3.2.3.2 Compétences et ressources du travail de care

Ce point de vue revêt une importance particulière au regard de l’intensité et de la constance de l’engagement individuel et collectif observés dans les quatre foyers lors de notre terrain, aux fins pratiques du care : le partage entre membres du couple est plutôt généralisé, ce qui en fait des exceptions peut-être, mais surtout des cas remarquablement intéressants pour l’analyse.

Bien que cela demande des efforts considérables, notamment pour les adultes, les membres des familles à double-carrière que nous avons observé réussissent à conduire leur vie (professionnelle, scolaire, familiale) dans un climat plutôt propice aux échanges affectifs et éducatifs, mettant en place des pratiques de partage inter-genre des taches, parfois assez poussées211. Or, le travail d’organisation, de coordination et de synchronisation collective de la vie quotidienne est réalisé à travers la prise en compte constante des activités sociales et des processus matériels en cours dans le foyer, c’est à dire la prise en compte de temporalités multiples, co-occurrentes et parfois conflictuelles et la mise en œuvre systématique, signifiante et plus ou moins concertée/négociée des transitions vers les activités à venir. Ceci signifie que le travail de care n’implique pas seulement le temps que l’on passe à réaliser des taches particulières ou à veiller sur autrui, mais, et ceci est un point crucial, exige des compétences de membre pour structurer socialement et temporellement le flux des actions ordinaires qui, par ailleurs, contribuent à faire de l’espace domestique le chez soi de tout un groupe. Au-delà des questions spécifiques (bien que très amples) posées par le paradigme du care, insistons sur le fait que cette gestion temporelle complexe des activités (propres et autrui) s’appuie fortement sur la matérialité présente dans l’espace domestique. Mais quelle est la place pratique effectivement occupée par la matérialité et, plus spécifiquement, par les technologies dites domestiques (communication, information, électroménager, etc.) ; comment les technologies sont-elles effectivement utilisées, dans quelles situations ? Quels problèmes posent-elles ? Et quels problèmes contribuent-elles à résoudre, au-delà de leur fonctionnalité première ?

La matérialité, la spatialité et les cadres de participation sont mobilisés pour donner du sens aux activités quotidiennes en tant qu’activités collectives et routinières. Le fait de rendre intelligible et moralement légitime ce qui est fait dans le foyer au fur et à mesure de sa réalisation, à travers des anticipations, des planifications, des mesures profanes et des accounts rétrospectifs montre bien que la définition des activités de care comme consistant à être avec ou à veiller sur quelqu’un est beaucoup trop limitée, et ceci non seulement sur le plan des implications morales et affectives mais aussi du point de vue de la nature de l’activité elle-même.

Notes
211.

Nous ne traiterons les inégalités concernant le care et le travail domestique en général que dans la mesure où les membres des couples des foyers observés s’orientent eux-mêmes vers ces questions comme autant de problèmes, Malgré le fait que ce phénomène apparaisse peu dans nos données, et, par conséquent, ne soit pratiquement pas analysé, nous sommes conscients des enjeux sociétaux et politiques qu’implique cette problématique particulière.