7.3.3.1 Comment gérer l’état de parole ouvert ? Ressources pour impulser l’action, propre et autrui

Nous avons décrit jusque là certains procédés qui participent à l’ordonnancement temporel de la vie domestique et familiale, mettant l’accent sur les particularités dont ces procédés sont les révélateurs, en ce qui concerne les cadres de participation et l’état de parole ouvert (ou interaction « éparpillée ») qui caractérise l’espace de vie familial. Un des phénomènes qui attire l’attention est le fait que les parents sont constamment engagés dans l’impulsion, dans la pro-motion - verbalement, corporellement, matériellement, spatialement - des activités quotidiennes, oscillant entre des moments de coordination centralisée et des moments de coordination diffuse. Les parents s’orientent et orientent les autres membres de la famille vers un faisceau récurrent de pertinences, tout en gérant les contingences d’un environnement marqué du sceau de la multi-activité. En cela, les parents sont les garants de la réalisation d’un certain nombre de choses à faire et, de manière indissociable, de leur temporalité. C’est pourquoi, pour comprendre la morphogenèse (Quéré, 1999) des routines domestiques et des temps familiaux il faut approcher les ressources utilisées dont celles, fondamentales, de repérage sémantique de l’action en cours, d’ordonnancement des phases et d’impulsion de l’action à venir.

Par impulsion de l’action, propre ou autrui, nous entendons l’enchevêtrement de ressources verbo-vocales (bon ; bon (pause) allez ; etc.) et corporelles qui agissent de manière spécifique sur la temporalité des activités du locuteur-impulseur, sur les objets du monde, et plus globalement sur le contexte d’action et ses pertinences. C’est donc d’un effet d’ensemble qu’il s’agit. L’extrait 3 vu plus haut, illustre ce phénomène du point de vue de l’impulsion de cours d’action individuels, car il n’implique pas la participation d’autrui. L’extrait suivant, montre comment un acteur peut utiliser certains marqueurs discursifs pour impulser sa propre action, accompagnant verbalement un mouvement corporel et, plus fondamentalement, scandant un désengagement de l’espace d’action actuel, sans qu’il y ait de destinataire clairement défini, ou ratifié, ni de réaction de la part des co-présents :

Ex. 5. PR – 21/03/05, cuisine/salon, 19:16 : Eric vient de rentrer du travail. Après un bref échange entre les époux, Eric se trouve hors-champ, Justine dans le salon ainsi que Chloé et Arthur, qui jouent :

On voit ici la manière dont Justine scande ses déplacements et les passages d’un espace à l’autre de l’appartement, marquant également la fin d’une phase d’activité particulière. On peut faire aussi l’hypothèse que Justine s’est laissée surprendre par le « spectacle » des enfants et qu’elle marque avec bon une refocalisation de l’attention sur ses activités432.

Notes
432.

Merci à L. Mondada de m’avoir suggéré cette idée.