3.2.1.2 Articulation de l’Analyse de Discours et de l’Analyse Conversationnelle

Dans le cadre de l’approche Language Socialization (Ochs et Schieffelin, 1986), Ochs et ses collègues ont développé de nombreux travaux, souvent pluridisciplinaires, articulant analyse de discours et analyse conversationnelle. Ainsi, développement social et acquisition des compétences langagières sont abordées dans une relation réflexive. Soulignant l’ancrage du développement humain dans le vécu des interactions sociales quotidiennes, cette approche adopte une perspective socioculturelle lui permettant de décrire les divers procédés par lesquels les enfants construisent leur compréhension sociale en contexte, notamment avec des adultes.

Par ailleurs, inscrits dans l’analyse de discours de tradition ethnométhodologique, des auteurs comme Gubrium et Holstein travaillent sur la production des relations et du groupe familial dans les discours et pratiques des membres, souvent au-delà de ce qui se passe dans l’espace domestique. Pour ces auteurs, le discours familial - en tant qu’action sociale - organise, manipule et contrôle les significations. Le discours est, simultanément, expositif et rhétorique et l’utilisation du vocabulaire familial est vue comme un promoteur de façons particulières de comprendre des situations et des actions, et de se les représenter (Holstein et Gubrium, 1994). Ainsi, le discours organise l’ordre social plus qu’il ne le décrit (Foucault, 1980) : puisque les pratiques constitutives de la famille sont dans leur quasi-totalité invisibles et subtiles, affirment-ils, nous ne sommes pas encore conscients du contrôle interprétatif que celles-ci insinuent dans la vie quotidienne (Holstein et Gubrium, 1994). La famille est une façon d’interpréter, de représenter et d’organiser les relations sociales (Gubrium et Holstein, 1990) et les relations sexuelles, une catégorie utilisée pour définir des liens sociaux et des paramètres moraux187.

La plupart des pratiquesorganisationnelles que nous décrivons dans notre travail se réalisent fondamentalement à travers la parole-en-interaction. Le langage occupe donc une place centrale non seulement dans la mise en discours d’actions et d’événements mais aussi dans le maniement d’outils organisationnels ; des outils qui renvoient à des phénomènes de classifications de temporalité, de cohérence, de logique, d’erreurs, d’accidents, de causalité (Quéré, 1999 : 201). Dans ce cadre, l’asymétrie entre adultes et enfants semble consubstantielle des opportunités/contraintes temporelles qui pèsent sur eux. Autrement dit, les plus affairés dans le foyer sont aussi les plus susceptibles de –et les plus légitimes à- organiser cet affairement. A nos yeux, cette réalité contribue à nourrir les paradoxes et contradictions sur le temps familial dont nous avons parlé au chapitre précédent.

Notes
187.

Toujours dans le champ de l’analyse de discours, D. Tannen (2003) aborde l’ambiguïté, la polysémie et l’équilibrage du pouvoir et de la connexion dans la famille, ainsi que le caractère genré de certains rituels conversationnels.