8.1.4.3 Compétences techniques, apprentissage et contrôle

Différents niveaux de compétences sont disponibles à l’analyse à partir de la confrontation entre Arthur et Justine autour du poste de télévision : a) la compétence purement « manuelle » sur l’artefact (allumer/éteindre) ; b) la compétence sociale et morale (savoir quand est-il pertinent et légitime d’allumer ou d’éteindre, etc.) ; c) la compétence « bricoleuse » qui permet de fabriquer de nouveaux foci d’action et d’attirer vers ceux-ci les co-participants, physiquement et/ou attentionnellement. Cette dernière est d’ailleurs probablement liée à la capacité des adultes d’« agrafer » des éléments langagiers et des émissions audio/visuelles d’objets et artefacts manipulés, dans l’effort de marquer et de structurer le cours de l’action, voir de composer des unités discrètes (comme l’a notamment montré le chapitre précédent). Dans l’extrait que nous venons d’analyser, l’arrêt du flux télévisuel par pression du bouton (allumage/extinction) est un mouvement verbo-gestuel, auquel suit immédiatement l’énonciation de l’activité suivante, supportée par un artefact technique différent (la musique est quelque chose qui doit être « mise » dans la chaîne). La matérialité joue un rôle crucial dans la segmentation et la projection des cours d’action : la télévision, la chaîne musicale puis les jouets sont autant d’artefacts technologiques et d’objets mobilisés pour projeter des clôtures ou des ouvertures d’activités, pour baliser publiquement une activité donnée, pour dévier puis réorienter l’attention d’autrui bref, pour faire et faire faire. La présence des objets et des artefacts, leurs caractéristiques et défaillances techniques, communicationnelles ou informationnelles, sont convoquées discursivement et corporellement, à toutes fins pratiques, dans un vaste éventail de modalités possibles d’usage.

Pris dans le déroulement quotidien des actions, les objets sont à la fois des ressources et des contraintes, non seulement pour l’action, mais aussi pour l’instruction de l’action et, plus globalement, pour l’éducation et la socialisation. Ce qu’il est normal et attendu est exhibé dans l’interaction verbale mais aussi à travers des actions physiques de la mère, qui contrôle l’environnement technique et le corps de l’enfant : son savoir-faire et ses compétences, mais aussi simplement sa force et sa taille, ont des effets sur la gestion pratique et normative des activités qui rend compte des asymétries inter-générationnelles, en le configurant à la fois.