6.2.3.1 L’activité canonique

Il s’agit, comme le proposent Bronckart et ses collègues, d’un modèle relevant de la règle, de logiques internes qui paraissent incontournables. Ce registre rend compte de formes prototypiques (composantes et conditions nécessaires à la réalisation de l’activité décrite) et d’une dimension déontique plus ou moins marquée, sur le plan des raisons (because motives) et des objectifs (in-order-to motives), par exemple avec les expressions, construites sur des infinitifs (pour (ne pas ) faire X) :

‘A.R. : et pour ne rien rater de l'info, on a la même chaîne France Inter, là dans la cuisine et dans la salle de bains. donc au moment de partir, y en a toujours une qui reste allumée. donc voilà. j’éteins les radios, les lampes. je ferme les fenêtres. et puis je prends ma voiture, ou le métro. Albert R., entretien du 28/12/2004333

Que la radio soit effectivement écoutée ou pas, ce sont les gestes techniques d’allumage et d’extinction qui constituent ici, ensemble avec leur articulation temporelle avec les cours d’action qui bornent la matinée (se lever et partir), une activité canonique. Remarquons aussi que le pronom impersonnel on rend compte ici d’un sujet à la fois collectif et imprécis (presque désincarné) donnant la primauté à l’activité et à l’objet technique dont il est question, au détriment du cours d’action individuel. Dans certains cas, toujours selon un ordre logique et chronologique supposé, les actes identifiés se voient accompagnés de prémisses et de conséquences :

‘J.R.  [à propos des préparatifs de la sortie du week-end] et puis après, il faut habiller les enfants, ranger que ce soit pas trop le fouillis, que Simon ait à peu près fini ses devoirs ou qu’il les emmènent (…)
Justine R., entretien 15/11/04 ’

Comme on le voit dans les trois exemples, des agencements phrastiques récurrents du type sujet–verbe–complément, ainsi que l’enchaînement par juxtaposition de phrases (faut habiller les enfants, ranger (…), que Simon ait à peu près fini ses devoirs), sont récurrents. Aussi, à l’instar de Bronckart et al., on observe un phénomène d’« indifférence pronominale » au niveau de l’agentivité : l’acteur peut être individuel et auto-désigné comme (j’éteins les radios), « générique » (il faut) ou collectif (on a la même chaîne)334. Cet aspect, si l’on s’intéressait plus précisément à la dimension modale du registre, relèverait d’actes « délocutifs », c’est à dire ceux où le locuteur laisse s’imposer le propos.335

Notes
333.

La femme d’Albert, Christine, aborde de manière similaire les routines matinales d’écoute de la radio : donc on allume en se levant et on éteint en partant. donc on écoute plus ou moins mais en général y’a toujours la radio (…) - Christine R., entretien du 28/12/2004.

334.

Tel que nous l’a suggéré L. Mondada, il est intéressant de voir que dans l’extrait concernant les devoirs, l’infinitif renvoie à des actions des parents (habiller, ranger) alors que pour Simon on introduit une conjonction (que Simon ait fini), régie par « il faut ». C’est une discontinuité du point de vue du schéma syntaxique qui a commencé la liste. Il y aurait peut-être ici une piste à creuser.

335.

L’acte délocutif contraste avec l’acte élocutif, où le locuteur est engagé d’un point de vue énonciatif, et avec l’acte allocutif, où il engagerait également son interlocuteur.