7.1. Le dilemme des débuts et des fins d’activité

Déterminer quand une activité commence ou quand elle prend fin à la maison, est particulièrement difficile lorsqu’on se penche sur des initiations d’action, qu’elles soient tacites, ou, au contraire, explicites (anticipations, annonces et répétitions) : l’activité, commence-t-elle au moment de sa matérialisation, de sa réalisation concrète, ou elle prend forme dès les premières actions verbales rendant observable l’orientation et la projection des participants vers l’activité en question ? S’agit-il de deux activités différentes (annoncer et faire ce qu’on a annoncé) ou de deux moments distincts d’une même activité ? Les difficultés sont nombreuses pour saisir le caractère temporel ordinaire à la base des expected background features of everyday scenes (Garfinkel, 1967 : 36), difficultés liées non seulement aux aspects langagiers mais aussi aux aspects instrumentaux et matériels. Nous sommes face à des contraintes temporelles plus ou moins compressibles, liées aux caractéristiques matérielles et techniques de certains artefacts. Aussi, la spatialité en tant qu’arène de l’action (Lave, 1988), structurée par celle-ci et la structurant à son tour, est bien plus plastique et interstitielle que ne le laissent deviner les visions fonctionnalistes classiques de l’espace domestique391, mais aussi plus complexes que ce qu’en donnent à voir les entretiens, centrés sur le déploiement chronologique des activités.

Etudier les méthodes par lesquelles les participants démarrent, s’orientent vers, contestent, une activité donnée, les façons dont ils y déploient publiquement leur engagement ou désengagement, ou encore la manière dont ils cherchent à engager d’autres membres dans un cours d’action, fait partie du programme praxéologique. Il s’agira ici de comprendre ce qui rend possible aux acteurs de reconnaître quand et comment une activité est initiée, interrogation qui renvoie nécessairement à des phénomènes de classification de temporalité, de cohérence, de logique, ou de causalité, et, plus généralement, aux « techniques d’accountability » de l’action (Suchman, 1993).et nous chercherons d’y contribuer392.

Notes
391.

La volonté de caractériser l’engagement dans une activité uniquement sur la base d’indices ou de critères extrinsèques a fait notamment l’objet de critiques en sociologie de la réception télévisuelle (Livingstone, 1996).

392.

Etudier les pratiques ordonnées et systématiques par lesquelles les participants démarrent, s’orientent vers, ou contestent le début d’une activité donnée est un objet abondamment traité dans la littérature (Goodwin, 2002 ; Heath, 1984 ; Heath & Luff, 1992 ; Mondada, 2003 ; Robinson & Stivers, 2001, entre autres). En AC on a étudié les préliminaires, les ouvertures-clôtures, les transitions d’une activité conversationnelle à une autre, par exemple, et dans le domaine des Workplace Studies en ce qui concerne des études plus multi-modales. Les analyses vidéo sur ces objets sont encore relativement rares, en particulier en ce qui concerne l’espace domestique.