8.3.2. Une distribution dans l’action : initiations, clôtures, transitions et « zones grises »

Sur la base de notre corpus cela a été très difficile de définir le début et la fin des activités, notamment dû à la présence massive de deux phases imbriquées : une interactionnelle, de préparation, et une matérielle, de « réalisation » dans l’accomplissement des activités (allant des routines d’hygiène aux usages des média). Il s’agit là de l’imbrication quasi systématique des cours d’action actuels et des cours d’action à venir, dans la mesure où l’on intervient par toute sorte de moyens interactionnels sur les actions en cours de façons à projeter les débuts et les fins d’activité de manière à préparer les co-participants. De ce point de vue, les jeux d’évaluation, de structuration et de mise en intelligibilité de l’action collective au sein du foyer doivent être appréhendés aussi bien à partir des séquences classiques d’ouverture et de clôture, que des zones grises. Nous entendons par là les segments d’action et d’interaction « entre » bornes d’ouverture et de clôture, les pratiques parentales de suivi et de vérification du déroulement des activités, de définition dynamique du contexte.

Nous nous sommes concentrée sur les activités qui demandent la participation des enfants, une participation généralement guidée, supportée, induite voir enjointe par les adultes. A travers l’idée de suivi, nous pointons non seulement le fait que les parents surveillent le bon déroulement de l’action, en général mais aussi que l’initiation d’un certain nombre d’activités que certains auteurs appellent non-préférentielles (devoirs, hygiène, coucher, par exemple) impliquent souvent l’arrêt d’activités préférées : arrêter de jouer, de regarder la télévision, etc. De plus, y compris pour des activités individuelles dans lesquelles les enfants sont appelés à s’engager seuls (prendre une douche), nous avons souvent observé deux phases impliquent une participation parentale préparatoire : le suivi du cours d’action actuel en vue de synchroniser et coordonner le cours d’action à suivre (la douche, par exemple), et la mise en place de l’« infrastructure » matérielle d’un certain nombre d’activités (faire couler l’eau, par exemple). C’est pourquoi les parents sont massivement engagés dans des settings de multi-activité.

Comme nous l’avons déjà vu, et comme nous le verrons également par la suite, à propos d’autres phénomènes, les suivis parentaux sont essentiellement conversationnels, verbo-gestuels et perceptuels (les explorations visuelles et l’établissement du regard mutuel étant cruciaux dans l’évaluation et l’orientation de la situation).

Il n’y a pas d’évaluation et de (ré)orientation sans contrôle. Il ne s’agit pas là d’une fonction uniquement organisatrice mais aussi signifiante, cohérentisante, reliant passé, présent et futur. Nous nous sommes intéressée au contrôle en ce qui concerne la structuration temporelle et les durées des activités des enfants : ce contrôle est exercé de manière routinière à des moments récurrents de la journée, correspondant à des « plages » d’utilisation d’objets et de média relativement stables. Le contrôle s’exerce donc à la fois sur l’accès aux artefacts et sur les durées d’utilisation, participant très concrètement à la (re)production des routines. Le fait que ce contrôle soit considérablement relâché le week-end indique son caractère relatif à d’autres dimensions et obligations hors-foyer, et exclue l’hypothèse d’une application de valeurs abstraites liées aux medias per se. Aussi, le contrôle parental s’exerce généralement en parallèle ou de manière interstitielle avec d’autres activités (concernant les parents seuls, les parents entre eux ou avec les enfants), pouvant manifester des régimes d’attention plus ou moins flottants, plus ou moins focalisés. Par moments, et selon les réactions des enfants aux actes de contrôle, notamment, ces derniers peuvent devenir centraux et donner lieu à des séquences de résistance ou de négociation relativement longues.

Le contrôle est basé sur différentes séquences d’actions : des annonces et des avertissements, qui peuvent concerner l’accès aux artefacts, les durées d’utilisation et les modalités d’utilisation (volume, distance à laquelle se placent les enfants face à l’écran, etc.), des vérifications, des invitations, des suggestions, et des injonctions destinées à favoriser l’arrêt de l’activité589, des évaluations et des bilans. Des actions qui s’appuient sur des compétences interprétatives et cognitives particulières.

Notes
589.

Les dispositions corporelles sont également mobilisées dans les activités de contrôle/suivi. Chez les PR, par exemple, nous avons vu que les adultes, en particulier Justine, gardant une attention périphérique mais continue sur les activités des enfants, par exemple lorsqu’ils s’installent à l’ordinateur du salon au même temps que les enfants regardent la télévision en se plaçant dans une « torsion » de 10°-15° vers ces derniers. Cette configuration corporéo-spatiale leur permet d’intervenir auprès des enfants, physiquement et/ou verbalement.