8.1.2.1 La mère : la publicité c’est la fin de « la télé »

Notons que, plus globalement, Justine commence cette nouvelle phase directive transitionnelle alors qu’elle n’a pas accès au contenu audiovisuel mais uniquement au contenu audio de la télévision : le dessin animé s’est terminé et une publicité est émise. Après un énième échec interactionnel la tentative de la mère se poursuit par un account qualifiant le moment présent comme de la « non-télévision », en quelque sorte : Justine constitue le dessin animé comme « faisant télé », contrairement à la publicité517. Le fait que l’énoncé descriptif commence par tu vois, pointe la manière dont Justine cherche à guider l’enfant vers cette même interprétation, sur la base d’une perception de plus en plus partagée de ce qui se passe à la télévision. La manière de qualifier un contenu médiatique n’est pas uniquement ni même fondamentalement un fait objectif mais une affaire d’interprétation, d’engagement corporel et spatial, d’orientation pratique518.

Or, malgré ces efforts de la part de la mère, et malgré le fait que, à la différence des deux tentatives précédentes, Justine est désormais physiquement rapprochée, avançant vers l’espace d’action d’Arthur et regardant l’écran (ls. 42-45), l’enfant ne réagit pas et ne s’oriente pas vers Justine. Après une pause de 1.5 sec., pendant laquelle la mère finit de passer un vêtement et oriente davantage son corps vers le poste de télévision -s’établissant dans une formation de type côte-à-côte (Kendon, 1990)519- on observe une nouvelle recherche de confirmation de type tag question (l. 46.). Mais la recherche de confirmation n’aboutit pas : après une autre pause, plus courte cette fois-ci, Justine reprend la parole en produisant une nouvelle injonction à l’action (allez\).

Notes
517.

Cet aspect semble être en lien direct avec le fait que le dessin animé est considéré comme une unité de mesure temporelle pertinente, comme nous l’avons montré et comme nous le reverrons encore dans ce chapitre.

518.

Pour rendre compte des méthodes organisationnelles des foyers observés, dont la mobilisation opportuniste d’une programmation connue est un élément important, nous devons en même temps souligner l’importance de la régularité des grilles de programmes. Celle-ci est en effet une constante en France (ainsi que dans la plupart des pays où les chaînes de télévision s’inscrivent dans un système concurrentiel) : la concurrence oblige les chaînes à stabiliser leurs grilles pour proposer des taux « d’audiences lisses » aux annonceurs. Comme le rappelle L. Fonnet (2003) dès le début de son livre la programmation des émissions télévisuelles change beaucoup moins qu’on ne l’imagine. Par ailleurs, rappelons que la réglementation hexagonale interdit que les émissions infantiles de moins de 30 minutes soient coupées par des annonces publicitaires. Il en résulte que celles-ci n’ont lieu qu’entre les dessins animés et autres fictions.

519.

Basé sur l’intérêt des approches goffmaniennes vis-à-vis de l’attention dans l’interaction, Kendon (1990) propose la notion de « formation » pour se référer aux arrangements corporels, et aux contraintes sur l’accès et sur le contrôle de l’attention mutuelle dans un espace donné permettant, à des degrés différents, d’établir un focus d’attention partagée. La notion de F-Formation system –qui inclut le face-à-face mais aussi les dispositions en L (L-Formation) ou côte-à-côte (side-by-side), est un puissant outil d’analyse de l’utilisation de l’espace (spacing) comme propriété organisationnelle des rencontres et des actions sociales.