6.1. Le pattern comme modèle de comportement et comme schéma d’expérience

Les typifications, en tant que « problèmes déjà résolus », fonctionnent comme schéma d’expérience pour décrire, projeter (prospectivement ou rétrospectivement d’ailleurs) et produire des cours d’action stabilisés et descriptibles comme tels. Pour Schütz (1967 : 81-82), comme pour les ethnométhodologues, ces patterns peuvent être compris comme des schémas d’expérience, comme des modèles ou encore comme des synthèses des expériences passées :

‘The particular patterns of order we are considering are synthetic meaning-configurations of already encountered lived experiences. (...) Let us call these patterns the schemes of our experience (...), a meaning-context which is a configuration of our past experience embracing conceptually the experiential objects to be found in the latter but not the process by which they where constituded. The constituting process itself is entirely ignored, while the objectivity constituted by it is taken-for-granted.’

Les entretiens que nous avons réalisés sur le terrain, permettent d’appréhender les routines domestiques en tant que récits post hoc d’actions organisées selon des patterns donnés, en tant qu’objets discursifs. S’appuyant sur de nombreuses connaissances – souvent tacites - de sens commun, les effets descriptifs et argumentatifs que produit, aussi bien du coté du chercheur que de celui de l’interviewé, la mobilisation de ces objets, renforcent à leur tour le caractère régulier, présupposé, objectif et stable des activités décrites316.

Le nom donné aux patterns d’activités évoqués par les interviewés (les routines du matin, préparer à manger, ou faire les bains par exemple) correspond souvent aux catégories descriptives d’une grande partie des travaux sur la famille, l’« usage du temps », ou encore l’espace domestique, qui à leur tour se basent sur des catégories de sens commun : ce n’est donc pas un hasard qu’il y ait convergence, puisque ces travaux utilisent précisément ces catégories de sens commun :

a kind of layman’s description of a set of norms having an existence independent of the teller and the occasion of the telling, thus furnishing the resources for accounting for the social activities observed by the researcher
(Zimmerman, 1974 : 11).’

Traiter les patterns et les règles qu’ils impliquent comme maximes de conduite qui guident la vie familiale à la maison c’est fournir une explication sociologique traditionnelle des modèles réguliers de comportement, mais c’est aussi pointer les ressources qui, en amont, rendent observable les activités sociales aux yeux et aux oreilles des chercheurs : ces descriptions offrent non pas des règles explicatives mais un accès à des régimes interprétatifs des acteurs. Dans ce qui suit, nous chercherons à identifier quelques unes des ressources langagières utilisées dans les entretiens dans la production de patterns, en tant que modèles de comportement racontables, et donnerons des premières pistes concernant le lien entre activité et discours, ainsi que la dimension temporelle de ce lien.

Notes
316.

Le pattern est un modèle de comportement auquel enquêteur et enquêtés font référence lorsqu’il s’agit de décrire la typicité des conduites (ensemble d’activité moralement prescrites, comprenant des maximes « fais X », « ne fais pas Y ») ; cette notion ne doit pas être confondue avec celle de schéma d’interprétation et d’explication. Nous reprenons à notre compte la définition de pattern donnée par Weider (2010) et les recommandations faites par Terzi (2010), traducteur de ce texte.