8.2.3.2 …appréhender le temps et connaître les routines

Dans cette section nous abordons la relation entre maitrise du temps standard (ou mécanique) et maitrise du temps des routines, dans une séquence de projection du bain, chez les RAF. Nous verrons que, pour un enfant, le fait de ne pas maitriser entièrement le temps de l’horloge n’est pas synonyme de méconnaissance à propos du caractère routinier des activités, ni à propos des attentes normatives que celui-ci.

RAF - 11 mai, 20:10. Maguelone vient de rentrer avec Christine. Albert la reçoit, à la table du salon (où il traite du courrier). Un échange verbal et affectueux a lieu pendant plusieurs minutes à propos d’un abonnement à une revue (pour la fillette), Maguelone et Albert, face-à-face, sourient :

Entre les ls. 4 et 9 nous voyons l’activité explicative de Maguelone arriver à un point de clôture possible (Maguelone baisse la tête et détourne son regard, finit de raconter ce dont elle parlait à Albert et en rit) ; le père, profitant de ce moment de transition, projette l’activité « douche » à sa fille, en lui demandant si elle va la pendre « tout de suite ». Mais la question incitative provoque une réaction de refus chez la fillette, refus à la fois exacerbé et mitigé par la mise en scène (ls. 11 à 18)564. Ce qui nous intéresse particulièrement ici c’est la façon dont l’enfant cherche à se tirer d’affaire : la douche, l. 26, est quelque chose que le père présente comme devant être fait, et donc non optionnel (mais aussi, de ce fait, à réaliser au plus vite en quelque sorte, pour s’en débarrasser du problème). Après ce tour suit une pause d’une seconde puis Maguelone, se relevant et regardant vers son père, produit une acceptation conditionnée à l’injonction (ls. 28-29) : bon maintenant / et (puis/plus) jamais \. Maguelone quitte la scène de la démonstration plaintive en revenant à celle de la gestion du quotidien et du dialogue en détournant le besoin de réalisation de la tâche obligatoire : elle concède d’aller se laver, comme le demande Albert, mais cette réalisation conditionne, ou plutôt, invalide, les douches et bains à venir. Dans le « protocole d’accord » que propose l’enfant, l’activité douche est singularisée et son caractère routinier, nié (d’où la réponse d’Albert ls 33 à 37). Nous voyons ici qu’une compétence faible ou en développement concernant le maniement du temps standard n’implique pas un manque de maîtrise du langage de la temporalité et des attentes temporelles ordinaires ! Si la capacité des enfants à « lire » l’heure ne semble pas être synonyme d’acquisition pleine des compétences temporelles, cette non-acquisition pleine n’est pas non plus synonyme de méconnaissance des concepts de durée ou de rythme, et plus globalement, des attentes temporelles et normatives qui pèsent sur les routines565.

Dans le point suivant nous aborderons la manière dont les ainés s’adressent, interpellent ou somment les enfants d’arrêter ou de se préparer à arrêter des activités, à travers la mobilisation des propriétés physiques et fonctionnelles d’objets et d’artefacts ancrés dans l’espace-temps vécu du foyer. Il s’agit, comme nous l’avons dit, de manières de faire récurrentes, qui configurent des repères temporels accessibles à tous les participants, contrairement à ce que nous avons vu des repères chronométriques standard.

Notes
564.

Entre les lignes 20 et 25 les participants traitent la question « d’aller se laver » du point de vue de leurs souhaits respectifs et discordants.

565.

Merci à Sylvaine Tuncer de nous avoir proposé ce bien meilleur titre pour les sections 8.2.3.1 et 8.2.3.2.