4.1.2. Le succès des WorkPlace Studies

La diffusion massive de l’ordinateur de bureau (puis du portable) a eu un impact profond dans la manière dont on travaille, individuellement et avec les autres. Malgré cette évidence, peu d’études traitent la manière dont les nouvelles technologies s’inscrivent in our day-to-day working lives and our interaction with each other (Heath et Luff, 2000 : x). Partant de ce constat, les auteurs regroupés dans les WorkPlace Studies (WPS) s’intéressent au caractère socialement organisé des actions et des interactions dans les environnements de travail (ibid. : xi) qui intègrent quotidiennement des techniques et des technologies diverses et plus ou moins sophistiquées. Et ce d’un point dans une perspective ethnographique et interactionnelle.

Les WPS revendiquent le fait que, pour comprendre le degré d’adéquation du système technique par rapport aux activités des utilisateurs, un point de vue particulier est nécessaire : l’observation des utilisations en contexte, un contexte qui opère des médiations sur les effets supposés directs, attribuables à la technologie219. Il ne s’agit pas de nier les inégalités sociales, ou, plus généralement, de tourner le dos aux problèmes sociétaux, mais plutôt d’établir comme points de départs de toute enquête, les accomplissements, catégories, problèmes et difficultés que les membres eux-mêmes rencontrent au cours de leurs activités. Les « compétences et les raisonnements pratiques, socialement organisées, sur lesquels les travailleurs (…) s’appuient au quotidien dans l’utilisation des technologies » (ibid. : 8) sont abordés en détail. Ces chercheurs travaillent en collaboration avec ceux du CSCW220 ou encore avec les chercheurs s’inscrivant dans la théorie de l’acteur-réseau (Actor-Network-Theory). Bien que ces trois champs maintiennent leur autonomie et leurs intérêts propres221, ils partagent des points fondamentaux : l’impératif ethnographique et la dimension applicative.

Des concepteurs et ingénieurs qui plaident pour supporter les pratiques sociales en articulant les technologies, combinées entre elles et articulées avec leurs diverses affordances d’une part, et avec des communautés particulières de l’autre, sont en effet associés aux WPS, qui comblent indéniablement un déficit important au sein des STS222.

Les WPS se sont traditionnellement intéressés à la question de la temporalité dans l’action en tant qu’élément constitutif de l’organisation du travail. Les structures temporelles spécifient des paramètres de conduite acceptable mais sont aussi modifiées par les actions qu’elles informent (Barley, 1988) et par les capacités dynamiques de l’agentivité humaine. On voit à l’œuvre le principe de réflexivité qui permet de décrire la manière dont les acteurs créent et utilisent des structures temporelles pour donner rythme et forme à leurs pratiques professionnelles ordinaires au sein de communautés de pratiques223.

Conduire des analyses d’interactions, et a fortiori des analyses vidéos, capables de décrire l’ensemble des niveaux phénoménaux des actions sociales est sans doute un des points forts des approches praxéologiques en sciences sociales (Heath et Hindmarsh, 2002 ; Goodwin, 2001). Avant de présenter les travaux portant sur la maison et inscrits dans ces approches, nous rappellerons les développements plus classiques et plus nombreux des études sur les pratiques et les usages domestiques.

Notes
219.

Ce courant prône aussi l’indissociabilité entre la conception et l’évaluation de technologies innovantes, d’une part, et l’étude préalable et continue de l’utilisation réelle d’artefacts, de media et de services, de l’autre.

220.

Le champ CSCW explore la manière dont les systèmes informatiques peuvent renforcer et soutenir (empower) les acteurs coopérants, dans la coordination et l’articulation de leurs activités (en particulier les activités professionnelles).

221.

Ainsi qu’un certain nombre de controverses parmi lesquelles on pourra rappeler celle qui touche à l’applicabilité des règles conversationnelles décrites par l’AC aux systèmes informatiques (cf. Woodruff et Aoki, 2004), et, plus largement, à la capacité de ces derniers de manier l’indexicalité.

222.

Heath (1984); Heath & Luff (1992, 2002) ; Goodwin & Goodwin (1996) ; Zimmerman (1984, 1992) ou encore Whalen et al. (1992), parmi bien d’autres chercheurs intéressées au contexte de travail, ont beaucoup travaillé sur les salles de contrôle (métro, aviation, urgences médicales, etc.), décrites comme le terrain multi-média par excellence mais surtout comme lieu prototypique de coordination. C’est d’ailleurs pour ces raisons que la visée design/conception est particulièrement présente dans les WorkPlace Studies.

223.

Toute activité professionnelle implique des pratiques organisationnelles, dont la question temporelle se trouve souvent au cœur, notamment pour les activités professionnelles demandant de la disponibilité, de la flexibilité, de la mobilité et de l’engagement dans le travail collectif ou collaboratif. Inspirés par les WPS et par le paradigme CSCW, un certain nombre d’auteurs appartenant au champ des organization studies abordent les environnements de travail complexes, et soulignent une croissante fragmentation des temps de travail, ainsi que des mélanges de rythmes (McGrath, 1990 ; Zucchermaglio et Talamo, 2000 ; Orlikowski et Yates, 2002 ; Czarniawska, 2004 ; Palen, 1999).