3.2.2 La fin de la spatialité ?

Malgré ce que nous venons de dire, dans le contexte d’une mobilité géographique accrue, d’une économie globalisée et du développement des technologies de communication, certains auteurs affirment que la capacité à être présent et à s’engager en ligne avec les autres fait que l’on interagit désormais « sanstenircomptedeslocalisations »196. Et que, pour cette raison, la notion de domesticité n’est plus pertinente : tout le globe est désormais « un foyer »197. A l’instar de Friedland et Boden (1994), par exemple, il nous paraît important de souligner que l’axe spatial, les distances, ne disparaissent pas, au contraire. La co-présence révèle indexicalement de l’information dense, et constitue un gage indispensable de sincérité et d’engagement entre partenaires sociaux.

Pour Ellegård et ses collègues il s’agit aussi d’analyser la mobilité, les frictions de distance vécues par les gens au cours des activités, les projets et les contacts quotidiens avec le monde extérieur (au foyer), etc.198.

Notes
196.

Des textes désormais classiques comme Place and Placelessness (Relph, 1976) ou No Sense of Place (Meyrowitz, 1985) soutiennent non seulement que le « chez soi » est fondamentalement experiencé, et non plus localisé, mais aussi que les moyens de transport et de voyage constituent le nouveau noyau des pratiques contemporaines (cette idée est d’ailleurs partagée chez certains auteurs de la branche phénoménologique de la géographie anglo-saxonne comme Seamon & Mugerauer, 1989, par exemple). Dans ces perspectives l’individu est placé au centre, non pas fondamentalement du point de vue de ses pratiques concrètes mais en tant que dimension productrice d’un plurilocal home (Rouse, 1991), un foyer basé sur une construction intellectuelle personnelle (narrative du chez-soi). Certains tenants de l’idée de délocalisation du foyer plaident aussi pour une réappropriation de la notion de en tant que chez soi (home) car elle ferait partie des derniers idéaux utopiques (Rapport et Dawson, 1998).

197.

De façon complémentaire, le paradigme du nomadisme alimente aussi la controverse autour de la pertinence du domestique en le considèrent un champ anachronique qui ne laisserait que peu de place au travail conceptuel sur un monde en mouvement (Rapport et Dawson, 1998). De ce point de vue, l’intérêt pour l’inscription des pratiques dans le temps et l’espace est en grande partie remplacé par l’intérêt porté aux phénomènes extra-territoriaux et à la fluidité (ou liquidité, selon les termes de Bauman, 2000). Phénomènes qui seraient en passe de remplacer les structures sociétales traditionnelles.

198.

La mobilité (ou les mouvements) à l’intérieur du foyer lui-même, compris comme « territoire », reste en revanche peu examinée. Néanmoins, l’idée sur laquelle se base le beau film de B. Hamer Kitchen stories est justement celle d’une enquête ethnographique comportementaliste sur les déplacements d’hommes célibataires suédois dans leurs cuisines ! Dans une certaine mesure, nos analyses apportent des éléments sur cette question de l’intra-mobilité, en relation au rôle que jouent les mouvements et trajectoires des habitants dans les pratiques organisationnelles de tous les jours.