4.1.3. Sciences sociales, consommation et technologie domestiques : les approches classiques

Parfois davantage basées sur des données déclaratives que sur des ethnographies, certaines études cherchent à dégager des typologies selon des critères de stratification et de catégorisation sociologiques classiques (classe, genre, génération, niveau éducatif, etc.). Intéressés aux contextes socio-culturels et aux conventions d’usage des différents media, ces auteurs ont également beaucoup travaillé sur les textes médiatiques eux-mêmes (Morley, 1986; Silverstone, 1994). En lien étroit avec ce champ, que l’on appelle aussi la media ethnography, un courant relativement nouveau est celui de la recherche sur l’audience mené par Moores (2000), Mackay et Ivey (2004), Tutt (2008) ou Abercrombie et Longhurst (1998) qui tous mettent l’accent sur les manières dont les gens intègrent les vieux et les nouveaux media au sein de leur vie domestique de tous les jours. Dans une perspective différente, loin de l’héritage de Goffman Venkatesh et al. (2003) développent un modèle conceptuel à trois catégories spatiales entrelacées, qui a pour ambition de rendre plus transparents les espaces domestiques224.

Remarquons aussi qu’au Royaume Uni, la sociologie, l’anthropologie ou la psychologie abordent les pratiques domestiques à l’intersection des études de tradition ethnographique et des consumer studies 225 : ils portent un intérêt particulier à des pratiques ordinaires généralement négligées telle que l’hygiène personnelle, le ménage, l’utilisation du congélateur ou les déchets, dans lesquelles la matérialité et la dimension technologique de l’espace sont évidemment fondamentales. L’originalité de ces études réside dans le traitement de l’objet technique/technologique en tant qu’élément dont la position change et prend sens au sein d’un réseau de facteurs co-déterminants, composé de pratiques sociales, d’arrangements économiques ou commerciaux et de transformations (historiques) au niveau de la conception (Cf. Casey et Martens, 2007 ; Shove et Southertorn, 2000226, ou Martens et Scott, 2004, un des rares travaux de ce courant basés sur des données vidéo). En France, l’intérêt pour les technologies et leurs usages est grandissant, comme l’atteste le développement des pôles sciences sociales dans plusieurs établissements éducatifs et de recherche.

Un nombre important d’études quantitatives cherchent à repérer des tendances d’usage concernant les comportements de communication spécifiques à chaque type d’équipement ; dans le cadre de ces enquêtes statistique, la temporalité de l’utilisation, de consommation des TICs (et la corrélation avec le degré d’équipement) sont abordées (Arnal, Dumontier et Jouët, 1987-88, par exemple)227.

Notes
224.

Ces catégories sont l’espace social (activités et interactions des membres des foyers), l’espace physique (structure physique et architecturale) et l’espace technologique (se réfère à la manière dont les media sont configurés dans l’espace physique et utilisés dans l’espace social. Assez critiqué malgré sa solidité conceptuelle, ce modèle gomme la forte perméabilité existante entre les « espaces ».

225.

Des études pionnières réalisées dans les années 1960-70 (notamment en Grande Bretagne) ont développé une perspective ethnographique à propos des consommations et des usages des TICs dans les foyers (cf. Silverstone, 1993, 1994, 2005 ; Silverstone, Hirsch et Morley, 1992).

226.

Pour Shove et ses collègues les pratiques sont vues comme le « fond neutre sur lequel les drames des interactions sociales contemporaines sont joués ». En termes goffmaniens (1969), il s’agit en quelque sorte d’examiner la production du décor et de la mise en scène plutôt que l’« action elle-même ».

227.

La radio y est identifiée comme activité d’arrière-plan, alors que la télévision est associées à des moments particuliers de la journée, en combinaison avec d’autres, etc. Le téléphone est traité du point de vue du nombre d’appels passés du domicile, des « motifs » de communication, etc.