L’organisation temporelle des routines comme trame interactionnelle

Le foyer, comme tout autre espace socialement investi, est d’abord défini par la praxis qui se déploie en son sein de manière ordonnée. C’est cet ordre, notamment dans sa dimension temporelle, que nous avons abordé, de manière à étudier les foyers familiaux comme arènes de la vie collective, comme espaces sous contrôle, impliquant des patterns routinisés d’activité. Plus spécifiquement, nous avons identifié des procédés de temporalisation dont se servent les acteurs ainsi que les ressources qu’ils mobilisent dans la gestion de leurs activités routinières. La question de l’organisation temporelle a été traitée dans le pas-à-pas des interactions, en particulier des interactions adultes-enfants. De plus, nous avons mis l’accent sur la spécificité d’un espace caractérisé par des activités co-occurrentes et par un état de parole ouvert, d’une part, et sur la place des usages technologiques et matériels dans ce setting particulier, de l’autre.

Les temporalités qui caractérisent la vie familiale dans l’espace domestique ne sont pas des variables objectives exogènes mais le fondement même des routines dans le foyer. A la maison, les routines, pour être telles, nécessitent un travail interactionnel incessant, de (re)production, de mise en intelligibilité et de négociation entre les participants. Ce travail produit des temporalités et des normativités spécifiques. Ni automatisme, ni « temps-mort », la routine mérite toute notre attention.

La prégnance du temps (ordre, durée, rythme) est, tout comme la prégnance de l’action et de la langue, un fait naturel de la vie produit par les hommes en société. Se lever, se laver, prendre le petit-déjeuner, quitter la maison, etc. vont généralement de soi dans la littérature sur la vie familiale, sans que soit véritablement décrite la manière dont ces activités en tant que faits naturels en viennent à être vécues et reconnues en tant que telles et sans que l’effort organisationnel nécessaire pour faire ensemble ces activités ne soit explicité. La vie familiale a majoritairement été étudiée en termes de changements socio-historiques de forme, en termes de structures de contraintes ou en moindre mesure en termes de processus de construction et d’émergence. Nous avons suivi cette troisième ligne, en nous concentrant moins sur les discours faisant famille que sur les pratiques discursives, interactionnelles et communicationnelle qui participent à l’organisation des activités domestiques.

Dès les premiers chapitres qui analysent les discours des adultes produits en entretien, apparaissent les limites de la double thèse de la désinstitutionalisation et de l’individualisation de la vie des familles contemporaines, dont nous avons parlé dans l’état de l’art. Dans les chapitres analytiques successifs, à la lumière des analyses multimodales et interactionnelles qui font la part belle à l’affairement et à la socialisation, ces a priori conceptuels se sont révélés d’autant plus problématiques.