4.2.1.3 La question du contexte

Pour le CAC, ainsi que pour bien d’autres paradigmes, il s’agit d’identifier des éléments informationnels du contexte susceptibles d’être modélisés : l’information contextuelle relève, de ce point de vue, de la localisation, des caractéristiques sociales ou personnelles de l’utilisateur, de l’environnement physique (objets, espace géographique, lumière et bruit ambiants, etc.) et social (personnes dans son entourage, etc.), et de paramètres temporels standards (heures, date, etc.)248.

Ce contexte statique est contesté par des auteurs comme Winograd (2001), en philosophie du langage. Il affirme qu’un élément est constitutif du contexte lorsqu’il joue un rôle dans l’interprétation de quelque chose. Ceci veut dire que c’est l’usage que l’on fait de l’information qui lui procure ou non le statut « contextuel ». En linguistique le contexte a été traditionnellement défini comme l’environnement linguistique immédiat d’un élément (au niveau phonétique, morphologique, syntaxique, etc.) ou bien comme l’ensemble des circonstances dans lesquelles a lieu une énonciation (écrite ou orale) et qui sont nécessaires à, ou qui interviennent dans, la compréhension de celle-ci.

Les éléments de localisation, d’identité, etc. sont traités en termes de situation par certains linguistes qui réservent le terme de contexte à l’environnement linguistique, que d’autres appellent cotexte. Ces différences autour des notions de contexte et de situation rendent comte de perspectives opposées des phénomènes langagiers : pour ceux qui considèrent que le langage est un système indépendant, appréhensible indépendamment de toute situation, le contexte n’a qu’un effet secondaire et limité sur l’analyse sémantique des éléments de langage (la contextualité est classiquement cantonnée aux termes indexicaux ou déictiques, tels que les pronoms ou les démonstratifs). Pour ceux qui considèrent le contexte comme étant constitutif de la langue, au contraire, le langage est un acte énonciatif, un agir dépendant des circonstances d’accomplissement de cette action.

Depuis les années 1960, au-delà des disciplines des Sciences du langage, les courants pragmatistes et les « modèles de l’interaction » (Mondada, 2006)249, ont contribué de manière fondamentale à réélaborer la notion de contexte (cf. aussi Goodwin & Duranti, 1992), depuis une perspective endogène (ou emic, par opposition à etic, ou exogène). Dans cette perspective le contexte se définit en relation à ce qui est interprété et décrit par les participants eux-mêmes, et ce sur le plan cognitif, interprétatif ou praxéologique250. Parmi les courants praxéologiques l’ethnométhodologie et l’analyse conversationnelle occupent une place centrale dans ce débat.

Reprenant la définition que Garfinkel donne du terme ethnométhodologie251 il apparaît que, dès le départ, ce courant se détache des conceptions classiques du contexte comme dimension distincte ou « externe » à l’action. Comme le rappelle Mondada (2006), les études ethnométhodologiques présentent une double orientation : d’une part, celle qui reconnaît l’indexicalité et d’autre part, celle qui se donne pour objet les procédures par lesquelles l’indexicalité est produite et interprétée. Le caractère réflexif de l’action, le double caractère - structuré et structurant - du contexte, est en lien direct avec cette vision de l’action en termes d’indexicalité et d’accountability.

La capacité à interpréter le contexte (de manière plus ou moins évolutive) et à y répondre en conséquence est un des principaux éléments de la rhétorique dominante dans le paradigme UbiComp (rhétorique du moins en partie inspirée de l’Intelligence Artificielle). Parmi les solutions les plus sophistiquées que l’Intelligence Artificielle se propose de développer rappelons celles de type problem-solving, qui ont donné lieu à de nombreuses controverses252.

Dans ce cadre, de nombreux chercheurs en informatique contextuelle et ubiquitaire s’inscrivent dans des approches praxéologiques, tels que Dourish, Edwards, Bellotti ou Crabtree, cités en partie supra. Nous rappellerons maintenant les principales thématiques abordées par ces auteurs critiques, en particulier l’invisibilité, l’intelligibilité et le contrôle.

Notes
248.

Cf. par exemple Dey, Abowd et Salber (2001) qui distinguent trois types d’entités (lieux, individus ou groupes et choses) et quatre catégories (identité, localisation, états et temps). Ces informations peuvent être obtenues directement (localisation géographique via un GPS par exemple) ou via des inférences.

249.

Parallèlement à l’ethnométhodologie et à l’analyse conversationnelle la context analysis de Scheflen et Kendon, la micro-sociologie de Goffman, la sociologie cognitive de Cicourel, la sociolinguistique interactionnelle de Gumperz, entre autres, partagent de nombreux aspects théoriques et analytiques.

250.

Cf. Mondada (2006/2008) pour une introduction à la question du contexte du point de vue de l’ethnométhodologie et de l’AC.

251.

I use the term “ethnomethodology” to refer to the investigation of the rational properties of indexical expressions and other practical actions as contingent ongoing accomplishments of organized artful practices of everyday life (1967 : 11).

252.

On sait que, face à l’incapacité du modèle rationaliste de rendre compte de la résolution de problèmes dans la vie quotidienne ordinaire, le modèle non-linéaire le plus courant a été le modèle cyclique, tel que celui proposé par Carver et Scheier (1990), par ex. (cité in Roth & McGinn, 1997), avec ses boucles de retour (feedback) servant à l’autorégulation. Or, les études sur les activités quotidiennes montrent que la schématisation de la résolution de problèmes sur la base de ces processus cycliques n’est pas satisfaisante (Knorr-Cetina, 1981 ; Latour, 1992 ; Lave, 1988) : les modèles linéaire et cyclique, basés sur des processus mentaux individuels ne permettent de rendre compte de la nature située et distribuée de la connaissance (Lave, 1993; Suchman & Trigg, 1993; Varela, Thompson et Rosch, 1991, cités in Roth et McGinn, 1997).