Des traits caractéristiques des activités familiales et du foyer

A partir de l’étude des pratiques d’organisation temporelle qu’il nous a été possible d’observer, nous pouvons résumer comme il suit un certain nombre de traits caractéristiques des activités familiales dans le foyer :

a) L’organisation de la vie domestique et familiale ne va pas de soi et cela sur deux plans : d’une part, elle repose sur un effort constant de mise en ordre et de mise en intelligibilité de l’action, ne se réduisant pas à un rangement d’évènements préétablis dans un schéma temporel fixe. D’autre part, tout en répondent à des nécessités biologiques, et bien que reconnues comme des faits habituels et normaux de la vie collective, les activités et leur ordonnancement (prendre un bain, dîner et enfin aller se coucher) sont toujours des faits normés, soumis aux changements, composés culturellement et historiquement ;

b) Les procédés de ce double travail d’ordonnancement/signification ne sont généralement pas tacites : ce qui a été fait, ce qui est fait ou ce qui va ou doit être fait est continuellement publicisé, à travers des qualifications, évaluations, segmentations, mesures, projections, distributions et suivis de cours d’action et de flux matériels ;

c) Le double travail d’ordonnancement/signification a des portées locales et générales : tout en s’ajustant aux contingences de l’action en cours, les membres de la famille procèdent à des typifications qui stabilisent l’action en tant qu’activité reconnaissable sur les plans sémantique et normatif. Des règles sont invoquées pour ordonner les conduites, ce qui implique que l’on fournisse des instructions pour voir et décrire un ordre normatif ou une source de contrainte ;

d) Les ressources mobilisées dans sont des ressources cognitives, langagières, corporelles, matérielles, spatiales et artefactuelles ;

e) La vie à la maison présente des discordances, des finalités et des trames de pertinence différentes selon les acteurs, notamment entre adultes et enfants, c’est à dire entre membres plus ou moins organisateurs/coordinateurs, plus ou moins orientés vers la gestion de l’espace-temps domestique, plus ou mois compétents dans la maîtrise des procédés et des ressources de mise en intelligibilité et de mise en ordre des activités ;

f) La vie quotidienne est imprégnée des problématiques liées au contrôle des durées d’usage des TICs, problématique dont le traitement et la résolution convoquent toute sorte de questions éthiques, morales, et normatives. La coordination et l’organisation peuvent se fonder sur tout ce qui est doté d’une durée délimitée et stable et/ou d’une durée publiquement déployée, qu’il s’agisse d’un déploiement langagier ou d’un flux matériel. Dans cette perspective, un certain nombre d’artefacts sont mobilisés en tant que technologies cognitives temporelles sans être des technologies informationnelles ou computationnelles stricto sensu.

g) L’organisation dans le foyer repose sur des temps multiples : le temps est plus que le temps métrologique de l’horloge mais aussi plus que l’expérience subjective du temps ou de la durée. Les temps et leurs mesures, intrinsèquement relationnels, sont aussi socialement régulés et, surtout, écologiquement ancrés. En effet, différents supports techniques et matériels de l’action produisent des durées d’usage et des unités de temps hétérogènes, des comportements cycliques, prospectifs et rétrospectifs, et participent à des phénomènes tels que la synchronisation, le retardement, l’anticipation, etc. ;

h) L’organisation dans le foyer repose sur et se déplie lors de phases interactionnelles et de transitions relativement longues ;

i) La vie domestique est caractérisée par la multi-activité et par la multi-participation : au-delà du fait que différents individus et catégories d’âge co-habitent, leurs différents besoins, engagements et orientations pratiques configurent des contextes marqués tantôt par la simultanéité d’activités distinctes tantôt par la conjonction dans des activités communes, souvent par des entre-deux poreux ;

j) La vie domestique est caractérisée par des cadres de participation mouvants, extrêmement plastiques et versatiles ;

k) L’espace domestique est une arène de pratiques bien plus qu’un ensemble d’éléments architecturaux et matériels fonctionnels : lorsque l’on suit les trajectoires d’activité et leurs modes d’organisation on identifie des ressources hétérogènes - communicationnelles, cognitives, matérielles - dont la mobilisation déborde des frontières architecturales et détourne les fonctionnalités techniques premières.