3.2.1.3 Interactions, socialisation, rôles

D’autres travaux ont montré que les membres des familles développent des stratégies discursives pour organiser leur quotidien, mais aussi pour mener à bien leurs objectifs de socialisation. Pour un nombre croissant d’étude sur la co-construction des rôles spécifiques et des identités des membres des familles, le siège principal de ces phénomènes est l’interaction sociale, en particulier l’interaction en face-à-face188. Des travaux interculturels, dont le corpus est souvent constitué par les interactions pendant le dîner, montrent la variabilité culturelle – ou socioculturelle - des outils conversationnels qui agissent sur la dimension morale des interactions et des relations (Tulviste et al., 2002) ; ils décrivent aussi la participation des enfants dans les conversations, rendant compte d’attitudes plus ou moins dominantes des adultes vis-à-vis des enfants au cours d’échanges verbales (Blum-Kulka, 1997).

Aussi, plusieurs patterns d’interaction ont été définis comme spécifiques aux familles : les séquences où l’on raconte sa journée, celles où le père est constitué comme un « meilleur connaisseur » au sein du groupe (Ochs et Taylor, 1995), ou encore le phénomène du speaking for another (Schiffrin, 1993)189. Ochs et Taylor (1995) ont pour leur part analysé 100 récits chez des familles conjugales et en ont décrit des activités narratives ainsi que les rôles qu’elles produisent (introducteurs, protagonistes, récepteurs, problématiseurs, etc.). Les auteurs décrivent d’une part la variabilité de ces rôles selon le contrôle que les divers participants exercent dans le contexte d’activité, et d’autre part la dimension politique du récit lorsque les enfants contestent les récits. Ainsi, la nature de la socialisation est désormais abordée comme étant multidirectionnelle (circulant entre parents et enfants)190.

Abordées depuis une perspective conversationnelle et goffmanienne, les familles peuvent être également décrites comme des équipes (Gordon 2003) : les membres exhibent des alignements solidaires (supportive alignments) lorsqu’ils ratifient et soutiennent les tours de parole d’un autre membre, créant des liens de coopération, collaboration et accord191. Parmi ces études, celles du courant constitué dans les années 2000 à partir du projet CELF, dirigé par E. Ochs, occupent une place particulièrement importante.

Notes
188.

Les interactions familiales sont l’opportunité de socialiser les enfants à travers les exigences conversationnelles elles-mêmes, telles que les pratiques de politesse et de participation adéquates (attendre son tour pour parler, etc.) ou l’apport d’information pertinente à la conversation (Blum-Kulka, 1994 ; O’Reilly, 2006, entre autres). Ces travaux mettent l’accent sur le fait que les enfants occupent une place hiérarchiquement inférieure aux adultes dans la plupart des processus de prise de décision et, parfois, sont marginalisés de manière plus générale dans les interactions.

189.

Ce phénomène implique l’auto-sélection et l’intervention verbale des parents à la place de leurs enfants, souvent dans l’espace public, et a été étudié également à l’occasion de rendez-vous chez le médecin pédiatre (Stivers 2007). Un phénomène connexe est celui décrit par Tannen (2004) sous le terme de ventriloquizing. Nous retrouverons des phénomènes semblables dans des interactions entre certains parents et jeunes enfants.

190.

Pontecorvo et Fasulo (1999).

191.

Gordon s’est intéressé aux belles-familles au sens des stepfamilies.