Chapitre 10.
La coordination du soir : des appels téléphoniques comme événements-pour-l’organisation

À partir du développement de la pragmatique et d’autres approches praxéologiques en sciences sociales, la question du contexte s’est faite une place dans les sciences du langage, en particulier à travers l’étude des phénomènes d’indexicalité et de dépendance contextuelle des productions langagières. Dans la perspective de l’Analyse Conversationnelle (AC) et de l’ethnométhodologie, la notion de contexte n’implique pas une simple dépendance. L’indexicalité des interactions sociales est définie par une double relation contextuelle, c’est à dire par le fait que, d’une part, les interactions s’ajustent au contexte de leur occurrence et que, d’autre part, à travers ces ajustements, elles renouvèlent le contexte à leur tour (Heritage, 1984). L’AC a montré empiriquement que l’interaction verbale se déploie à travers les prises de tour séquentiellement organisées par des interactants mutuellement orientés vers le caractère ordonné et reconnaissable de leurs actions. Ces actions sont ainsi toujours des actions de re-contextualisation. Par re-contextualisation nous faisons référence aux phénomènes d’interprétation, d’engagement et d’orientation vers des pertinences et des temporalités qui modifient publiquement la dynamique et le cours des activités651.

Ce chapitre aborde certains procédés interactionnels décrits dans les chapitres précédents (annonces, injonctions, sommations, etc.) du point de vue des pratiques de coordination du soir entre membres du couple parental. Nous verrons plus particulièrement comment certains appels téléphoniques permettent aux participants, notamment aux adultes, de (ré)évaluer rétrospectivement et de re-dessiner prospectivement le contexte de la soirée pour l’ensemble des membres, produisant des re-contextualisations.

Notes
651.

On pourrait imaginer le terme alternatif de « diacontextualisation » pour cette approche des processus transformationnels, afin de le distinguer d’autres acceptions existantes de la « recontextualisation ». En effet, certains auteurs définissent par ce terme la constitution, indexation et implémentation de l’interprétation locale d’un événement (Gumperz, 1982), voire la construction de contextes dits déplacés (Auer, 1988, cité in Filliettaz, [2007]). D’autres, définissent par recontextualisation le transfert d’actions vers un cadre différent et plus pertinent, notamment vers des outils technologiques de gestion de l’activité (Heath & al., 2002), ou le transfert d’un élément d’un discours/texte vers un autre (Linell ,2005), avec d’éventuelles conséquences sur le sens. Dans un des extraits analysés ici, on verra que les participants transforment des informations, reçues par une seule personne au téléphone puis rendues disponibles aux co-participants. Au-delà de ce phénomène spécifique, le terme recontextualisation couvrira des réorientations dont les conséquences portent sur l'ensemble des activités en cours, au-delà d’éventuelles réinterprétations propositionnelles.