6.2.2. Le souci chronologique

Le point de vue de Schütz sur la dimension temporelle de l’activité peut être rapproché des analyses de Ricœur, (1983) ou d’Adam (1984) sur le récit, présenté comme un processus donnant sens à l’expérience temporelle dans la mesure où il permet d’ordonner et surtout de configurer les événements vécus329. A la différence330 des récits biographiques, massivement utilisés en sciences sociales, les logiques énonciatives des récits d’habitude tels que ceux traité ici s’appuient sur des descriptions chronologiques standardisées et typifiantes, pratiquement sans tension narrative, chronologies reconstruites en aliénant des évènements cycliques, et non orientées vers la jonction avec le temps présent de l’interaction (comme dans les cas où l’on décrirait des évènements de moins en moins éloignés sur l’axe temporel dont la situation d’énonciation fournit le repère, jusqu’à arriver à « maintenant », comme le montre Varro (2008), par exemple.

Notes
329.

L’arrangement configurant transforme la succession des événements en une totalité signifiante qui (…) fait que l’histoire se laisse suivre, dit Ricœur (1983 : 130). De son coté, Adam (1984 : 17) insiste également sur l’importance de la dimension configurationnelle pour comprendre comment le sens émerge du récit : suivre le déroulement d’une histoire (ordre chronologique), c’est déjà réfléchir sur les événements en vue de les embrasser en un tout signifiant (ordre configurationnel) par un acte de jugement réflexif. Voir aussi Benveniste (1966) cité dans ici en 2.1.3

330.

Nous nous éloignons ici de la distinction classique de Benveniste et des autres linguistes de la théorie de l’énonciation, et utilisons le concept de récit de manière plus générique, plus proche de la terminologie ricoeurienne : Ricoeur aborde le récit dans le cadre de sa réflexion sur l’interprétation. Pour cet auteur, le récit est un exemple parmi d’autres des médiations qui contribuent, par leur interprétation, à la compréhension de soi et de son action. Selon la thèse, développée au fil de Temps et récit, le temps devient humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative. Cela veut dire qu’il existe une connexion significative entre la fonction narrative et l’expérience humaine du temps. Le récit, qui peut donc se présenter sous la forme d’une description narrative (telle que celle observée dans nos entretiens), réalise une synthèse du temps ; il fait d’une succession de moments épars, une histoire sensée. Ce qui semble importer à la poétique de Ricoeur est moins la configuration que la refiguration du temps par le récit, autrement dit le pouvoir qu’a celui-ci de transformer notre manière d’être au monde.