Chapitre 8.
Synchronisations, transitions, repères, durées. Les donneurs de temps conversationnels et écologiques

« Une méthode pour réaliser le lien entre les actions et donc parvenir à
l’intelligibilité des actions est l’orientation envers le temps. Une orientation
envers le temps peut être utilisée pour structurer et organiser les activités.
Mais il ne s’agit pas simplement du temps chronologique mais plutôt d’un
temps qui est situé et construit localement par les participants à cette occasion.
Il s’agit du temps des membres (…) Et puisque organiser
l’intelligibilité de la relation entre les actions pourvoit en partie à la vie
sociale, une orientation envers le temps des membres est une
méthode qu’on peut utiliser pour établir la compréhension même
du monde social ».
G. Button , On Members’ Time , 1990 ’ ‘ « Pour assimiler les objets ou les phénomènes crées par l’histoire,
il est nécessaire de déployer à leur égard une activité qui reproduit en quelque sorte
en elle les traits essentiels de l’activité incarnée, cumulée dans l’objet lui-même ».
A. Léontiev,
L’homme et la culture , 1961

Partant d’un nombre restreint de phénomènes langagiers, en l’espèce des verbalisations, des particules discursives et des annonces, le chapitre précédent décrit des procédés d’organisation des activités domestiques qui, malgré leur relative simplicité formelle, permettent aux participants d’ordonner des contextes complexes ; nous y décrivons des phénomènes de marquage de flux actionnes, de projection des débuts et des fins d’activités immédiatement successives, et identifions diverses ressources, divers appuis, circonstanciés et conventionnels (Dodier, 1993). Ces appuis, utilisés localement afin de formuler le temps, les durées et le tempo de l’action, afin de produire des repères communs permettant de co-ajuster les cours d’action de différents participants, participent en grande mesure à l’accomplissement des routines dans le foyer.

Le présent chapitre poursuivra cette ligne d’enquête, en mettant davantage l’accent sur des phénomènes de mesure temporelle, de synchronisation de divers cours d’action et, plus globalement, de gestion des transitions entre activités. Comme ébauché au chapitre précédent, on verra ici que les procédés ouvrants, clôturants et de suivi sont constamment traversés par des processus cognitifs distribués dans l’environnement et prenant appui sur des artefacts, des objets et des affordances qui fonctionnent en tant que « donneurs de temps » écologiques.

Nous procéderons comme il suit : nous analyserons d’abord une transition étendue impliquant des séquences directives et l’utilisation d’artefacts technologiques usuels, en matinée, chez les PR. Sur cette base, nous détaillerons ensuite des procédés de repérage temporel, de mesure des durées, de synchronisation et de gestion des passages d’une activité à une autre, et ce pour différentes activités de la journée et au sein des deux foyers du corpus.