4.1.1.1 Analyse Conversationnelle d’interactions technologiquement médiées

L’utilisation d’un certain nombre d’objets, d’artefacts et de services de type TICs et NTICs (téléphones, e-mails, Communication Médiée par Ordinateur-CMO) dans les conversations médiatisées ordinaires, rend l’étude des infrastructures technologiques – d’abord marginale –de plus en plus importante en SHS, en particulier en AC. En raison de la diversification des modes d’interaction à distance on traite des formats d’organisation de l’interaction de plus en plus variés ; néanmoins, ces modes d’interaction à distance, plus ou moins nouveaux, partagent tous une double caractéristique : d’une part ils donnent lieu à des situations de contact distant entre des participants, et, d’autre part, ils s’inscrivent nécessairement dans la corporéité des utilisateurs ainsi que dans des activités qui restent localisées dans un contexte proximal.

Comme le rappelle Relieu (2005), en général les études sur la communication distante (sur les échanges en ligne notamment), s’effectuent en séparant leur réception et les contextes particuliers où s’inscrivent les communications ; aussi, ils prennent peu en compte les dynamiques spécifiques aux dialogues électroniques. Pourtant, la communication médiatisée se caractérise par une « tension » entre le rapprochement qu’elle institue et la disjonction qu’elle maintient (ibid.). Un nombre croissant de conversationnalistes adopte une perspective ethnométhodologique située de la communication (Suchman, 1987) afin de décrire le travail par lequel ces deux dimensions, distante et proximale, se rejoignent parfois, ou au contraire, se distendent jusqu’à s’exclure (Relieu, 2005). Et ce en tenant compte non seulement des modalités discursives ou langagières, au sens traditionnel du terme (ce qui est dit/écrit/lu), mais aussi de tout autre élément de l’écologie qui, exploité, par les participants, devient ressource ou modalité d’action. Ainsi, on s’intéresse de plus en plus aux contaminations croisées entre activités distantes et activités de proximité (Relieu, 2005) et la manière dont cela transforme parfois les frontières des espaces pertinents pour l’action (co-présence soutenue par des technologies et des dispositifs divers, etc.)217.

Parmi les courants travaillant sur l’indissociabilité entre action sociale, dimension technique et dimension culturelle, un des plus solides et reconnus est sans doute celui des WorkPlace Studies (WPS). Faisant irruption, dans les années 1980, dans un champ encore dominé par la psychologie cognitive (Norman et Draper, 1986) les WPS se sont focalisés sur la technologie au travail et sur la nature collaborative des activités qui concernent – directe ou indirectement - les technologies, en particulier les technologies informatiques et informationnelles, dont les dispositifs de type CMO. Comme nous le détaillerons ci-dessous, le courant des WPS actualise -et dépasse en partie- des outils théoriques et méthodologiques de l’AC pour les ajuster à des champs d’application multiples et complexes : prééminence de corpus audio-visuels, prise en compte des documents écrits ou encore de l’organisation du monde du travail, etc.218

Notes
217.

Au chapitre 10 nous aborderons ces questions à travers l’analyse des pratiques de coordination téléphonique du soir dans une des familles.

218.

Les analyses des WPS s’inscrivent en effet dans une approche éminemment « naturaliste », basée sur la méthode ethnographique et l’exploitation d’enregistrements audio et, de plus en plus, audio-vidéo, enrichis par un travail de terrain plus ou moins long. Plus particulièrement, il s’agit d’appréhender les «aspects incarnés et matériels du comportement et de l’interaction organisationnelle» propres aux pratiques professionnelles (Heath, Luff et Sanchez-Svensson, 2006).