Qu’est-ce qu’une tombe de prestige ? Qu’est-ce qu’une tombe royale ?

Une ambivalence apparaît souvent dans les ouvrages archéologiques dans l’emploi des termes de prestige et royal, le premier remplaçant aisément le second, et par extension désignant l’ensemble des élites. Ces termes pourtant ne renferment pas la même réalité sémantique.

Le terme de prestige est employé pour tout ce qui sort du commun, autant pour les objets que pour la valorisation de soi ou d’une classe sociale. Il distingue la richesse mais pas nécessairement le statut social. Aussi dans la terminologie que nous employons, le prestige se réfère spécifiquement au statut de l’élite dirigeante. Le prestige de l’élite inclut le prestige de la fonction et la richesse. Après cette précision, le prestige désigne indifféremment un chef ou un roi. Il est difficile, sans textes, d’avancer que l’élite qui se distingue par certaines pratiques sociales est d’origine royale. Une tombe de prestige est une tombe de chef qui peut exclure, dans des cas précis, les tombes royales. Mais comment peut-on différencier les tombes d’une élite d’une tombe royale ? Parker Pearson rappelle la définition de Childe qui distinguait ainsi les tombes de chefs : ce sont des tombes semblables aux tombes simples, mais elles contiennent plus de richesses avec plus de pompe9. Selon Childe en effet la tombe d’un chef ne se distingue pas morphologiquement des tombes simples, seule la richesse la distingue.

Comment caractériser une tombe royale ? Les réponses sont multiples selon les spécificités régionales, et Morris met en garde contre des généralisations10. L’article de Childe, repris par Parker Pearson supra, examine pourtant les évolutions des pratiques funéraires transculturellement de la Préhistoire à l’Âge du Bronze. Childe définit alors les « tombes royales » de Mésopotamie, d’Egypte, de Chine et d’Europe selon les critères suivants : la monumentalité des tombes, une richesse « extravagante » des fournitures funéraires, la présence de « sacrifices humains », et la pratique de rites « exceptionnels »11. Les tombes dites royales apparaissent, selon lui, à des moments de transformation d’une société lignagère vers des structures étatiques résultant des forces économiques externes (commerce longue distance) ou des contacts avec des civilisations plus développées12. Trois points sont à souligner dans les propos de Childe : tout d’abord, il insiste sur la monumentalité de la tombe en opposition à celle du chef ; ensuite, la richesse et les rites (renforcés par des adjectifs) sont des traits associés à la pompe royale. Le rite humain sacrificiel est un trait distinctif de la tombe royale, à la différence de la tombe de chef. Nous reviendrons sur ce point par la suite, pour discuter du lien entre « sacrifice » et tombe royale13. Enfin, la définition des tombes royales et de prestige renvoie au système socio-politique de la société qui les produit à un moment donné. Le problème soulevé pour des périodes hautes comme la fin du IVème millénaire et le IIIème millénaire en Mésopotamie est, pour les archéologues, d’établir la structure du système étatique14. La forme de la « royauté » sumérienne est discutée15 ; l’État centralisé et organisé apparaitrait dans la deuxième moitié du IIIème millénaire, voire seulement à la fin du millénaire à la IIIème Dynastie D’Ur. Comment interpréter, d’une part, les documents épigraphiques citant le Lugal, ou l’Ensi, et d’autre part les constructions monumentales identifiées comme des « palais »16 ? Le palais est associé à la résidence d’un personnage dirigeant selon la nomenclature moderne et occidentale ; faut-il imaginer des bâtiments associés à l’exercice du pouvoir sans que le ou les personnages soient des rois ? Le débat s’orienterait vers une vision idéologique de la situation politique en Mésopotamie, comme cela été le cas dans la deuxième partie du XXème siècle, période durant laquelle les questions sur le pouvoir séculaire et le pouvoir religieux, sur la place du temple et du palais dans la gestion politique et économique des Cité-États s’opposaient.

Au regard des exemples supra régionaux, l’existence d’une royauté et de rites associés à ses pouvoirs est pourtant justifiée. L’Egypte apporte l’exemple d’une royauté fonctionnant dès les hautes époques contemporaines de la Mésopotamie, fondée sur des rites complexes et une personnalité dirigeante représentant les divinités sur Terre17. Le roi est une personnalité à moitié divine. Les documents écrits, l’architecture, ne laissent aucun doute sur la nature du pouvoir ; les tombes royales de caractère monumental sont accompagnées de pratiques funéraires ostentatoires avec une abondance de richesse. Les « sacrifices » sont cependant pratiqués dans une période très limitée de l’Egypte antique au début des périodes dynastiques18. Comme en Mésopotamie les sacrifices humains sont particuliers à une période et à une élite. Plus généralement, il est possible de reconnaître des traits communs aux tombes royales. Parmi les critères retenus dans l’étude, les rites pratiqués lors des inhumations royales sont souvent exceptionnels par rapport aux autres sépultures de prestige. L’exemple d’Alaça Hüyük est intéressant à cet égard19. L’ensemble des sépultures monumentales creusées au cours du Bronze Ancien témoignent que les individus identifiés comme royaux étaient inhumés selon des rites spécifiques. Les « étendards » solaires déposés dans la tombe, surmontant probablement des pics ornant des chars étaient utilisés pour faire parader les défunts jusqu’à leur dernière demeure ; des rites de crémation d’animaux étaient également pratiqués.

Si l’on se reporte aux définitions ci-dessus, les tombes de prestige et les tombes royales sont différentes selon leur morphologie et les rites. Ces distinctions peuvent dès lors permettre de différencier le niveau de complexité sociale, ce point a été largement débattu en archéologie. Néanmoins, selon les contextes sociaux et régionaux, la représentation des chefs et des rois peut passer par des facteurs similaires ; il est possible que des tombes de prestige soient semblables à des tombes royales dans la forme comme dans la richesse. La notion de prestige dépend également de la nature de la fonction du dirigeant dans la société (chefs ou rois), et de l’idéologie qui s’y rattache. Les exemples retenus indiquent la pertinence d’une étude approfondie des pratiques funéraires liées à des personnalités de pouvoir, pour démontrer les modalités de représentations du pouvoir selon les contextes.

Notes
9.

Parker Pearson 1999 : 87.

10.

Morris 1999 : 59.

11.

Childe 1945 : 18 ; Morris 1999 : 57 ; Parker Pearson 2001 : 87 ; Young 2004 : 82.

12.

Childe 1945 : 18, «[…] Transitional stage in the development of the societies concerned- to the period of the kinship organization appropriate to barbarian was breaking down to make room for a territorial state […]”

13.

Cf. infra pp. 90-102.

14.

Cf. infra pp. 61-62.

15.

Glassner 1990 ; Forest 1996 ; Huot 2005 : 970.

16.

Glassner 1990 : 15-17.

17.

Frankfort 1948.

18.

Cf. infra pp. 96-97.

19.

Arik 1937 ; Kozay 1938 ; Bittel 1976 ; Tschora 2004.