7.4.2.5 Aspects sémantico-pragmatiques et formels de la particule bon

En s’appuyant sur une tradition de plus en plus importante en linguistique, la structuration textuelle et/ou discursive et les marqueurs discursifs dans celle-ci (Schiffrin, 1987), font désormais l’objet de nombreux travaux, pour ne pas dire de pans entiers de la recherche en linguistique et en pragmatique. Et ce sur la base de critères sémantico-pragmatiques (Ducrot et al., 1980), strictement pragmatiques (Grice, 1989) ou encore cognitifs (Wilson et Sperber, 1993). Les unités que l’on classe sous le terme de marqueurs discursifs ont été étudiés aussi sous d’autres dénominations : connecteurs, opérateurs, cue phrases, etc. Bien qu’il existe un accord sur le fait que ces éléments lient des segments de discours, il n’existe pas de consensus sur la manière dont on doit les définir ni sur leur fonctionnement. Nous ne nous proposons pas ici de résoudre cette (vaste) question. Néanmoins, rappelons en quelques aspects essentiels du moins dans les champs de la linguistique pragmatique.

Un certain nombre de travaux cherchent à révéler les structures hiérarchiques des textes et/ou des discours, et, inspirés de l’héritage goffmanien et des notions de bracketing et de boundaries of frames (Goffman, 1974/1991), décrivent les marqueurs discursifs en tant qu’éléments facilitant la perception/interprétation de telles structures, notamment à travers des marqueurs d’ouverture et de clôture d’unités de discours ou de transition entre elles (Bruxelles & Traverso, 2001 ; Jucker & Ziv, 1998, par exemple) : deux phases d’activité conversationnelle, deux topics différents, deux séquences sont reliées, et/ou un état d’empressement ou de readiness pour passer à l’affaire suivante, sont ainsi exhibés. Le concept plus extensif de marqueurs pragmatiques (Fraser, 1999), semble rendre compte de manière satisfaisante d’expressions linguistiques multifonctionnelles, in cognitive, expressive, social, and textual domains (Schiffrin, 2001 : 54). Or, la plupart de ces études se focalisent sur la dimension verbale de l’interaction et négligent généralement de ce fait les aspects multimodaux des particules en question.

En linguistique, le caractère éminemment protéiforme de bon est pratiquement incontesté (Brémond, 2002). Diverses orientations existent dans la littérature qui ont mis en relief plusieurs aspects de son fonctionnement très divers : les aspects sémantiques (chez Mosegaard-Hansen bon marque l’acceptation et non la satisfaction, l’acceptation portant sur des propositions/actes potentiellement non désirables, et d’un point de vue argumentatif bon intervient dans les mouvements concessifs) ; la fonction de ponctuation, délimitation, etc. (Winther, 1985), le marquage de l’acceptation ainsi que la modulation/modération pour introduire une formulation (Mosegaard-Hansen, 1998) ; le caractère proactif ou rétroactif, notamment en ce qui concerne l’aspect métadiscursif selon lequel bon concerne plus le déroulement du discours lui-même que des états de choses « extérieurs ». On parle aussi de fonction de structuration ou d’organisation (marqueur de structuration dans le modèle genevois, ainsi que pour les conversationnalistes déjà citées). De ce point de vue, la transition s’appliquerait à une situation conforme au modèle d’une situation de début/fin de X (Jayez, 2004), mais aussi, comme l’observe Brémond (2002), de ce point de vue bon sert à amorcer des interruptions modérées.

Dans cette même optique, Jayez et Rossari (2004) parlent d’implicature conventionnelle afin de désigner des implicatures moins fortes, exigeantes, menaçantes, etc. qu’une assertion (puisqu’elles communiquent quelque chose qui concerne le locuteur, comme avec bon, vs. une interruption avec interruption assertive).

Certains travaux en linguistique ou en pragmatique qualifieraient bon de particule modale (avec une portée sur l’ensemble de l’énoncé), motivée intersubjectivement et pouvant apparaître en position initiale, médiane ou finale au niveau phrastique (c’est en tout cas ce qui est affirmé pour right et well). La plupart des marqueurs discursifs (tels que okay , ben , etc.) sont ou peuvent être responsifs vis-à-vis de certaines actions, ou types de tour alors que la particule bon telle que nous l’avons abordée ici, n’est généralement pas responsive à une action préalable d’un interlocuteur. Ce qui donne à bon un caractère relativement particulier parmi les marqueurs discursifs. Aussi, l’apparition de bon (ou plutôt de bon \) est contingente à une (possible) terminaison d’activité, ne projette pas une continuation spécifique mais marque essentiellement le fait qu’une activité ou phase d’activité a été close et qu’une autre peut ou va être initiée de manière imminente.

A un niveau séquentiel, bon et ses différentes combinatoires, n’est pas formellement lié à des tours ou actions préalables particulières, mais est uniquement contingent au regard de leur finalisation « en train de se faire ». De même, bon n’indique pas que l’action à venir est en contraste avec (la nature de) celle qui précède. Dans ce sens, bon est un marqueur discursif assez différent de ceux généralement décrits dans la littérature, qui fonctionne plutôt à un niveau abstrait, marquant localement une progression au sein d’un enchaînement d’activités sans pour autant les traiter hiérarchiquement. Ceci est également le cas de pro-adverbes de manière tels que nii en estonien ou so en anglais ou allemand, traduisibles par « de cette manière/ainsi/alors » selon les cas508.

Notes
508.

Mentionnons ici deux études conversationnelles récentes sur le marquage des séquences et de l’action : Keevallik (2010) pour nii, en estonien, et Barske & Golato (2010) pour so, en allemand. Sur la base de ce type d’articulation parole-corporéité - tout comme le propose le programme de recherche d’un certain nombre de courants en anthropologie linguistique et en linguistique interactionnelle- le travail de L. Keevallik cherche à dégager des unités de l’interaction incarnée, tel que l’atteste le panel Emerging units in embodied interaction qu’elle animera à IPrA 2011.