3.2.1.4 Le projet SLOAN-CELF (Center for Everyday Life in Families)

Les tentatives d’étudier les interactions familiales de manière intégrée, ne fixant pas des présuppositions sur la nature d’une activité donnée, restent rares. Face à ce constat, Ochs et ses collègues à UCLA University se sont engagés dans un important projet international et pluridisciplinaire, dans les années 2000, financé par la fondation SLOAN : le Center on Everyday Lives of Families (CELF)192. Créé d’abord aux Etats-Unis puis en Italie et en Scandinavie, le projet se propose de réaliser des analyses qualitatives, approfondies et comparatives de la vie quotidienne de plusieurs familles de type double-revenu193. Ce projet cherche, entre autre, à dégager les dénominateurs communs et les spécificités locales qui caractérisent la manière dont les familles - appartenant à des cultures nationales différentes - s’engagent dans de multiples activités et responsabilités, gèrent les conflits et les pressions face au travail ou à l’école, etc.194

Un des phénomènes spécifiques traités par le projet CELF a été celui de la gestion du temps des activités domestiques et familiales ainsi que, plus généralement, l’expérience des familles vis-à-vis de leur temps. Parmi les thèmes abordés on trouve la réalisation et planification (scheduling) des activités, au cours de la journée et de la semaine, dans l’espace domestique ainsi qu’en dehors, la négociation des plannings individuels et collectifs, les différentes perceptions de ce que l’on appelle quality time, ou encore quelles sont les contraintes exercées par les plannings professionnels et scolaires. Un des settings les plus travaillés est sans doute le contexte du repas195.

Soulignons ici que les résultats obtenus par le CELF ouvrent une nouvelle étape dans les études qualitatives sur la vie familiale, après celle focalisée sur les rôles et les identités produites dans le discours. Articles et working-papers nombreux soulignent l’importance de la dimension morale et de son ancrage pratique et interactionnel. La juxtaposition entre la préoccupation pour l’efficacité et le contrôle des activités, d’une part, et les contingences, contraintes et incertitudes (logistiques ou informationelles) de la vie quotidienne, de l’autre, est également soulignée.

Notes
192.

http://www.celf.ucla.edu/

193.

Un des axes d’analyse de ce projet est celui de la cohésion familiale, abordée selon deux perspectives : la cohésion spatiale, c’est à dire l’« être ensemble », au plan physique d’une part, et la cohésion interactionnelle, le partage d’activités communes, par exemple, d’autre part.

194.

Dans chaque pays, les observations portent sur une semaine dans la vie de plusieurs dizaines de familles des classes moyennes, d’origines ethniques et aux orientations sexuelles diverses, dont les deux membres du couple parental travaillent en dehors de la maison, ayant souscrit un prêt immobilier et ayant deux à trois enfants. Par le biais de données vidéo, de carnets, de cartographies des foyers ou de suivis photographiques des habitants, une archive centralisée de données vidéo a été créée, qui documente finement la vie ordinaire de plusieurs familles, au sein mais aussi à l’extérieur des foyers (trajets foyers-écoles, courses, etc.).

195.

Le repas constitue en effet un site culturel par excellence de la socialisation des enfants à la commensalité, aux attentes communicationnelles et aux significations symboliques, morales et affectives des aliments et de l’acte de manger. Cf. par exemple Ochs, et Shohet (2006) ; Blum-Kulka (1997) ; Feiring & Lewis (1987) ; Fiese & Markinsky (1999) ; Ramey & Juliusson (1998) ; tous ces travaux touchent à des problématiques liées à la socialisation et aux dimensions symboliques du repas.