10.3.1.2. Annoncer l’identité de l’appelant comme justification pour répondre. La perspective de l’adulte

Cette section abordera des contingences liées à l’identité de l’appelant dans la gestion de la prise d’appel, phénomène observé à plusieurs reprises chez les PR (et dont nous avons déjà parlé par ailleurs dans les pages précédentes de ce chapitre).

PR - mercredi 23/03/05 – 19 :44, dans le salon. Ce jour-là Eric et Justine sont invités dîner chez des amis. Chloé ira dormir chez Maguelone RAF et Simon s’occupera d’Arthur. Après avoir mangé, Chloé et Arthur jouent à s’attraper mutuellement. Justine coud un vêtement tout en demandant à plusieurs reprises à ces derniers d’aller se déshabiller dans la salle de bain pour prendre ensuite le bain. Arthur attrape des ciseaux puis des aiguilles :

Suite à plusieurs injonctions adressées aux enfants pour s’orienter vers l’activité suivante, Justine estime que le temps que met Eric à rentrer est trop important. En vue de la situation (les enfants sont quelque peu agités, et la sollicitent beaucoup ; il reste plusieurs choses à faire pour achever l’organisation de la soirée), la mère commence à manifester un certain débordement, et ce mezza, voir sotto voce.

Une petite demi-heure plus tard les deux jeunes enfants ont pris le bain : Chloé est prête à partir (en pyjama) mais on attend toujours Eric.

A 20:16, dans le salon, la télévision est allumée (journal télévisé) mais personne ne la regarde Justine prépare le sac de Chloé, en lui disant ce qu’elle y a mis et en formulant des recommandations pour le lendemain, alors que la fillette se coiffe devant le miroir :

Trois minutes plus tard, Chloé et Arthur vont vers leur chambre et Justine annonce, à la cantonade, qu’elle va appeler Eric : elle déplace son sac, sort le téléphone portable, regarde la montre, consulte le téléphone, somme un de ses enfants d’arrêter de crier et semble tenter de joindre Eric, sans succès ; puis, d’une voix plus basse :

Finalement une communication portable à portable est établie. Eric semble initier l’appel, Justine y répond, mais on n’entend pas la sonnerie. Le père prévient la mère qu’il est en chemin, Justine lui commente rapidement la situation à la maison mais lui dit aussi de prendre son temps. Les préparatifs pour le départ chez Maguelone RAF se poursuivent. Justine traite des questions logistiques avec ses enfants alors que Chloé lit une revue sur le canapé du salon692. A 20:31 Justine appelle son amie hôte pour lui annoncer qu’elle et son mari seront en retard et pour demander son code. 20:34:07. Justine (hors-champ) ouvre le canapé-lit dans le salon :

A 20:36:04, Justine est à peine rentrée dans la cuisine (met son téléphone portable à charger), lorsque le téléphone FT sonne. Elle s’oriente rapidement vers le salon pour répondre. Chloé poursuit la lecture de la revue et Arthur va à droite et à gauche.

Trois verbalisations de Justine, dont l’agacement va in crescendo jusqu’au moment de l’appel entrant (entre autre par l’impossibilité de le joindre via le téléphone mobile), rendent visible une attente trop longue du membre manquant (attente de son arrivée et/ou de son appel téléphonique). De ce point de vue, la tension entre Justine et Chloé (ls. 22 à 25) s’explique par le besoin de la mère de résoudre rapidement un certain nombre de questions organisationnelles avec le (possible) appelant (l. 18)693.

Comme dans l’extrait précédent, le fait que Justine se trouve loin du téléphone alors que Chloé s’en trouve à proximité, pousse Justine à anticiper sur la conduite de la fillette, à travers une injonction complexe : d’abord (n’étant pas visible par son interlocutrice), l’énoncé de Justine l. 22 vise d’abord à suspendre le mouvement corporel de Chloé (attends) puis à s’auto-désigner comme répondante. Face à la poursuite de la tentative de répondre de la part de Chloé, Justine produit une deuxième partie de tour – ls. 22-24- dont l’injonction, du point de vue performatif, est plus franche dans sa force entravante ( NON \). Or, cette intimation est immédiatement justifiée avec un procédé que nous avons vu auparavant : suit en effet l’identification du possible appelant : c’est p-être papa fonctionne en tant qu’account. Alors que Justine prononce encore son énoncé, Chloé se rassoit, laissant la voie libre à Justine. Notons que le déploiement interactionnel entre fin de l. 22 et ligne 25 a lieu pendant les quatre secondes de pause du téléphone, pendant l’intervalle entre les phases de la sonnerie.

Notes
692.

Ce cas représente l’unique consultation de téléphone portable dans tout notre corpus, du moins en relation aux activités de coordination de la soirée. Que Justine consulte et qu’un appel soit passé sur le téléphone mobile est probablement dû au fait qu’Eric n’a pas encore appelé sur le fixe, mais surtout au caractère « extraordinaire » de la soirée de ce mercredi.

693.

La tension entre Justine et Eric en revanche se dé ploie le long de la communication téléphonique, à propos de la façon de se coordonner.