6.2.3.3 Les scénarios

L’expression de la variation - concernant aussi bien des situations affectant l’ensemble de la famille que des cours d’action individuels –se fait souvent à travers deux types de constructions : une simple, et une conditionnelle, qui peut être de type « si p, alors q » ou bipartite (ou « en miroir ») : « soit p, donc q, soit –p, donc q’ », par exemple336. L’élasticité de la temporalité interne des activités contraste avec l’action canonique, dépourvue de variabilité. Ci-dessous nous reproduisons un exemple de scénario simple qui, typiquement, exprime la variabilité d’une situation, d’un moment ou d’un type d’activité :

‘[après que Christine ait parlé du caractère systématique de la juxtaposition du visionnage de la télévision avec une autre tâche, comme le repassage]
IF : donc le ménage… enfin…
C.R.. : enfin, bon, ça peut être du repassage, ça peut être… ça m’arrive de pouvoir faire des trucs pour le boulot
Christine R., entretien du 28/12/2004 ’

Ci-dessous, un exemple de scénario « en miroir enchâssé », où les prémisses du volet alternatif ou possible sont intégrées dans un même mouvement argumentatif :

  1. A.R. : (…) puis ma femme emmène [Maguelone] à l’école, et
  2. généralement... alors là, ça dépend parce que c'est très variable en
  3. fonction de mes activités de la journée. mais si je suis pas, si j’ai
  4. pas de réunion de planifiée à une heure bien précise, et que j’ai un
  5. petit peu de temps devant moi, je fais le tour de la maison pour
  6. essayer de faire en sorte que ce soit pas un bazar innommable le
  7. soir en rentrant quoiAlbert, comme Eric P., fait se connecte à Internet le matin mais pas systématiquement..

Albert R., entretien du 28/12/2004

Albert déploie un scénario de variabilité dont la résolution se base sur des critères stables : après une première amorce généralisante (début l. 2) Albert rend compte d’une forte variabilité (ls. 2-3), mais finit (en contrastant ce qui précède avec le connecteur mais) par donner un scénario récurrent : s’il est disponible (raisons de sa disponibilité, l. 3-4) et s’il dispose de temps (variation temporelle) alors il fera un tour de la maison (résolution pratique)338. Ici, on voit l'utilisation d’énoncés conditionnels en « si… » qui marquent la potentialité d'avoir certaines conditions sont réunies comme condition de possibilité pour que telle ou telle option puisse avoir lieu.

Ci-dessous un exemple de scénario « en miroir », avec une alternative binaire, où les prémisses du volet alternatif ou possible sont mises explicitement en opposition (notamment avec le connecteur oppositif par contre) :

‘E.P. : [à propos de l’organisation des sorties] alors si c’est aller voir de la famille, c’est décidé assez longtemps à l’avance. ou si c’est des amis qu’on n’a pas vu depuis longtemps (…) par contre, si c’est des… si c’est des voisins ou des amis très proches, ça peut effectivement se décider, se prévoir le jour même parce qu’on rencontre effectivement à l’occasion les gens et on dit « tiens on peut se voir cet après-midi… ».
Eric P., entretien 16/11/04’

A présent nous passerons en revue un autre registre, l’exemple indexical (ou indexicalisé).

Notes
336.

Au-delà de la question de la conditionnalité, les connecteurs bipartites sont généralement classés comme il suit : disjonctifs (« soit…. soit …. »), temporels (« d’abord …puis…. »), énumératifs (« premièrement…. deuxièmement…. ») ou encore adversatifs (« d’une part...d’autre part… »). Dans nos entretiens ces constrictions abondent, se révélant opératoires à la fois du point de vue descriptif, discursif et interactionnel (description de successions d’évènements, d’alternatives dans les parcours actionnels, causalité, cohérence énonciative, réaction à des hypothèses/inductions des enquêteurs, entre autres).

338.

Remarquons que cette structure narrativo-descriptive ressemble beaucoup à celle observée par Bronckart et al., 2004, à propos de certains formats d’« activités expérience » des infirmières.