4.1.4.1 De la relation entre temporalité(s) et technologie

Plus haut nous avons souligné l’importance, pour les courants pragmatistes, de considérer l’espace comme étant à la fois incorporé et constitutif de l’accomplissement des activités humaines. Suivant ce principe ainsi que les orientations théoriques marquées par les travaux fondateurs présentés dans la section 3.2., nous croyons tout aussi important de considérer la temporalité et le temps comme embodied et constitutifs de l’accomplissement des activités. Le courant de l’acteur-réseau, connu sous le nom de ANT, permet aussi d’aborder le temps comme quelque chose qui passe -ou ne passe pas- selon l’alignement des entités (Latour, 1997)236. On ne peut séparer les objets et la technologie des espaces dans lesquels ils se trouvent, d’où ou vers où sont-ils déplacés, etc. En même temps, on ne peut extraire l’utilisation technologique et ses emplacements des cours d’action et des dynamiques dans lesquels s’inscrit tout usage237.

L’étude de l’espace domestique dans une perspective praxéologique permet d’aborder l’équilibre délicat de pouvoirs réels et symboliques (Harper, 2003). De ce point de vue, l’étude des activités et des patterns d’interactions ouvrent sur les raisonnements pratiques autrement que comme «discours sur» ou comme re-présentations. Des raisonnements qui mobilisent des identités catégorielles (père, mère, enfant, etc.) plus ou moins explicites (Sacks, 1992), et, plus largement, qui configurent des exigences morales, des relations et des éléments clé de la socialité du foyer238.

Notes
236.

Par ailleurs, Latour met l’accent sur les processus: puisque dans tout account, dit-il, il y a un changement de temps, d’espace et d’action, nous devrions parler de « temporisation », spatialisation et actualisation (ou encore timing, spacing et acting) plutôt que de temps ou même temporalité), d’espace et d’action (ibid. : 179). « Timing », « spacing » et « acting » devant être étudiés, selon lui, en termes d’intensité.

237.

Nous avons identifié trois types de supports technologiques et matériels servant l’organisation des foyers : a) les technologies de synchronisation et de coordination conventionnelles (téléphones, horloges, agendas…) ; b) certaines technologies de diffusion ou d’exécution de contenus (télévision ou chaîne musicale) ; c) certains objets et fonctionnalités ordinaires de l’environnement domestique. Nous verrons cela en détail au chapitre 8.

238.

Silverstone et Hirsch (1992) avaient développé de leur coté le modèle du foyer as a moral economy. Ce qui est en jeu dans l’unité sociale, culturelle et économique du foyer ou de la famille est  donc la capacité de créer et de maintenir son autonomie et identité. Par ailleurs, Gershuny et al. (1994), ainsi que McCrone (1994), entre autres, se sont interrogés sur les intérêts individuels partant de l’hypothèse que les foyers continuent à exhiber des trajectoires de vie patriarcales. D’un point de vue anthropologique, le partage ou l’affrontement autour des différentes aspirations touche pleinement ce que Cieraad (1999 : 10-11) appelle la contradiction de la vie domestique postmoderne (the new focus of family life, being at once a newly acquired zone of personalization in design and a celebration court of sharing).