8.1.4.1 Séquences étendues et continuité de la vie familiale

Ce type de transition relativement longue, aux phases successives et entrelacées, au rythme in crescendo et mobilisant des compétences particulières de la part des deux co-participants, a été systématiquement observé dans les deux foyers du corpus. Dans un mouvement cyclique, les efforts d’explication et de négociation de la mère diminuent au fur et à mesure que le temps passe et que les refus de l’enfant d’obtempérer s’accentuent ; jusqu’au pic marqué par le débranchement de la télévision. Lorsque les directives mitigées échouent, des modalités plus directes au plan pragmatico-langagier et plus interventionnistes au plan matériel et corporel sont déployées.

Une fois l’arrêt définitif de la télévision garanti et le changement d’orientation attentionnel de l’enfant obtenu, Justine réalise de multiples tâches de préparation (préparation de soi, nourriture pour Arthur en cuisine, etc.) alors que l’enfant joue un assez long moment dans le salon. De manière interstitielle, elle suivra le jeu de celui-ci et lui proposera à nouveau d’aller déjeuner (un nouveau cycle commence alors, jusqu’à ce que l’enfant est physiquement amené jusqu’à la table de la cuisine pour manger). Ces formats cycliques, ou plutôt spiroïdaux (avec des marquages, des rappels, des accélérations, des interventions abruptes, puis à nouveaux des marquages, des rappels, etc.), rendent compte de la capacité des acteurs, adultes et enfants, à négocier le temps de l’action. Ils rendent compte également du fait que l’action –individuelle ou collective- doit se déployer de façon à s’ajuster à d’autres cours d’action propres à la vie familiale. Les adultes construisent interactionnellement et matériellement des bornages de début et de fin d’activité, impriment un tempo, mesurent et projettent constamment cours d’action actuels et à venir, tout en intégrant cet ordonnancement local et situé dans une continuité d’activités vécues et exhibées comme des préoccupations de l’ensemble du groupe. Suivie de près, l’action change tout le temps pour se stabiliser. Soumise à des impératifs de coordination sociale, l’action devient activité structurée. Mais avec des enfants, ce processus ne semble pouvoir résulter que de trajectoires directives étendues.

Les cours d’action dans lesquels sont engagés les enfants sont effectivement menées à bien seulement après une série de directives parentales qui incluent des annonces, des tests, des premières occurrences, des upgrades ou downgrades –verbaux et non-verbaux- ainsi que des admonestations plus ou moins menaçantes. Et qui, par ce travail de structuration, recadrent ou redéfinissent ce que l’enfant est en train de faire. Réciproquement, les enfants s’engagent souvent dans des évasives, des négociations, des plaintes, des refus « secs » (surtout chez les plus jeunes), etc. Du moins dans certains cas, il semble s’agir moins d’une résister à l’engagement vers la suite que d’une volonté d’étirer le temps présent vécu de manière particulière par l’enfant. Postposer au maximum la fin de l’activité en cours et/ou le début de l’activité projetée par l’adulte, selon les cas, est souvent prolonger ce qui paraît un jeu, une chorégraphie ou même un égarement ou une flânerie ludiques. En tous les cas des expériences dont nous ne savons pas grand-chose.

Les actes de contrôle parentaux projettent des horizons temporels enchâssés qui permettent aux enfants de se préparer aux transitions : des annonces de fin d’activité à moyen terme pouvant être typiquement suivies, quelques minutes après, d’une annonce de fin d’activité imminente puis d’une manipulations d’artefact terminatives/initiatrices.