4.2.3.2 Complexité, inégalités : l’UbiComp « qui est déjà là »

Contrairement à d’autres champs des sciences informatiques, le paradigme de l’informatique ubiquitaire (ou ambiante) n’est pas fondamentalement gouverné par des problématiques techniques, ni par le bilan de telle ou telle introduction technologique : son développement a été inspiré par une certaine rhétorique, par une vision explicite des futures relations possibles entre les gens, les pratiques et les technologies qui englobe un large éventail de technologies fédérées par une vision commune (Bell et Dourish, 2006). L’agenda de recherche dans le champ de l’UbiComp se base sur cette vision, ainsi que la motivation des réalisations, et leur évaluation. Or, toujours selon ces auteurs, cette vision a pris dix ans de retard, car nous vivons désormais dans le futur imaginé par les fondateurs de l’UbiComp (notamment par Weiser, dont l’orientation théorique est encore largement reprise).

Ainsi, l’informatique elle-même est considérée comme une réalité technologique déjà ubiquitaire (notamment avec les communications sans fil et les puissantes capacités de calcul des processeurs). Ainsi, selon Bell et Dourish, les promesses du paradigme de l’UbiComp sont très problématiques : elles placeraient en permanence les réalisations du paradigme lui-même hors de portée, tout en détournant les chercheurs des pratiques en cours. Cette question de la portée met en relief le problème de la responsabilité et du risque.

Parmi les conséquences d’une orientation uniquement vers l’avenir les auteurs signalent que les concepteurs et les chercheurs en UbiComp considèrent les problèmes d’implémentation comme les problèmes de quelqu’un d’autre (ou d’un moment ultérieur). Ainsi, il est relativement simple de se dédouaner des responsabilités vis-à-vis du présent. Deuxièmement, le scénario d’un monde seamlessly interconnected est décrit par les auteurs comme une vision au mieux trompeuse, au pire extrêmement dangereuse : alors que l’homogénéité et le lissage des différences intègrent souvent les visions futuristes, les auteurs rappellent jusqu’à quel point la pratique est toujours désordonnée, complexe, hétérogène, par exemple sur les plans culturels, religieux ou socio-économiques. Selon eux, postuler une infrastructure mondiale sans couture peut facilement devenir une stratégie qui permet d’ignorer la complexité et les inégalités du présent.

Un certain nombre d’autres chercheurs se proposent aussi de développer une UbiComp du présent, qui tienne compte de la complexité de la vie ordinaire, et qui travaille donc à produire des alignements entre des opportunités technologiques et des réalités sociales. Aujourd’hui il est difficile de ne pas considérer l’informatique comme étant ubiquitaire : le développement des communications sans fil et des potentialités de calcul de plus en plus importantes, insérés dans un environnement déjà dense, montrent simplement qu’au lieu d’être invisibles, ordonnés, ou entièrement inter-opérables, les artefacts de l’Informatique (Ubiquitaire) telle qu’elle existe sont visibles, tangibles, présents.