Partie III

Chapitre 7.
Impulsion de l’action et enchaînements actionnels immédiats. Le rôle des verbalisations d’action, des particules discursives et des annonces

« Comprendre ou interpréter c'est une affaire d’ordonnancement des
matériaux dont on a établi qu’ils sont des faits, c’est-à-dire des
déterminations de leurs relations »
J. Dewey
, Logique : la théorie de l’enquête, 1967[1938]

« L’homme vit dans le futur mais agit dans le présent »
J.R. Commons,
Institutional Economics. Its Place in Political Economy, 1934

Le chapitre précédent a montré les spécificités des manières de dire et de décrire l’action routinière en situation d’entretien et a identifié certaines méthodes sur lesquelles les membres des foyers interviewés s’appuient lors de leurs récits d’activités. Se lever, se laver, prendre le petit-déjeuner, quitter la maison, revenir à la maison le soir, dîner, etc. sont des activités qui vont généralement de soi dans la littérature sur la vie familiale, sans que l’on examine comment les activités en tant qu’unités d’action discrètes en viennent à être décrites, reconnues, vécues, en tant que telles. Contrairement à ce qui est fait dans les entretiens, dans les données vidéo nous observerons que la routine est dite de manière à fournir un schéma interprétatif (et non plus descriptif) : dire la routine, dire l’action ou le temps de l’action a des conséquences multiples, organisationnelles et morales, au cours même de l’interaction ; ces manières de dire sont donc des éléments constitutifs des scènes vécues et de leur interprétabilité, à l’instar du « code » du prisonnier étudié par Wieder (1974). Tout comme « la langue », « le temps » est produit en tant que « fait naturel de la vie » (Schütz, 1967).

Analyser les activités situées implique que l’on tienne compte des déploiements interactionnels, des raisonnements de sens commun, des pratiques de contrôle de l’action ainsi que de l’écologie matérielle dans laquelle s’ancre l’action. Dans le cas de l’étude des activités domestiques, cela veut dire tenir compte de la multi-activité (plusieurs activités menées à la fois par un même acteur), d’un partage de l’espace qui donne massivement lieu à un état de parole potentiellement ouvert (continuous state of incipient talk ; Schegloff et Sacks, 1973 ; Schegloff, 2002, ces deux textes s’inspirant des travaux de Goffman de 1987 sur l’état de parole ouvert), des frontières poreuses et fluctuantes entre activités, cadres de participation, régimes d’attention, etc., donnant lieu à des interactions éparpillées et décousues – et toutefois cohérentes - entre les acteurs.

Dans ce chapitre nous nous efforcerons de décrire des procédés qui contribuent à la production et au maintien des routines du matin et du soir : a) le marquage des flux actionnels ; b) la projection des débuts et des fins d’activités. Ces deux procédés (ensemble avec le séquençage ou ordonnancement séquentiel des phases d’activité), constituent à nos yeux les trois briques formelles essentielles – ensemble avec le calcul temporel profane, que nous étudierons au prochain chapitre - pour comprendre des procédés plus complexes qui, en les associant, permettent de contrôler et de coordonner les multiples cous d’action du foyer.