6.3.2. Description et réalité : la vériconditionnalité en question

Parmi les mouvements réflexifs observés, on trouve à quelques occasions la mise en question de la véracité – ou vériconditionnalité - des résultats descriptifs vis-à-vis du « réel », ainsi que la question de la compatibilité des visions données sur des par deux personnes différentes, membres du couple. Voyons un exemple d’orientation vers la relation entre récit et pratiques : dans l’entretien d’Eric P., T.T. propose à celui-ci de faire des copies des vidéo qui seront produites : évidemment d’ailleurs, si ça vous intéresse (…) on pourra vous en faire des copies. Eric P. réplique en posant des questions sur la durée des enregistrements, puis :

‘[pratiquement en fin d’entretien]
E.P. : non, mais déjà ça m’intéresse de savoir si ce que je dis est une réelle représentation de la réalité ou pas…
T.T.: (…) on fait de la vidéo justement parce qu’on pense qu’il y a quand même une limite inhérente au fait de faire un entretien, par rapport au moment où on est engagé dans l’activité…
Eric P., entretien du 16/11/2004 ’

La préoccupation de Eric P. sur la relation entre récit et réalité de la représentation du réel rejoint ainsi celle de l’intervieweur, et plus largement, celles qui animent les approches praxéologiques et naturalistes en sciences sociales. Albert RAF, de son coté, évoque à deux reprises la question de la correspondance entre son récit et celui de Christine, sa femme377. La première fois, lorsqu’il est interrogé sur l’heure du réveil : j’espère que je vais dire la même chose que ma femme. je me lève un poil plus tôt, allez () et la seconde à propos des tâches ménagères :

‘A.R. : on n’a pas confronté. on n’a pas regardé. mais comme y a quand même une notion de répartition de tâches, ce serait rigolo de comparer les deux, pour voir si la vision est la même (rires)
IF : oui, je pense que oui.
A. R. : y a des chances.
Albert R., entretien du 28/12/2004 ’

Alors que Eric interroge et problématise la relation entre descriptions/représentations et réalité, Albert le fait sur les deux versions données par les membres du couple conjugal. A travers les rencontres entre chercheurs et participants, dans leur temporalité, et dans la temporalité du protocole d’enquête (d’abord un des conjoints, puis l’autre, sont interrogés ; d’abord des dires, des représentations, sont demandées puis des observations sont réalisées), on voit que la scientificité, l’objectivation et le naturalisme de l’enquête produisent une situation particulière, avec leurs problèmes, contraintes et potentialités spécifiques.

Ce que montrent les derniers extraits analysés est que les enquêtés s’orientent vers l’interview comme un genre déclaratif qui oblige à faire des affirmations pouvant être évaluées, comparées, etc. Ils s’orientent ainsi vers le caractère vériconditionnel de cette pratique, une orientation probablement renforcée par les mondes, compétences et pratiques professionnels des participants.

Notes
377.

A cela on peut ajouter un commentaire auto-sarcastique d’Albert (vers le milieu de l’entretien) sur les différentes modalités et attitude vis-à-vis des descriptions d’activités :

ah c’est moins complet que l’exercice que vous avez fait à midi, hein ! y (en) a qui rapportent plus spontanément (rires).

Il s’agit là d’un présupposé d’Albert puisque les entretiens étaient individuels. On peut consolider, en faisant ce type de commentaire, l’idée de couple et de la connaissance intime mutuelle qui le soutient.