Introduction

Les tombes royales et de prestige en Mésopotamie et Syrie à l’Âge du Bronze sont les témoins, à la fois, de pratiques funéraires spécifiques à une élite sociale et de pratiques sociales qui impliquent la structure de l’ensemble de la communauté et des institutions de cette région.

Les fouilles en Mésopotamie et en Syrie ont fourni une documentation substantielle sur les pratiques funéraires royales et de prestige, à laquelle viennent s’ajouter, ces dernières années, les découvertes de tombes qui ouvrent de nouvelles perspectives de recherches sur cette problématique. 

Le domaine du funéraire et du rapport aux morts offre un potentiel d’approches pluridisciplinaires (sociétale, politique, économique et religieuse) pour saisir les modes de fonctionnement, d’organisation de la société et de ses représentations sociales et religieuses. En archéologie, l’interprétation des données funéraires a été le sujet de confrontations entre les écoles de la Nouvelle Archéologie et du post processualisme : elles ont surtout concerné l’impact social sur la variation des traitements funéraires.

D’un point de vue historique, l’évolution des perceptions de la mort et des croyances montre certaines constantes. La mort est un phénomène complexe, paradoxal qui s’inscrit dans la perception que les hommes ont de leur société et de la façon dont ils la construisent1. D’un point de vue sociologique, la mort est un facteur pris en compte pour la compréhension de la société dans sa globalité fonctionnelle et structurelle2. Hertz et Van Gennep ont mis en évidence que la mort est un rite de passage qui régule les relations sociales tout comme la naissance, l’adolescence, le mariage3. C’est un rite social. C’est dans le but de comprendre ce phénomène spécifique, dans une vision transculturelle et transhistorique, que l’anthropothanatologie est apparue. Car la mort suscite des réponses aussi universelles que particulières, tant au niveau des individus que de la collectivité, par la construction de systèmes symboliques, de croyances et de rites funéraires4. La crainte des morts et l’horreur du cadavre ont poussé les individus à ensevelir ou à détruire les corps5. Ces pratiques se sont institutionnalisées. Elles sont devenues des rites, opérations symboliques nécessaires à la communauté, parce qu’elles régulent l’affect et maintiennent les fondements sociaux. D’où le caractère universel de la ritualité. Les rites funéraires permettent à la société d’intégrer la mort et le mort dans la vie. La mort s’avère également bénéfique : de nombreux mythes évoquent la mort féconde et la mort renaissance6. La mort d’un chef ou d’un roi est une phase émotionnelle intense et profondément perturbante pour l’ensemble du groupe, car il en va de l’équilibre social et vital. D’après Thomas, « Exercer le pouvoir est une manière de tromper la mort »7, c’est donc accéder à l’immortalité. L’enjeu du rituel funéraire à la mort du chef va être de transformer l’état social du mort pour l’intégrer dans sa « nouvelle vie », lui permettre d’accéder à une position privilégiée auprès des divinités ; Braudillard parle d’échange symbolique, permettant de restituer l’ordre8. Il s’établit dès lors un échange réciproque entre les divinités et la société pour instaurer de nouveaux rapports sociaux. Loin d’être strictement une manifestation sociale et l’expression de confrontations statutaires, la mort est un évènement complexe qui ne touche pas seulement l’organisation de la société et les groupes sociétaux, mais chaque individu au plus profond de ses émotions et de ses croyances.

Les caractères sociaux et religieux des activités funéraires et des comportements humains face à la mort seront mis en évidence dans cette étude. Il est donc nécessaire de prendre en compte ces constatations pour analyser les pratiques funéraires, et particulièrement lorsqu’il s’agit de personnalités dirigeantes. En Mésopotamie, l’équilibre universel est une notion vitale dont le roi est le garant du point de vue religieux -en tant que représentant des dieux- et du point de vue économique et social. Il accomplit son rôle dans les cérémonies religieuses et il fait en sorte que l’équilibre social et économique règne. À sa mort il faut maintenir cet équilibre. Plusieurs mécanismes sont mis en place pour maintenir la continuité du pouvoir et la stabilité sociale dont la construction d’une tombe et les cérémonies funéraires. Les monuments funéraires témoignent de l’importance du pouvoir dans la société. Mais dans les données archéologiques comment reconnaître une sépulture royale d’une autre ? C’est pourquoi notre intitulé prend en compte les tombes royales et les tombes de prestige.

Notes
1.

Thomas 1975 : 11.

2.

Cf. infra pp. 48-49.

3.

Hertz 1970 [1905] ; Van Gennep 1981[1909]. Cf. infra p. 48.

4.

Thomas 1975 : 12.

5.

Morin 1970 : 37-42.

6.

Morin 1970 : 123-147 ; mythe de Dumuzi, voir Bottéro 1989 : 300-318.

7.

Thomas 1999 : 156.

8.

Braudillard 1976 : 202-220.