cette problématique est la présence d’enfants dans la famille, et ses importantes répercussions sur les plans organisationnel et temporel. La présence d’enfants accroît la charge de travail des parents, à l’intérieur ainsi qu’à l’extérieur du foyer. Cela change selon les pays, mais, généralement, d’après ce que montrent les études citées par Méda, entre autres, l’arrivée d’un enfant semble accroître le temps de travail rémunéré du père et diminuer celui de la mère, qui passe à temps partiel ou abandonne son emploi, pour prendre la responsabilité d’une surcharge de travail parental et domestique. Dans des millions de foyers en France, cette division ne règle pas tous les problèmes (en en créant de nouveaux) et, notamment dans les cas où la mère poursuit une activité rémunérée (a fortiori à plein temps), cela ne va absolument pas de soi dans l’expérience quotidienne. C’est ce qu’on appelle double gestion ou double journée de la mère de famille.

Plus généralement, la double gestion est devenue caractéristique de l’expérience des femmes rentrées massivement dans l’activité salariée : des dernières transformations sociales (flexibilisation horaire du travail, salarisation massive des femmes et conséquente généralisation des couples bi-actifs), résulte un besoin de comprendre les équilibrages et les conflits entre travail et famille.

A la lumière de la plupart des recherches –notamment sociologiques et statistiques152- sur le temps des familles, l’organisation et la réalisation des activités domestiques et familiales apparaissent comme étant toujours massivement portées par les femmes (Aliaga et Winqvist, 2003), en France ainsi que dans de nombreux pays européens. La Scandinavie (en incluant la Finlande) fait figure d’exception, signalée comme la zone la plus avancée en matière d’égalité hommes-femmes)153. Il semble donc logique que la pénurie temporelle soit, de ce point de vue, signalée comme un phénomène vécu plus fortement par les femmes, qui, toutefois, déploient des stratégies différentes (Hochschild, 1989)154.

Dans l’univers anglo-saxon, en particulier aux Etats-Unis, les études sur le temps et son utilisation, fortement répandues depuis une cinquantaine d’années, cherchent notamment à décrire les foyers à double revenu, catégories socio-démographiques relativement récente et déjà prédominante. Plus généralement, ce sont les méthodologies quantitatives, telles que celle de l’allocation du temps, ou budgets-temps, que l’on mobilise pour aborder ces questions (cherchant à dégager les temps de loisir par opposition au temps contraint, ou les organisations du temps selon des variables classiques de stratification sociale, par exemple)155.

Notes
152.

Malgré l’abondance de recherches utilisant des données quantitatives sur la « conciliation » des contraintes familiales et professionnelles aux États-Unis et au Canada (Cf. Roxburgh, 1999; Spitze, 1988; Walters et al., 1997 ; Walters, McDonough et Strohschein, 2002, par exemple), les études européennes (notamment les études comparatives) sont plutôt rares (cf. supra). Les recherches qualitatives restent, quant à elles, minoritaires malgré leur importance (Walters et al., 2002).

153.

Rappelons qu’un des buts de l’Union européenne est de promouvoir et favoriser la conciliation du travail et de la famille afin de faciliter la participation des parents au marché du travail. Mentionnons par exemple la Stratégie-cadre communautaire en matière d’égalité entre les femmes et les hommes (2001-2005) (Commission européenne, 2000a), qui favorise l’égalité des sexes en matière de droits sociaux. (Cf. le rapport de suivi sur la directive accordant le droit à un congé de maternité allant jusqu’à 14 semaines – directive sur l’amélioration de la sécurité des travailleuses, (Commission européenne, 1999) ; Cf. la proposition de modification de la Directive pour donner aux femmes le droit de retourner au poste de travail, ou à un poste équivalent, après l’accouchement (Commission européenne, 2000b). (Cf. Tremblay et Thoemmes, 2006), pour un panorama international des études sur la conciliation famille-travail, en particulier sur les politiques publiques européennes).

154.

Hochschild (1989) affirme que les diverses «idéologies (et stratégies) de genre» permettent de déterminer les sphères de la vie familiale et du travail auxquelles l’individu veut s’identifier (ibid.). Dans sa célèbre enquête, l’auteur a décelé trois types d’idéologie de genre : traditionnelle, transitoire et égalitaire. La femme traditionnelle, même active, assume comme un fait normal les responsabilités qui concernent le foyer (et considère normal que son conjoint donne la priorité au travail) ; selon l’idéologie «égalitaire», la femme conçoit mener de front travail et vie familiale, au même titre que son conjoint ; enfin, l’idéologie «transitoire» est un mélange des deux, selon lequel la femme (bien que prête à s’investir dans les deux sphères), considère son mari comme le soutien financier fondamental de la famille.

155.

Cf. Kaufmann et Flamm, (2002), par exemple.