9.2.3.1 Jouer à la mère pour protéger le cadre

Maguelone « joue à la mère », en ce sens qu’elle se positionne comme répondante face aux sollicitations que Thomas adresse à Christine. Aux lignes 2, 4, 7, 9 ont lieu des pauses attribuables à une non-disponibilité de la part de Christine. Dont se saisit à chaque fois l’enfant.

Ex. (ii)

Maguelone parle avec sa mère, hors-caméra, lorsque Thomas, depuis sa chambre – de l’autre côté de l’appartement – appelle Christine. Après une première réponse (probablement) de la part de Maguelone, Thomas s’adresse à nouveau à sa mère, en ne relevant pas la possible substitution. Suit une pause assez longue : Maguelone utilise l’absence officielle de réponse de la de la mère et produit une autre SPP qui, à la différence de la première, tient compte du développement sériel et incrémentiel de la séquence (ton agacé et question ouvrant une nouvelle paire – « oui quoi ? »). La troisième répétition de l’appel est en même temps une réplique directe de Thomas à sœur et une sollicitation indirecte de sa mère (« j’ai dit maman »)621 .

Dans cette séquence appel-réponse (SA) particulière Maguelone s’oriente à la fois vers le cadre d’absence pratique et vers le fonctionnement ordinaire des séquences de ce type. La fillette répond en effet aux interpellations de Thomas, exhibant une prise en compte collaborative des règles du jeu établies par Christine avant l’échange. Maguelone s’auto-sélectionne à la place de Christine à chacun des trois appels de Thomas, en mobilisant l’organisation séquentielle des SA selon laquelle les SPP doivent suivre immédiatement les PPP. Ces propriétés séquentielles des SA lui permettent de jouer son rôle de gatekeeper de façon ordonnée, bien que Thomas traite ces réponses comme non pertinentes (car non produites par le destinataire légitime) : la réponse est séquentiellement adéquate mais catégoriellement inadéquate622.

Thomas thématise l. GG son refus de la substitution interactionnelle.

Notes
621.

Cf. Stivers et Robinson, (2006) sur ce phénomène de non-acceptation d’une réponse venant de la part d’un locuteur autre que celui ayant été sollicité.

622.

Comme nous l’avons souligné pour un extrait précédent, on retrouve le couplage de cadres que Gordon (2008) appelle blending frames : dans ce jeu qui consiste à faire le parent, Maguelone protège  le cadre établi par Christine en entrelaçant un cadre presque moqueur (les réponses à Thomas), avec celui que cherche à imposer la mère (qui est en est témoin et en quelque sorte bénéficiaire du moins pendant quelques tours). Les tours de parole de la fillette sont, dans ce double cadrage, simultanément adressés à Thomas et à Christine, bien qu’ils véhiculent des attentes et des intentionnalités assez différentes pour l’un ou l’autre.