8.1.5. Responsabilité et agentivité

A l’instar de ce que montrent Aronsson et Cekaité (2010) dans leur étude sur des familles suédoises, nous voyons aussi que la mère, par ses invitations, constitue le jeune Arthur en interlocuteur capable de comprendre, de choisir ce qu’on lui « propose » de faire, et d’agir lui-même pour modifier l’environnement matériel et actionnel dans le sens indiqué par l’adulte535. Les directives mitigées promeuvent l’agentivité, l’agency de l’enfant, dans la mesure où la mère vise ici un contrôle de la part du jeune garçon sur la matérialité supportant sa propre activité, donc un autocontrôle536.

A propos des différentes configurations que peuvent prendre les séquences directives entre parents et enfants, C. Goodwin (2006) a développé l’idée que différentes trajectoires peuvent avoir lieu, c’est à dire différentes manières dont une injonction ou une requête peut-être pré-annoncée, réalisée et éventuellement satisfaite. On retrouve également la notion de contrat d’activité (activity contract) développée par Aronsson et Cekaité (2010), pour désigner des accords, basés sur un travail de responsabilisation (account work), entre parents et enfants, visant la réalisation par ces derniers d’une tâche donnée (généralement une activité « non-préférentielle »537, comme le rangement de la chambre, ou dans notre cas, l’arrêt de la télévision). Un contrat qu’Arthur, pour revenir à nos données, ne se plie pas à souscrire.

Dans le reste du chapitre nous présentons d’autres transitions (initiations, suivis, clôtures) marquées par des affordances et des repérages de mesures matériels. Nous distinguerons différents repères, allant des plus standard ou conventionnels, au plus écologiques ou situés. Dans tous les cas il s’agira à nouveau d’identifier les ressources communicationelles et artefactuelles mobilisées par les participants dans la structuration quotidienne des routines. Nous terminerons le chapitre par une réflexion sur le caractère pluri-distribué de la temporalité domestique, notamment à partir de la notion de donneurs de temps.

Notes
535.

Certaines théories postmodernes sur la famille verraient sans doute dans cette orientation parentale vers l’autonomie, le libre arbitre et l’agentivité des enfants un bon exemple de la démocratisation de la vie familiale contemporaine. En effet, les tactiques de persuasion – du moins dans les familles des classes moyennes- prévalent souvent sur les tactiques coercitives autrefois courantes. Mais dans la mesure où nous voyons que les tactiques « démocratiques » se transforment au fil du temps interactionnel, et que, répondant à des logiques cumulatives par exemple, les parents finissent par changer de ton au bout d’un certain nombre de refus de la part des enfants, nous préférons ne pas rigidifier, ne pas généraliser les apports postmodernes, mais plutôt en tenir compte tout en les replaçant dans des contextes dynamiques d’action et d’interaction. La coercition ne semble pas avoir disparu au profit de l’affect et de la raison, mais semble plutôt avoir opéré un déplacement, idéologique et temporel : elle n’est plus la première option, on tente d’abord d’autres formes de contrôle (basées sur l’affect, la rationalité et le choix, notamment), on donnant notamment du temps à l’enfant pour qu’il comprenne, se prépare, etc. On accompagne plus qu’on n’ordonne. Du moins dans certaines limites, comme nous le verrons.

536.

La télévision est configurée ici comme un artefact dont on peut facilement se détourner pour passer à autre chose : un objet maîtrisable puisque susceptible d’être allumé mais aussi éteint, par l’enfant. Il n’en sera rien.

537.

Selon ces auteurs, les contrats émergent au sein de renforcements (upgradings) et d’atténuations (downgradings) successifs des directives parentales. Ces « contrats » régulent droits et obligations mutuels, invoquant normes et moralités locales, et se manifestent à travers un large éventail de ressources verbales et non-verbales (allant des requêtes parentales mitigées jusqu’aux « marchandages » temporels des enfants. Nous retrouvons ces phénomènes dans nos analyses, que nous tentons de recontextualiser, de resituer dans les dynamiques d’action dans lesquelles ils se donnent à voir.