Phase 5 : le soir

Entre 17 heures et deux heures du matin : les bornes de droites et de gauches varient en fonction des membres du couple parental, des âges des enfants et des contraintes journalières contingentes (la variabilité ici paraît plus importante et moins prévisible que celle du matin). Les moments de la soirée consistent sont l’arrivée et l’installation dans l’appartement, l’accomplissement de tâches ménagères diverses (pour les parents), le fait de faire les devoirs, de regarder la télévision ou de jouer (pour les enfants), de donner le bain aux enfants, de préparer le repas, de dîner, de jouer puis de coucher les enfants et enfin de travailler puis de se coucher (parents). Les espaces principalement utilisés sont (dans l’ordre) : entrée, placards, cuisine, salon-salle à manger, salle de bain/toilettes, chambres à coucher. A leur tour, chaque moment est séquentialisable comme suit, du point de vue du parent : l’installation comprend enlever/ranger les chaussures (les siennes et celle de l’enfant), ranger les manteaux dans les placards et les éventuelles affaires (ainsi que les éventuelles courses faites en chemin), mais aussi, de manière imbriquée, contrôler/encadrer ce que font les enfants.

Si l’on reprend les quatre moments devoirs/bain/dîner/coucher (concernant dans tous les cas des activités auxquelles participent les enfants), on voit que le seul à ne jamais changer de position est le coucher, qui vient systématiquement et nécessairement en fin de journée. Bien que les autres moments soient susceptibles de changer d’ordre, les bains et le dîner semblent avoir un fonctionnement couplé fort, avec un ordre séquentiel stable : d’abord les bains, puis le dîner. Les devoirs, enfin, chez les PR se positionnent séquentiellement plutôt après le diptyque bains-dîner, et chez les RAF, presque toujours avant celui-ci.

PR bains dîner devoirs coucher
RAF devoirs bains dîner coucher

Le dîner comprend démarrer le dîner (allumage des fourneaux, etc.), préparation et coction de la nourriture, préparation de la table (tâche à laquelle sont susceptibles de participer les enfants), préparation, contrôle et gestion des bains des enfants312, orientation collective vers la phase suivante (dîner), coordination et gestions des participations et de la localisation du repas avec le conjoint absent (ce qui implique aussi la réception du conjoint absent une fois celui-ci arrivé et l’articulation de la participation/engagements de celui-ci aux activités et contraintes en cours), prise du repas (avec en son sein, de nombreux micro-évènements potentiels autour des choses manquantes/nécessaires au repas), débarrassage (tâche à laquelle sont susceptibles de participer les enfants), préparation et mise en marche éventuelle du lave-vaisselle/vaisselle. Le temps post-dîner avec les enfants consiste selon le foyer à des jeux/lectures/échanges affectifs, etc. pour les PR et à la lecture de l’histoire du soir (pré-couchage) pour les RAF. Dans les deux familles les phases de jeux sont généralement sujettes (pratiquement, temporellement et normativement) à la réalisation préalable d’autres activités (bain et devoirs surtout).

Le coucher est clairement disloqué entre le coucher des enfants et celui des parents (et éventuellement des enfants plus âgés), qui le suit temporellement. Le coucher des enfants consiste en leur préparation (mentale, psychique, pratique, etc.), et encore une fois des « mises en route projectives » (annonces, rappels, etc.), en brosser les dents et en la séquence lecture de l’histoire et de bonne nuit (elle aussi à l’ordre variable selon les membres à saluer, etc.). Pour les adultes, le coucher, outre le brossage des dents, implique massivement une phase de lecture. Or, une fois les enfants couchés et avant d’aller au lit à leur tour, les parents s’engagent dans différentes activités : se détendent, s’engagent dans des conversations plus ou moins « utilitaires », s’occupent de l’administration du foyer (comptes, etc.), travaillent de manière à libérer le week-end, préparent des affaires pour le lendemain (pour soi et pour autrui), planifient des activités de la semaine, ou des vacances, etc. Avant de passer à la section suivante, revenons sur les quatre phases d’activité de la soirée : devoirs-bain-dîner-coucher.

Cet enchaînement désigne les quatre activités impératives du soir, les phases d’action collectives et individuelles auxquelles on ne peut s’extraire ; bien que cet enchaînement à quatre éléments fournisse des repères temporels, pratiques et normatifs forts, il n’est pas donné une fois pour toute : d’une part, sur le plan des cycles de vie, il est susceptible de subir des changements dans sa structure temporelle interne avec la progression en âge des enfants (l’heure des repas, ou l’heure limite de couchage, par exemple, dont les modifications vont à leur tour décaler une partie ou l’ensemble des éléments et sous-éléments). D’autre part, les éléments de cette phase à quatre moments modulables ne sont que rarement évoqués de manière exhaustive.

Pendant la durée de ce « noyau dur », le nombre et le rythme des activités est important pour l’ensemble des membres, notamment pour les adultes. Bien que les parents partagent éventuellement des jeux avec les enfants pendant cette phase complexe, les activités ludiques sont toujours écourtées au service des activités impératives de la phase quadri-modulaire313. De manière générale (et cela s’applique aussi, bien que moins fortement, à la phase matinale), il s’agit, pour les parents, et tout au long de la journée, et en particulier pendant les quatre moments déjà évoqués, de suivre, vérifier et projeter le déjà-fait et le restant-à-faire314 vis-à-vis de soi-même et d’autrui. Le noyau dur de la soirée devoirs/bain/dîner/(jeux)/coucher indique que certaines activités impliquent la participation et/ou la conjonction actionnelle (plus ou moins collaborative et concertée) entre enfants et parents, et que ces activités s’enchaînement de manière récurrente et intelligible, les parents s’engageant dans des activités qui impliquent à la fois de faire et de faire faire, à travers des actes de contrôle divers (plus ou moins mais distants, outillés techniquement, diplomatiques ou directs, problématiques ou pas), actes dont la trame interactionnelle, les échanges, tensions, négociations, ou réajustements, seront abordés en détail par la suite, et qui restent paradoxalement très peu évoqués dans les entretiens.

Notes
312.

Qui à sont tour peut-être détaillé et divisé comme il suit : préparer les enfants, avec des annonces, des rappels, etc. préparer l’environnement physique (remplissage de la baignoire, serviettes, chemises de nuit/pyjamas, etc.), amener les enfants dans la salle de bain (ce qui implique généralement l’abandon –plus ou moins problématique- d’une activité en cours), donner/surveiller le bain, s’assurer qu’il s’étend sur une durée « suffisante » (mais pas au-delà d’une certaine durée, cette variabilité étant plutôt inter- qu’intra famille(s), et selon les habitudes et préférences des divers enfants), clore le bain, donc, sécher et habiller les enfants. Nous analyserons des séquences de préparation et de réalisation matérielle de phases de bains dans les deux familles, dans les deux chapitres suivants notamment.

313.

C’est évidemment aussi le cas des activités ludiques dans lesquelles les enfants s’engagent seuls ou avec un autre membre de la fratrie, activités dont la durée est contrôlée par les adultes afin de garantir un suivi et un enchaînement temporel adéquat vis-à-vis des quatre activités fondamentales, mais ce point n’est pratiquement pas évoqué dans les entretiens (à l’exception des jeux de Simon à l’ordinateur). Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, les adultes initient et gèrent de multiples tâches en même temps, imbriquant activités ludiques, de soin des autres, des tâches domestiques, etc.

314.

Le suivi des routines des enfants aînés est qualifié de moins contraignant que celui des plus jeunes, point souligné par des travaux articulant enquête sociale et conception (cf. par ex. Sellen, Hyams et Eardle, 2004, qui distinguent notamment entre plus et moins de onze ans), dans la suite des travaux de Beech et al. déjà cités.