Chapitre 4. La place des technologies dans l’organisation des activités quotidiennes

‘« Si nous sommes intelligents, c’est que nous occupons des mondes
sociaux et matériels dans lesquels nous nous comportons de façon intelligente, en utilisant des processus cognitifs relativement simples ».
E. Hutchins, Cognition in the Wild, 1995
« Vouloir ce qui suffit c’est avoir ce que l’on veut »
Sénèque’

L’espace domestique contemporain fait l’objet de recherches et d’interrogations dans un large éventail de disciplines en sciences humaines et sociales, en particulier celles qui se focalisent sur la relation entre technologie et société (les STS). Le foyer, indissociable de sa dimension technique et technologique212, est ainsi décrit comme étant pris dans l’accélération des processus de la vie quotidienne (au croisement des rythmes de travail et des rythmes urbains) et dans l’exigence croissante d’instantanéité des communications213.

La relation entre foyer et technologie est complexe et parfois conflictuelle214, d’autant plus que les contours de la notion de TICs et NTICs (technologies de l’information et de la communication et nouvelles TICs), semblent floutés215. Bien que nous utilisions ici cette question sans la problématiser, nous cherchons à ne pas prendre à notre compte certains traits sémantiques souvent véhiculés dans les discours, scientifiques ou pas.

Pour les sciences humaines, les NTICs constituent des ressources pour l’action et non simplement pour la connaissance ou l’information. L’effet de l’utilisation massive des TICs et NTICs sur la temporalité des procès de production et d’échange, requalifie les diverses sphères de la vie et leurs relations mutuelles. Dans ce cadre, le nombre d’équipes de recherche et de laboratoires qui travaillent sur le foyer, ses activités, ses technologies et ses relations avec le dehors est croissant. En revanche, les approches constructivistes et praxéologiques sont encore minoritaires dans le domaine.

Ici nous rappellerons la place des approches praxéologiques dans les STS, puis parcourrons les études portant sur le foyer, ses activités et sa matérialité technique et, en fin de chapitre, celles qui se penchent plus particulièrement sur la relation entre temporalité, technologie ; il s’agira notamment d’interroger le paradigme de l’Informatique Ubiquitaire dans ses développements pour la sphère domestique.

Notes
212.

La plupart des maisons dans les pays dits développés (mais de plus en plus dans les pays sous-développés ou en voie de développement aussi) comptent un nombre croissant d’artefacts technologiques (essentiellement de l’électroménager, des TICS et des media divers). Selon les études statistiques d’il y a une quinzaine d’années, 80% du temps libre et des loisirs avaient lieu à la maison (Tomlinson, 1990).

213.

Sur l’attente d’immédiateté pensant sur les réponses aux sollicitations distantes cf. Licoppe (2010).

214.

L’infrastructure digitale actuelle, par exemple, ne semble plus majoritairement  offrir du temps mais, dans de nombreux cas, uniquement une amélioration de la productivité et de l’efficacité du travail domestique ; par ailleurs, la promesse de loisirs, en tant que contenus riches et actualisables, n’est guère liée au résultat de l’effet time-saver que produiraient certaines technologies car le loisir est massivement associé à la consommation de contenus qui demandent à « consommer du temps » au sein du foyer.

215.

La notion de Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, bien qu’évanescente et instable (Clément, 2000), illustre le saut industriel qualitatif fait en électronique (capacité, qualitative et quantitative, de transmission des réseaux, ainsi que digitalisation croissante des technologies de la communication) ainsi que la digitalisation. Cette dernière a en effet impliqué une transformation profonde des technologies, une informatisation de la technique (Mercier, Plassard, Scardigli, 1984 : 24) et une informationnalisation de la société (Castells, 1996).